Saint Irénée: face aux hérésies, la simplicité de l’Évangile et l’amour de l’Église
Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Découvrir ou approfondir la vie de saint Irénée, c’est plonger dans l’époque fascinante des premiers chrétiens, où tous semblent invités à mener «le bon combat, celui de la foi» (1 Tm 6,12), avant de recevoir, souvent au terme d’un supplice courageusement enduré, «la couronne de gloire qui ne se flétrit pas» (1P 5,4). Ces deux aspects, Irénée les a pleinement vécus, et nous pouvons aujourd’hui encore en goûter les fruits.
De l'Orient à l'Occident
Les principaux éléments biographiques à son sujet proviennent de son propre témoignage, transcrit par Eusèbe, dans le livre V de l'Histoire ecclésiastique. Probablement né à Smyrne (en Asie Mineure, aujourd’hui Izmir, en Turquie), vers 135-140, Irénée eut durant sa jeunesse des contacts avec Polycarpe, évêque de Smyrne, destinataire d’une lettre d’Ignace d’Antioche et disciple de l’apôtre Jean.
Nous retrouvons ensuite sa trace en Gaule, à Lyon, à l’époque de la persécution de 177 qui fit de nombreuses victimes dans les communautés chrétiennes locales. Irénée fait alors partie du collège des prêtres. Il devient successeur du martyr Pothin, premier évêque de Lyon, victime à 90 ans de la persécution de Marc Aurèle. Irénée échappe au massacre, car il était à ce moment-là en mission à Rome. Une fois évêque, il s’emploie principalement à contrecarrer l’hérésie gnostique qui, venue d’Orient, remontait peu à peu la vallée du Rhône. Son ministère épiscopal s’achève vers 202-203, probablement par le martyr.
Les ossements du saint évêque, déterrés et dispersés lors du saccage des protestants en 1562, reposeraient aujourd’hui dans la crypte du sanctuaire de Saint-Irénée, l’un des plus anciens édifices religieux chrétien de Lyon.
Proclamer des vérités de foi
«Homme de paix» - c’est la signification de son prénom en grec -, Irénée était aussi un grand théologien, pourfendeur des déviations sectaires qui pullulaient à son époque. Il était pourvu d’une solide culture, et surtout d’une âme de pasteur qui sait ramener la brebis égarée à la vérité tout en repoussant au loin l’erreur mortifère.
Il nous reste de lui la Réfutation et destruction de la fausse gnose, ouvrage en cinq volume appelé plus brièvement Contre les hérésies (Adversus haereses) et la Démonstration de la prédication apostolique, sorte de catéchisme de la foi catholique.
Par ses arguments, Irénée renverse la logique des doctrines gnostiques. Outre un programme polémique, il expose aussi la véritable gnose, élaborant un important système théologique afin d’expliquer de manière synthétique toute l’histoire du salut. À cet égard, il est considéré comme le premier «théologien de l’histoire».
Affirmer l’unité
Pour mieux comprendre ce qu’est la gnose combattue par la second évêque de Lyon, référons-nous à l’explication donnée par Benoît XVI dans sa catéchèse consacrée à saint Irénée: il la définit comme «une doctrine qui affirmait que la foi enseignée dans l'Eglise ne serait qu'un symbolisme destiné aux personnes simples, qui ne sont pas en mesure de comprendre les choses difficiles; au contraire, les initiés, les intellectuels, - on les appelait les gnostiques - auraient compris ce qui se cache derrière ces symboles, et auraient formé un christianisme élitiste, intellectuel. Bien sûr, ce christianisme intellectuel se fragmentait toujours plus en divers courants de pensées souvent étranges et extravagants, mais qui attiraient de nombreuses personnes. Un élément commun de ces divers courants était le dualisme, c'est-à-dire que l'on niait la foi dans l'unique Dieu, Père de tous, Créateur et Sauveur de l'homme et du monde. Pour expliquer le mal dans le monde, ils affirmaient l'existence, auprès de Dieu bon, d'un principe négatif. Ce principe négatif aurait produit les choses matérielles, la matière».
À l’encontre du dualisme fondamental, Irénée affirme l’unité: un est Dieu, un est le Christ, un est l’homme, une est l’Église, une est la foi. Dès lors, on comprend mieux le titre que voudrait lui conférer François en le proclamant “doctor unitatis”, docteur de l’unité.
Le Pape François s’est d’ailleurs inscrit dans le sillage de saint Irénée en mettant en garde contre le «gnosticisme actuel» dans son exhortation apostolique sur l’appel à la sainteté Gaudete et Exsultate (II, 36-46). «Le gnosticisme est l’une des pires idéologies puisqu’en même temps qu’il exalte indûment la connaissance ou une expérience déterminée, il considère que sa propre vision de la réalité représente la perfection», avertit-il notamment.
Des lumières pour notre foi
Le riche enseignement d’Irénée explore bien d’autres sujets. Comme une source intarissable, il peut alimenter nos réflexions sur des défis contemporains: l’économie et l’homme, la venue du Christ, la Vierge Marie, l’Esprit et l’Église. Sa théologie s’avère profondément attachée aux racines bibliques de la pensée chrétienne. Comme l’expliquait Benoît XVI, il nous rappelle que «le véritable Évangile est celui enseigné par les évêques qui l'ont reçu des apôtres à travers une chaîne ininterrompue», et non pas celui issu de spéculations d’intellectuels. De cette manière, Irénée invite en quelque sorte à une simplicité de la foi. «On n’amplifie pas la foi en en parlant beaucoup, et on ne la diminue pas en en disant moins, car la foi est une et identique», assure-t--il (A.H I, 10,3).
Le second évêque de Lyon s’attache aussi à orienter le regard des fidèles vers Rome. En effet, en «adhérant à cette foi transmise publiquement par les Apôtres à leurs successeurs, les chrétiens doivent observer ce que les évêques disent, ils doivent suivre en particulier l'enseignement de l'Église de Rome, prééminente et très ancienne. (…) Toutes les Églises doivent être en accord avec l'Église de Rome, en reconnaissant en elle la mesure de la véritable tradition apostolique, de l'unique foi commune de l'Église», précise Benoît XVI.
L’amour d’Irénée pour l’Église transparait sous sa plume, et c’est comme un encouragement qu’il nous laisse aujourd’hui: «Il faut nous réfugier auprès de l'Église, nous allaiter de son sein, et nous nourrir des Écritures du Seigneur, car l’Église a été plantée comme un paradis dans le monde.» (A. H. V, 20, 2).
L’infatigable pasteur en est conscient: chaque homme porte en lui le désir de plénitude et de vérité. À l’homme du 21e siècle fatigué du consumérisme et de vaines glorioles, il indique une voie de bonheur qui ne connaît pas l’usure du temps: vivre dans l’amour de Dieu, reçu et donné, dans l’espérance de Le voir face-à-face dans l’éternité, le cœur purifié. «La gloire de Dieu c'est l'homme vivant, et la vie de l'homme c'est la vision de Dieu: si déjà la révélation de Dieu par la création procure la vie à tous les êtres qui vivent sur la terre, combien plus la manifestation du Père par le Verbe procure-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu» (A.H IV 20,7).
Sources : Pierre Beatrick, Introduction aux Pères de l’Église, ISG edizioni ; Adalbert-G. Hamman, Pour lire les Pères de l’Église, éditions du Cerf, 2010.
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