Bloody Sunday: l’Eglise nord-irlandaise entre mémoire et réconciliation
Claire Riobé – Cité du Vatican
«Je crois que les habitants d’ici ont toujours trouvé le moyen de vivre en portant un regard de miséricorde sur ce qui s’est passé.» Mgr Donal McKeown, évêque du diocèse de Derry, a célébré, le 28 janvier, une messe en souvenir du cinquantième anniversaire du Bloody Sunday («dimanche sanglant» en anglais). Entre mémoire et pardon, l’évêque catholique nord-irlandais revient sur les événements traumatiques qui ont a jamais marqué l’Histoire et les mémoires de cette nation du Royaume-Uni.
«J’ai demandé aux fidèles de regarder le passé avec compassion, de pardonner et de faire mémoire. Non pas de pardonner et d’oublier, mais pardonner et faire mémoire, pour aller de l’avant. Car nous méritons d’être les architectes de notre futur plutôt que les prisonniers de notre passé», affirme-t-il.
Le dimanche 30 janvier 1972, les citoyens de la ville de Derry organisent une marche pour les droits civiques. A majorité catholiques, les habitants défilent pour réclamer l’égalité des droits avec les protestants d’Irlande du Nord. Alors qu’un conflit latent agite depuis 1968 la région, déchirée entre protestants et catholiques, l’armée britannique dépêche le premier régiment de parachutistes, qui ouvre le feu sur les manifestants. Le massacre fait 13 morts dont 7 mineurs, et 14 blessés.
Trois décennies de violence
Point d’orgue du conflit nord-irlandais, le Bloody Sunday reste des années durant une plaie à vif, preuve brutale de la domination britannique en Irlande du Nord. Le 10 avril 1998, l’Accord du Vendredi saint est finalement signé. Négocié par les gouvernements britannique et irlandais avec l’appui de l’Union Européenne et des Etats-Unis, il met fin aux trente années de «Troubles», qui ont fait plus de 3 500 morts.
Lors de la prière du Regina Cæli, trois jours plus tard, Saint Jean-Paul II déclarait : «Prions le Seigneur afin que chacun, en écoutant sa propre conscience, ait le courage d’accomplir des gestes responsables et concrets qui permettent à tous de parcourir ensemble le chemin de la Paix, en conjurant ce qui pourrait ramener à la haine et à la violence.»
Des actes responsables et concrets que les victimes du Bloody Sunday attendront de nombreuses années. Les Accords du Vendredi saint sont perçus par de nombreuses victimes comme une trahison de confiance, qui les prive de justice, elles et leurs proches. Ce n'est qu'en 2010, lors d'excuses solennelles aux familles des manifestants assassinés, que le Premier ministre David Cameron reconnait la responsabilité du gouvernement britannique, en qualifiant d’«injustifiable» le massacre opéré par l’armée.
L’Eglise, acteur et moteur de la réconciliation
Le 28 janvier 2022, Mgr Donal McKeown a célébré une messe en souvenir des victimes du conflit. Des représentants de l’Eglise anglicane, parmi lesquels l’évêque Andrew Forster, étaient présents en signe de fraternité et de paix.
Dans les années qui ont suivi le Bloody Sunday, les Eglises catholique et anglicane de la ville de Derry ont été moteur de la reconstruction de la paix fragile entre les citoyens d’Irlande du Nord. Et cela bien avant les responsables politiques, rappelle Mgr Donal McKeown: «Sur le chemin de la réconciliation, l’Eglise catholique et l’Eglise anglicane ont toujours eu un temps d’avance sur la politique».
Mgr Edward Daly, figure éminente de l’Eglise catholique nord-irlandaise, l’aura incarné : jeune prêtre présent le jour du Bloody Sunday, il a dévoué sa vie à la réconciliation et à la reconstruction de la paix, main dans la main avec les autorités anglicanes. Pour Mgr Donal McKeown, les deux Eglises peuvent aujourd’hui apporter de leur «sagesse» et ont un rôle de «partenaires civiques» dans les discussions et débats entre les autorités anglaises et nord-irlandaises.
«Le futur appartient à ceux qui peuvent faire naitre l’espoir du passé»
Cinquante ans après le massacre du Bloody Sunday, «la guerre est finie mais de nombreuses tensions demeurent», reconnait l’évêque de Derry. Tensions ravivées «par le Brexit et à l’idée que l’Irlande du Nord appartient à la République d’Irlande plutôt qu’aux Royaume-Unis». Un combat avant tout politique, qui doit aujourd’hui être réglé «avec la politique» pour Mgr Donal McKeown.
«Notre travail à nous est de faire en sorte que différentes cultures et identités puissent être célébrées ensemble et non pas susciter de la crainte. C’est ainsi que nous pourrons surmonter la peine de notre passé et construire notre futur (…). Car le futur appartient à ceux qui peuvent faire naitre l’espoir du passé.»
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