L'engagement de l'Église en Birmanie, un an après le putsch
Entretien réalisé par Marie Duhamel - Cité du Vatican
Le 1er février dernier, l’armée birmane mettait fin à une décennie de transition démocratique. Les militaires conduits par le général putschiste Min Aung Hlaing annulaient les élections législatives remportées en novembre 2020 par la Ligue démocratique d’Aung San Suu Kyi. La prix Nobel de la paix était placée en détention comme de nombreux élus, qui restent emprisonnés à ce jour, souvent condamnés à de lourdes sentences.
Protestant contre la nouvelle incarcération de la dirigeante politique, déjà privée de liberté par la précédente junte de 1989 à 2010, la population se mobilise de manière pacifique et surtout inédite. Pendant des semaines, la société civile descend dans la rue dans les plus grandes villes du pays. L’atmosphère est alors plutôt bon enfant, on voit des jeunes déguisés défilés à Rangoun, rappelle un missionnaire français en Birmanie depuis plusieurs années. Le soir à 20 heures, des concerts de casseroles sont organisés dans la capitale. Un grand mouvement de désobéissance civile est lancée par des fonctionnaires, le personnel soignant en particulier. Il faut dire que la junte a rapidement réagi, réprimant dans le sang ses détracteurs. En un an, près de 1 500 personnes sont tuées, près de 12 000 sont interpellées, selon une ONG locale qui récence des cas de viols, de tortures et d’exécutions extrajudiciaires.
La répression ne met pas fin au mouvement. La «révolution du printemps» a pris les armes dans l’espoir de faire tomber les militaires pour réinstaurer la démocratie. Les poches de rébellion, tenues par des jeunes ou des groupes ethniques qui se sont réarmés, se sont multipliés pour affronter l’armée.
Des atrocités dans l'État Chin
«Certaines régions sont pacifiées», relate le missionnaire. Actuellement à Rangoun, il ne voit que rarement des hommes armés. «Dans les rues, on voit quelques tags et des petits stickers ici ou là, mais il n’y a plus de traces des manifestations passées». Sur place, des commerces restent fermés mais la ville a retrouvé une certaine animation. «C’est business as usual, ou presque car il y a quand même une grande crise financière», affirme le prêtre. Mais à Rangoun, «on a une vue un peu biaisée», poursuit-il, car des combats sont quotidiens dans d’autres États, notamment dans le plus pauvre du pays, l’État Chin situé à l’ouest, et à l’est dans l'État Kayah, à 50% catholique.
Selon des témoignages recueillis par le missionnaire, des «actes de barbarie» ont été commis sur place. «La violence est le fait des deux camps malheureusement, mais surtout du côté de celui qui a les armes… ‘du gouvernement’, si l’on peut appeler ça comme ça». Plusieurs massacres de villageois ont été imputés aux militaires.
Il règne un climat de méfiance et de peur parmi la population locale, «et c'est sans doute voulu». Des rumeurs signalant l’arrivée de l’armée poussent des communautés à la fuite.
L'Église engagée coûte que coûte auprès des déplacés
Depuis le début des combats, 300 000 civils ont été déplacés. «L’Église catholique essaie de faire du bien à ce niveau-là, en accueillant [les déplacés] dans des endroits plus calmes mais c’est très compliqué parce que c’est parfois interdit», relate le missionnaire. «J’ai appris qu’un prêtre avait été menacé de prison pour avoir distribué du riz. Les gens qui distribuent sont considérés comme des rebelles. Mais l’Église quand même y arrive en faisant passer du riz ou des médicaments mais au niveau local», en entrant aussi en dialogue avec les autorités même si cela est parfois mal perçu.
Depuis peu, la quasi-totalité des églises a rouvert dans le pays. «Dès qu’on peut, on célèbre normalement». Les évêques appellent à la paix, comme le cardinal Charles Bo sur les ondes de Vatican News ce lundi, mais également à la prière, avec des temps d’adoration ou la récitation du chapelet «pour réconforter les populations chrétiennes qui sont tourmentées en leur donnant un peu d’espoir, le vrai espoir chrétien.»
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici