Fraternité humaine: les miraculés de Duékoué
Marie Duhamel – Vatican News
«Nous, on veut la paix»: en novembre dernier, une quinzaine de musiciens ivoiriens appelaient à la fin des affrontements liés à la présidentielle d’octobre ; tous avaient à l’esprit le spectre des violences post-électorales de 2010 entre les forces du président reconnu par la communauté internationale, Alassane Ouattara, et celles du président sortant, Laurent Gbagbo.
Le 6 avril 2011, après 5 mois d’affrontements dans le pays d’Afrique de l’Ouest, Benoît XVI lance un appel en faveur de la paix devant des milliers de personnes rassemblées sur la place Saint-Pierre: «Depuis longtemps, ma pensée va souvent aux populations de la Côte d’Ivoire, traumatisées par de douloureuses luttes internes et de graves tensions sociales et politiques. Alors que j’exprime ma proximité à tous ceux qui ont perdu un être cher et souffrent de la violence, je lance un appel pressant afin que soit engagé le plus vite possible un processus de dialogue constructif pour le bien commun. L’opposition dramatique rend plus urgent le rétablissement du respect et de la cohabitation pacifique. Aucun effort ne doit être épargné dans ce sens.»
L’ouest, point névralgique des combats
En Côte d’ivoire, le conflit politique a été doublé d’un conflit interethnique, faisant plus de 3 000 morts, dans l’ouest notamment où Guérés et Allogènes essentiellement Malinkés s’entretuent à proximité de la mission salésienne de Duékoué. «La situation était très tendue et nous savions qu’à un moment donné ça allait dégénérer», se souvient le père Cyprien Ahouré, en poste sur place depuis un an. Invités à quitter les lieux, les salésiens inspirés par le Bon Samaritain refusent de quitter la mission. «On s’est dit que l’Église a toujours joué un rôle d’accueil, de compassion, de soutien à toutes les personnes désespérées et il n’était pas question pour nous de partir». Les religieux tiennent à pouvoir offrir un abri à ceux qui se trouveraient en difficulté. Ils laissent la porte de la mission ouverte. Ils n’ont aucun moyen de sécuriser le lieu mais «le Christ était avec eux» et la mission s’est très vite remplie. «Les gens avaient confiance en nous» se souvient le père Cyprien.
30 000 déplacés à la mission catholique
Baluchons sur la tête, les villageois arrivent par milliers. Ils seront plus de 30 000 -chrétiens, musulmans et animistes- à s’entasser dans les trois hectares de la mission où ils ont trouvé refuge. S’élèvent des tentes et d’autres baraquements, les cris des enfants se mêlent aux pleurs des anciens. La situation humanitaire est intenable.
«C’est une immense population. Avec la peur des combats qui ont eu lieu entre lundi et mardi, les gens ont fui et se sont tous rendus à la mission catholique pour chercher la sécurité, trouver refuge et pouvoir se protéger. Il y a eu beaucoup de morts dans les quartiers, surtout les hommes, les jeunes. Dans cette confusion, tout le monde est considéré comme milice. La situation est dramatique à Duékoué. Il y a eu un cas de choléra isolé, la personne est décédée. Il y a un problème d’eau, de nourriture. C’est catastrophique. Nous n’avons qu’un château d’eau ici, notre pauvre château d’eau de la communauté qui ne suffit même pas avec l’eau de pluie. On a pas encore donné de nourriture. Les gens se débrouillent avec ce qu’il ont, un peu de pain, un peu de pâte alimentaire. Mais c’est pas suffisant. Déjà la situation nous dépasse», racontait le père Cyprien le 1er avril 2011.
Le témoin d’un miracle
Il n’y a eu aucun support psychologique mais Médecins sans frontières et la Croix-Rouge ont finalement apporté de la nourriture et des médicaments à la mission catholique, et si certains, parmi les plus faibles ont perdu la vie en raison de la malnutrition ou par manque de soin, les réfugiés de Duékoué, protégés en partie par la force des Nations unies, ont été épargnés par les violences.
«Quelque chose de miraculeux s’est passé, je peux vous le garantir. On a reçu des obus qui sont tombés sur le toit de la communauté sans exploser. On a reçu des balles perdues qui ont eu un impact sur notre maison, mais on pas eu de personnes gravement touchées dans notre paroisse. On s’est dit que le Seigneur nous a protégés. Ceux qui sont restés à la mission catholique ont trouvé la vie», constate aujourd’hui le père Cyprien. Il note également combien l’expérience de la peur partagée a renforcé le sentiment de fraternité entre les déplacés. Il ne l’oubliera pas: «je peux dire que c’était le moment le plus agréable de toute mon existence parce que j’ai vraiment vu la fraternité entre les hommes qu’ils soient musulmans, animistes ou chrétiens. Ils ont su se soutenir, être ensemble, partager ensemble. C’est le plus important. Personnellement, j’ai été très édifié à cette époque-là».
Des efforts qui ont porté leurs fruits
À l’issue de la crise, et fort de cette expérience dramatique mais de grande fraternité entre personnes de toutes confessions, le père Ahouré s’est engagé dans un travail de profondeur afin de permettre aux populations locales de vivre ensemble, en paix.
Il a commencé par rendre visite aux chefs ethniques de Duékoué pour «faire comprendre d’abord aux Guérés que ceux qui sont venus chez vous ont été attirés par votre hospitalité. C’est votre fierté. Et puis, il fallait expliquer aux autres d’abord que si au départ il y avait eu des malentendus, les Guérés aussi sont vos frères, et ensuite que eux aussi sont des citoyens de Duékoué, et que Duékoué est chez eux». Le concept de citoyenneté locale a été développé.
Les dignitaires religieux se sont également mobilisés dans un même élan pour faire comprendre que «musulmans, chrétiens ou animistes, nous sommes tous des créatures de Dieu et appelés à être des artisans d’amour et de paix. Cela a été très long mais cela semble avoir porter des fruit aujourd’hui.
Aujourd’hui, les efforts passés semblent avoir porté leurs fruits. L’an dernier, alors que le Sud et l’Est du pays connaissaient une flambée de violences à l’approche de la présidentielle. La région de Duékoué ne s’est pas embrasée. Beaucoup reste sans doute à faire, mais Guérés, Malinkés, Dozos ou Burkinabés vivent aujourd’hui en paix.
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