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Une manifestante birmane, à Rangoun le 17 février 2021. Une manifestante birmane, à Rangoun le 17 février 2021. 

Birmanie: un an après le coup d'État, les chrétiens appelés à être des «guérisseurs blessés»

Dans un entretien accordé à Vatican News à l'occasion du premier anniversaire du coup d'État militaire en Birmanie, le cardinal Charles Bo, archevêque de Rangoun, rapporte le sentiment du peuple birman et de l'Église locale. Il lance également un appel à la junte et à la communauté internationale.

Robin Gomes – Cité du Vatican

Alors que la Birmanie marque le premier anniversaire du coup d'État militaire, mardi 1er février, les évêques catholiques du pays réaffirment leur proximité avec le peuple qui souffre, exhortant l'Église et les chrétiens à être «les guérisseurs blessés» et «un instrument de paix».

«Nous ressentons votre douleur, votre souffrance, votre faim ; nous comprenons votre déception ; nous comprenons votre résistance», a déclaré l’archevêque de Rangoun dans un message adressé au peuple birman et envoyé à Vatican News à l’approche de l'anniversaire du coup d’État. «Mais à ceux qui ne croient qu'en une résistance violente, nous disons 'il y a d'autres moyens'», a ajouté le cardinal, qui est également président de la Conférence des évêques catholiques de Birmanie (CBCM).

Lors du coup d'État de 2021, les militaires dirigés par le général Min Aung Hlaing ont déposé le gouvernement élu et emprisonnée Aung San Suu Kyi, ainsi que d'autres dirigeants élus de la Ligue nationale pour la démocratie. Le coup d'État a déclenché des manifestations et des grèves généralisées, appelant à la libération de la prix Nobel et au rétablissement du processus démocratique.

Les forces de sécurité de la junte ont répondu par une répression sanglante des opposants au coup d'État, tuant près de 1 500 manifestants et en arrêtant plus de 11 700 à ce jour. Le coup d'État a marqué la fin de dix années de réformes en faveur d'un régime démocratique, après près de cinq décennies d'un dur régime militaire.

Un «chemin de croix» prolongé

Le cardinal Bo, qui a lancé de nombreux appels en faveur d'un retour pacifique à un régime civil et du respect des droits de l'homme et de la liberté, a exprimé sa profonde inquiétude face à la situation désastreuse dans laquelle se trouve la population. Il a décrit les souffrances humaines endurées pendant un an sous le régime militaire comme «un chemin de croix étendu, le jardin d'Eden devenant le Mont Calvaire».

Selon les dernières estimations du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), les troubles en Birmanie auraient plongé près de la moitié des 54 millions d'habitants du pays dans la pauvreté, réduisant à néant les progrès réalisés depuis 2005.  On estime aujourd'hui que 14 États et régions sur 15 se situent en deçà du seuil critique de malnutrition aiguë. 

L'OCHA estime que sur les 54 millions d'habitants du pays, 25 millions vivent dans la pauvreté et 14,4 millions ont besoin d'une aide humanitaire sous une forme ou une autre. Ce chiffre comprend 6,9 millions d'hommes, 7,5 millions de femmes et 5 millions d'enfants. 

Avant le coup d'État, il y avait déjà quelque 340 000 personnes déplacées à l'intérieur du pays. Le coup d'État a poussé 321 000 autres personnes sur les routes. Les personnes déplacées sont très nombreuses, surtout dans les régions chrétiennes.

Le cardinal Bo, qui est également président de la Fédération des conférences épiscopales d'Asie (FABC), qualifie la situation actuelle de période de «chaos, de confusion, de conflit et d'agonie humaine en spirale». La population vit dans la peur, l'anxiété et la famine, «l'ensemble de la Birmanie est une zone de guerre», a-t-il déclaré.

Un conflit qui s'élargit

Le cardinal, âgé de 73 ans, a déclaré que les évêques continuent d'accompagner leur peuple, «en plaidant pour un accès humanitaire et en exhortant toutes les parties à s'engager sur la voie de la paix et de la réconciliation.»

L'offensive de l'armée contre les manifestants a ravivé de vieux conflits avec les groupes rebelles armés du pays, en particulier dans les régions à prédominance chrétienne habitées par les groupes ethniques Kachin, Chin, Karen et Kayah. En outre, de nombreux groupes indépendants de résistance civile ont vu le jour pour se défendre contre les atrocités commises par la junte.

Les chrétiens pris pour cible

Parmi les régions les plus touchées par le conflit armé figurent les États de Chin, Kayah et Karen. Les églises qui accueillent les personnes déplacées fuyant les affrontements entre l'armée et les groupes armés sont prises pour cible, perquisitionnées et bombardées par les militaires. Des prêtres et des pasteurs sont arrêtés, tandis que de nombreux civils non armés, y compris des chrétiens, ont été tués.

