«Nous espérons reconstruire la démocratie», témoigne une religieuse birmane
Antonella Palermo - Cité du Vatican
Sœur Beatrice Maw fait partie de la congrégation des sœurs de la Réparation. Elles sont près de 400 religieuses à vivre en Birmanie et dans d’autres pays. Toutes suivent, de près ou de plus loin, le conflit civil birman déclenché par le coup d'État du 1er février.
Actuellement, 130 sœurs de la Réparation sont présentes dans 16 diocèses de Birmanie, avec 62 couvents. En raison des tensions, certaines de leurs activités dans les écoles, les centres de santé et les prisons ont été suspendues.
Une population en détresse
À la mi-septembre, selon l'agence de presse AsiaNews, environ 30 000 personnes ont été contraintes de fuir la région de Magwe, au centre de la Birmanie, en raison d'affrontements entre l'armée et les Forces de défense populaires. Dans l’État Chin, des milliers de civils ont dû quitter leurs maisons, souvent incendiées, et se réfugier de l'autre côté de la frontière, en Inde voisine. Après que le gouvernement fantôme, composé d'opposants en exil, a appelé la population à se rebeller contre la junte militaire en septembre dernier, une recrudescence des affrontements a eu lieu dans tout le pays.
Environ 250 000 habitants sont actuellement déplacés et vivent dans des conditions précaires. Les militaires auraient accepté un cessez-le-feu jusqu'à la fin de l'année pour garantir la distribution de l'aide, mais ils ne respectent pas leur engagement.
Climat de peur et d’intimidation
Sœur Beatrice est arrivée en Italie en 2007, d'abord pour des études, puis elle est restée à Milan en tant que responsable d'une communauté s’occupant d’une école maternelle. Jusqu'à sa profession religieuse, elle était en Birmanie, en mission dans un établissement scolaire, puis auprès de personnes âgées à Rangoun, où les sœurs de la Réparation gèrent une maison qui accueille plus de 200 personnes âgées - bouddhistes, musulmanes, hindoues et chrétiennes.
Ces dernières semaines, qu'avez-vous entendu à propos de votre pays?
Le 5 novembre, une balle de canon est entrée dans notre maison et n'a heureusement pas explosé. Aujourd'hui même, j'ai reçu des nouvelles d'un ami dans la capitale, où huit personnes sont mortes, dont des soldats. Une de mes amies, qui vit toujours là-bas, m'a dit que du haut de son immeuble de huit étages, elle voit toujours des gens qui espionnent, engagés par les militaires et qui transmettent des informations à l'armée. Elle m'a dit qu'elle a vu un homme qui était assis dans un bar et qui a soudainement commencé à tirer, puis il est parti comme s'il n'avait rien fait. C'est dramatique de tuer des gens. Ceux qui sont sur le terrain vivent une tension constante, jour et nuit.
Comment vos couvents survivent-ils?
En Birmanie, il y a sept États, dans deux desquels nous avons de nombreux monastères. Ceux qui y vivent tentent de s'échapper : s'ils y parviennent, ils ne laissent pas les personnes qui logent avec eux. Il y a donc des personnes âgées, des femmes et des enfants qui risquent leur vie. Malgré cette situation de plus en plus grave, nous gardons nos portes ouvertes. Les malades, les enfants, les personnes âgées, aussi longtemps que nous le pouvons. Nous offrons toujours un coup de main à ceux qui le demandent. Aucune personne qui frappe à la porte n'est refusée si elle a besoin d'un abri.
Qu'en est-il des manifestations de rue, avec beaucoup de jeunes ?
Elles ne sont pas terminées, mais elles ont changé. Ils ne peuvent pas vraiment manifester pacifiquement, ils risquent trop. Il existe cependant des formes de protestation : les jeunes se comprennent de telle sorte que dès que quelqu'un sort dans la rue avec un drapeau, celui qui est prêt commence à le suivre de manière impromptue. Souvent, ils s'organisent la nuit en brûlant divers matériaux pour éclairer les rues.
Quel souvenir gardez-vous de la messe célébrée par le Pape François au Vatican pour les fidèles birmans le 16 mai dernier ?
J'étais là. Un peuple dans la douleur a vraiment été accueilli. J'ai vraiment senti qu'il [le Pape] était comme une mère qui console ses enfants, sans faire de distinction, il nous a tous salués. Nous avons tous été réconfortés par la présence du Saint-Père, surtout par l'affection et l'attention qu'il nous a accordées.
Nous nous souvenons tous de l'image de sœur Anne Rose agenouillée dans la rue, essayant d'arrêter les soldats. Quel fruit ce geste a-t-il porté ?
Je ne peux pas dire quel bien ça a fait. Mais je peux dire que ma nièce était aussi présente ce jour-là. Elle m’a raconté que c'est grâce à cette religieuse qu'elle a pu s'échapper. Aujourd'hui encore, elle voue une grande admiration à cette femme. La deuxième fois, malgré ce geste extrême, deux personnes ont été tuées. Lorsque les photos ont circulé, j'ai immédiatement essayé de contacter mes neveux qui suivaient les événements. J'avais de l'appréhension, une nièce m'a dit qu'elle était dans le cortège pour les funérailles d'une victime musulmane qui devait être enterrée immédiatement. Cela m'a donné du courage à moi aussi, qui vis ici, d’être au courant de cette préoccupation.
Comment voyez-vous l’avenir de votre pays ?
Nous aurons un avenir pacifique et juste lorsque nous aurons la démocratie. Malgré tout, nous sommes encouragés par la fermeté des personnes qui se sont unies dans leurs différents groupes ethniques pour la lutte. Bientôt, nous allons gagner et nous allons reconstruire.
Quel appel avez-vous envie de lancer à un moment où presque rien n'est dit sur la situation ?
Je voudrais lancer un appel à tous les gouvernements et à toutes les associations qui, avant tout, nous ont connus et nous ont invités à ne pas nous taire, pour nous aider à sortir de cette situation absurde. Nous espérons reconstruire la démocratie, la liberté et la paix. Sans l'aide d'autres pays, nous ne réussirons pas seuls.
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