15 ans après sa mort, le combat de l'Abbé Pierre dure encore
Olivier Bonnel - Cité du Vatican
C’est une voix qui va marquer la France de l’Après-guerre, un cri qui va rester célèbre, celui de «l’insurrection de la bonté». Dans cet hiver 1954 où la France grelote par moins 20 degrés, une femme est morte de froid dans les rues de Paris, son billet d’expulsion dans la main. Sur les ondes de Radio Luxembourg, l’abbé Pierre réveille les consciences. Les dons de vêtements vont affluer et partout en France les communauté Emmaüs, créées quelques années auparavant, vont essaimer.
Entré en 1931 chez les frères capucins, où il prend le nom de frère Philippe, Henri Grouès, de son nom de naissance, quitte l'ordre quelques années plus tard en raison de sa santé fragile. Il sera ordonné prêtre en 1938, incardiné dans le diocèse de Grenoble. Engagé dans la Résistance, notamment dans le massif du Vercors, il y gardera le nom "d'Abbé Pierre". Les années d'après-guerre le voient s'engager en politique. Il sera élu député de Meurthe-et-Moselle, apparenté au MRP. Mais la politique laisse bien vite le champ aux actions caritatives. En 1949, la première communauté Emmaüs voit le jour à Neuilly-Plaisance, près de Paris. La France est alors parsemée de bidonvilles, la pauvreté est partout. L'Abbé Pierre devient un mendiant, mais lui et ses compagnons vivent de dons et de matériaux récupérés.
Humble dans son service pour Dieu
15 ans après sa mort, le célèbre prêtre laisse un vide, mais son combat et son énergie ont laissé une empreinte profonde. Pour Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre, cette disparition n'est pas sans émotion. «Il est parti pour "ses grandes vacances" comme il disait. Il a beaucoup contribué, en France mais aussi à l'échelle internationale à porter un autre regard sur les personnes en situation d'exclusion. Son plaidoyer non partisan, mais politique, a beaucoup pesé dans la cause des plus fragiles. Si son absence nous rend tristes, elle nous redonne beaucoup d'espoir, car on se remémore cette force».
La silhouette fluette de l'Abbé Pierre va devenir célèbre. Partout on voit son béret et sa capeline auprès de familles de la rue, avec ses compagnons. Avec des politiques aussi, qu'il a fréquentés auparavant. Le prêtre est un habile communicant au service de son œuvre. En décembre 1953, il convainc ainsi un de ses amis sénateurs de faire voter au Parlement la création de “cités d’urgence“. « La beauté d’une ville n’est ni dans ses musées ni dans ses cathédrales. La beauté d’une ville, c’est de ne pas avoir de taudis, de ne pas avoir de sans-logis » disait-il.
Les souffrants les premiers servis
Cristina Mathias a 58 ans aujourd’hui. Il y a quelques années, elle s’est faite expulser de son logement et s’est retrouvée contrainte de vivre quatre mois dans sa voiture, avec ses trois chats. Des volontaires de la fondation Abbé Pierre ont toqué à son carreau, lui ont trouvé un toit dans un hôtel. Cristina vit aujourd’hui dans une pension de famille. Elle garde un souvenir ému du prêtre des sans-logis. «C'est un grand homme, un grand monsieur avec un grand "M". Il est resté dans l'humilité, a fait beaucoup pour rapatrier des personnes qui vivaient dans la rue. Comme Mère Theresa, il est resté humble dans son service pour Dieu» explique t-elle, soulignant que l'Abbé Pierre «n'avait pas peur d'embrasser les personnes, de les entourer, de les caliner».
Le mal logement et l’exclusion sont toujours des thèmes hélas bien actuels en France. Manquer d’un toit est la première perte de dignité. Un combat qui n’est pas facile, mais les intuitions de l’Abbé Pierre sont toujours là pour le mener. «Quand on se bat pour la cause des plus fragiles on est parfois malmenés, on se bat, on se demande parfois si l'on se trompe, explique Christophe Robert, et puis lorsque l'on repense ou que l'on relit l'Abbé Pierre on se dit que non, la question ne se pose pas, c'est de l'humanité dont on parle».
«Je lui ferais un gros bisou explique Cristina Mathias si elle avait l'Abbé Pierre face à elle aujourd'hui, et après je lui dirais merci monsieur l'Abbé, pour toutes les familles qu'il a sorties de la rue. Il a donné sa petite pierre, il faudrait que tout le monde puisse se retrousser les manches comme lui».
Immensément populaire en France, mais aussi à l’étranger, le prêtre n’aura de cesse d’être une «voix des sans-voix», des petits. L’Abbé Pierre refusera la légion d’honneur, expliquant que «l’honneur exige que les plus souffrants soient servis les premiers». L'Abbé Pierre s'éteint le 22 janvier 2007 à l'hôpital du Val-de-Grâce à Paris des suites d'une infection pulmonaire. Les hommages sont légion, en France comme à l'étranger. Au Vatican, le Pape Benoît XVI «rend grâce à Dieu pour la vie de l'Abbé Pierre et pour son action en faveur des plus pauvres» peut-on lire dans un télégramme. Il repose au cimetière d'Esteville en Normandie où il vécut dans une communauté Emmaüs pendant plusieurs années.
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