Mgr Aveline: la Méditerranée a une responsabilité synodale
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Florence, Toscane, Italie
S’inspirant du pionnier de la diplomatie méditerranéenne, l’ancien maire de Florence durant les années 1950, Giorgio La Pira, les soixante évêques catholiques et soixante maires du pourtour méditerranéen ont signé «la Charte de Florence» sur le modèle des chartes manuscrites médiévales.
Ensemble, ils ont reconnu plusieurs points non exhaustifs, dont la protection d’un patrimoine commun, culturel, linguistique et religieux, comme sources de dialogue et d’unité; l’importance d’un engagement éducatif créant des programmes universitaires communs, la diplomatie des villes, le droit universel à la santé et protection sociale dans toute la région ou encore la dignité des politiques migratoires.
Entretien avec l’archevêque d’une des cités-écrins de la Méditerranée, la nouvelle Phocée, fidèle alliée de Rome durant l’Antiquité: Marseille. Mgr Jean-Marc Aveline, archevêque depuis août 2019, né en Algérie, diplômé entre autres en grec et hébreu bibliques, est l’un des «théoriciens» de la «théologie de la Méditerranée».
Que représente pour vous cette rencontre de Florence entre maires et évêques de la Mare nostrum?
Dans le contexte actuel de la crise ukrainienne et de la guerre en Europe, cette rencontre de Florence revêt une dimension prophétique. La mer Noire et la mer d’Azov font partie du bassin méditerranéen, qui finit à Gibraltar; nous en prenons conscience avec ces événements. Cette réunion signifie aussi que malgré toutes les difficultés, incompréhensions et réticences existantes, nous aspirons à travailler ensemble et avons commencé à le faire.
Par rapport à notre conversation d’avril 2021, le synode sur la Méditerranée n’est plus un horizon. Il est une réalité qu’il faut consolider grâce à de petites structures de communion et coopération en Méditerranée. Le choix d’avoir invité les maires montre aussi que nous pourrons avancer par les villes, par leurs âmes et identités fortes.
Qu’apporte cette présence des maires et quelle place pour ce tandem particulier «maire et évêque» dans la société?
Cela m’évoque qu’à la fois le maire et l’évêque sont dépassés par l’identité de leur ville. À Marseille, je suis frappé de voir combien le mythe fondateur de la ville qui remonte à 2 600 ans est toujours vivant. La cité a été fondée par le mariage d’une fille de la tribu locale avec un marin venu de Grèce, de Phocée. 2 600 ans plus tard, Marseille a conservé l’appellation de «cité phocéenne».
Cela montre que quelque chose de plus grand que nous existe, donc les responsables politiques ou religieux, mais aussi culturels, sont au service dans une ville «de ce quelque chose» qui les dépasse. Ils doivent comprendre l’âme de cette ville, sa vocation, afin d’être à son service en lui évitant de s’écarter du meilleur d’elle-même. C’est notre tâche. Nous l’avons commencée ce samedi avec les maires et les pasteurs.
Quelle est l’âme de Marseille en Méditerranée?
Elle est l’une des dernières villes cosmopolites du pourtour méditerranéen. Vraiment cosmopolite. Il y a une forte communauté juive, musulmane, bouddhiste, arménienne, comorienne. Elle représente un laboratoire. On la dépeignait comme porte de l’Orient, elle est aussi porte de l’Occident. Je pense qu’elle a beaucoup d’initiatives à prendre. En cela, je suis heureux que le maire de Marseille ait été présent à cette rencontre. Nous travaillons beaucoup ensemble, de même qu’avec les autres collectivités territoriales, la Région et le département.
L’Église est un partenaire. Elle a peu de moyens mais elle a une contribution à apporter, par cette dimension de spiritualité profonde en lien avec les autres responsables des communautés religieuses. Marseille peut donner cet exemple-là. La situation géographique et historique nous pousse à assumer cette responsabilité.
Que va devenir ce processus lancé autour de la Méditerranée? D’autres rencontres se répèteront-elles à l’avenir?
Avec les évêques oui. Nous nous sommes dit qu’elles pourraient avoir lieu tous les deux ans. Cela permet de nous rencontrer, de mieux nous connaître, mieux nous comprendre au fur et à mesure. C’est nécessaire mais il ne faut pas faire que cela. Nous avons aussi besoin de petites structures de coopération afin de tout concrétiser: telle ville avec telle autre, une région avec une autre.
Nous allons aussi intégrer les jeunes, maintenant dans cette démarche. Nous allons leur proposer de travailler avec nous, car ils ont l’élan de la vie, ils tissent facilement des relations. Nous, parfois sommes trop préoccupés par la survie de nos institutions.
Comment votre idée de convoquer un synode sur la Méditerranée a-t-elle fait son chemin?
J’ai été très heureux que le cardinal Gualtiero Bassetti l’ai citée en ouvrant les travaux de Florence, mais seul le Pape décide de la tenue d’un synode. Toutefois, il ne peut pas décider si nous ne montrons pas l’intérêt de la chose ou notre capacité à travailler ensemble. C’est tout l’enjeu. Si nous créons ces petites structures de coopération, de communion, la dimension synodale se réalise déjà et un synode lui permettra peut-être un jour de délivrer aussi un message pour le Monde. Telle est la responsabilité synodale de la Méditerranée.
Je mesure à quel point nous sommes liés à nos peuples. C’est beau ainsi et c’est pourquoi nous n’accepterons pas n’importe quoi. Nous serons vigilants à qui se consacrera aux migrants, qui à l’islam. Chacun a des préoccupations, qui ne sont pas idéologiques, mais celles de son peuple qu’il veut porter à la connaissance des autres pour pouvoir avancer.
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