Le conflit entre l'armée et les groupes armés a entraîné un grand nombre de personnes déplacées à l'intérieur du pays et au-delà de ses frontières. Les experts des Nations unies ont exprimé la crainte que le pays ne bascule dans une véritable guerre civile aux conséquences dramatiques.

Le cardinal Bo a déploré les attaques contre les lieux de culte où des personnes cherchant refuge ont été tuées. La Conférence des évêques catholiques de Birmanie a dénoncé avec force le massacre d'au moins 35 civils, dont 4 enfants et des travailleurs humanitaires, qui ont été brûlés et tués à la veille de Noël dans le village de Mo So, dans l'état de Kayah.

Guérisseurs et artisans de paix

Les chrétiens ont «lourdement souffert» à cause du coup d'État, affirme le cardinal Bo qui leur a exprimé la proximité de l'Église dans leur «chemin de croix».

«Mais en tant qu'Église et en tant que chrétiens, nous suivons la direction du pape François», poursuit le cardinal qui propose aux chrétiens de devenir «guérisseurs blessés», «soyons un instrument de paix ; allumons une bougie d'espoir au milieu de l'obscurité frustrante

Le respect nécessaire des droits fondamentaux

S'adressant aux dirigeants militaires, le président des évêques de Birmanie les a assurés de l'engagement de l'Église pour le bien du peuple et pour la résolution pacifique de tous les problèmes.

«Nous n'avons cessé d'appeler au dialogue, à la libération des personnes détenues, à une plus grande liberté d'expression et au respect des droits fondamentaux de tous», a déclaré le cardinal, qui a lancé un appel urgent pour que l'aide humanitaire parvienne aux millions de personnes touchées.

«N'oubliez pas la Birmanie»

Le cardinal a par ailleurs déploré qu'après l’intérêt initial «la Birmanie semble avoir disparu du radar du monde». Il a donc exhorté la communauté internationale à ne pas oublier le pays et à l'aider dans sa lutte pour le rétablissement de la paix. Il a ajouté qu'elle pouvait le faire notamment en mettant fin à l'approvisionnement en armes et en accordant un meilleur accès humanitaire à la population.

Le Pape François et la Birmanie

À plusieurs reprises, le Pape François qui s'est rendu en Birmanie en novembre 2017 a joint les appels lancés dans le monde entier pour une résolution pacifique de la crise birmane. 

Son premier appel a été lancé le 7 février 2021. Lors de la prière de l'angélus, le Saint-Père a évoqué avec émotion sa visite de 2017, assurant le peuple de sa proximité spirituelle, de ses prières et de sa solidarité.

«Et je prie pour que ceux qui ont des [postes de] responsabilité dans le pays se mettent avec une volonté sincère au service du bien commun, en promouvant la justice sociale et la stabilité nationale, pour une coexistence harmonieuse et démocratique», a déclaré le Pape, invitant les fidèles à un moment de prière silencieuse.

À une autre occasion, François a été profondément ému par le témoignage d'une religieuse xavérienne de 45 ans, sœur Ann Roda Nu Tawng, qui, le 28 février, a osé s'approcher d'un bataillon de forces de sécurité armées à Myitkyina, la capitale de l'État Kachin. Tombant à genoux, elle les a suppliés, les mains croisées, de ne pas faire de mal aux manifestants pacifiques qui s'abritaient dans la clinique où elle officiait.

«Moi aussi, je m'agenouille dans les rues de Birmanie et je dis: arrêtez la violence!», a déclaré le Pape François, dans une référence évidente à la religieuse. «Moi aussi, je tends les bras et je dis: laissez le dialogue prévaloir», a ajouté le Saint-Père, déplorant les nombreuses vies perdues, notamment celles des jeunes.

Dans son dernier message Urbi et Orbi, le Pape a prié pour ce pays, où «l'intolérance et la violence ne sont pas rares à l'encontre de la communauté chrétienne et de ses lieux de culte, assombrissant le visage pacifique de ce peuple».

Et plus récemment, s'adressant au corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, le 10 janvier dernier, le Souverain Pontife a estimé que «le dialogue et la fraternité sont des plus urgents pour affronter avec sagesse et efficacité la crise qui, depuis près d'un an, touche la Birmanie». «Ses rues, autrefois lieux de rencontre, sont désormais le théâtre de combats qui n'épargnent même pas les maisons de prière», a déploré le Saint-Père.

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31 janvier 2022, 14:30