L'œcuménisme à l'épreuve de la guerre en Ukraine
Entretien réalisé par Olivier Bonnel – Cité du Vatican
La guerre qui fait rage en Ukraine depuis près d’un mois a mis les Églises du pays au premier plan, à la fois dans l’organisation de l’aide et des secours aux civils, touchés par les bombardements, mais aussi au niveau ecclésial.
L’agression russe a en effet resserré les rangs au sein des différentes communautés chrétiennes ukrainiennes. Ainsi, le métropolite Onuphre, chef de l’Église orthodoxe ukrainienne rattachée au patriarcat de Moscou a, dès les premiers jours, condamné l’offensive russe, s’opposant à la ligne du patriarche Kirill.
«Œcuménisme du sang»
Le «conseil panukrainien des Églises et des communautés religieuses», qui comprend aussi des représentants des communautés juives et musulmanes a également condamné sans ambiguïté la guerre dans un communiqué. «On a une cohésion et une unité entre les Églises que l’on n’a jamais connues dans l’histoire de l’Ukraine» explique Pavlo Smytsnyuk, le directeur de l’Institut œcuménique de Lviv, à l’ouest de l’Ukraine, qui rappelle qu’en 2014, lors de la révolution de Maïdan -qui conduisit à la destitution du président pro-russe Viktor Ianoukovitch- « les Églises n’étaient pas d’accord sur l’interprétation de cet événement».
L’Église orthodoxe autocéphale, ralliée en 2019 au patriarche de Constantinople Bartholomée, tout comme l’Église gréco-catholique, le rite latin ou les Églises protestantes sont également à l’unisson dans le rejet de la guerre menée par la Russie et la condamnation des souffrances causées au peuple ukrainien.
L’œcuménisme s’est également renforcé au-delà des frontières de l’Ukraine, où nombre d’associations catholiques, protestantes ou orthodoxes travaillent de concert pour venir en aide aux réfugiés.
Caïn et Abel
Si les liens sont resserrés entre les différentes confessions chrétiennes d’Ukraine, cette guerre a en revanche créé des tensions au sein du monde orthodoxe, en particulier avec le patriarcat de Moscou. «Pour eux, cette guerre est un défi plus grand peut-être que pour les autres», souligne Pavlo Smytsnyuk. Dans sa dénonciation de la guerre, le métropolite Onuphre avait utilisé la métaphore d’un frère qui attaque l’autre, comme Caïn qui tue Abel dans l’Ancien Testament.
Hors de Russie, les voix sont d’ailleurs de plus en plus discordantes au sein de l’Église orthodoxe pourtant rattachée au patriarcat moscovite, à commencer par la prise de distance de nombreux séminaires. De nombreux théologiens orthodoxes se sont aussi démarqués avec force avec la vision d’un «monde russe» promu par Vladimir Poutine où Moscou serait le centre politique et Kiev le berceau spirituel.
«Une des conséquences de la guerre pourrait être l’union de deux Églises orthodoxes d’Ukraine» affirme encore Pavlo Smytsnyuk, à savoir le ralliement de la branche ukrainienne du patriarcat de Moscou à l’Église autocéphale créée en 2019 et reconnue par le patriarche Bartholomée. «Beaucoup dépendra de la durée de guerre», pronostique le jeune théologien, qui espère que «les passions de la guerre n’empêcheront pas les chrétiens d'Ukraine de rester chrétiens. C’est-à-dire, d’aimer et de se respecter».
Entretien avec Pavlo Smytsnyuk, directeur de l’Institut œcuménique de Lviv, à l’ouest de l’Ukraine.
Depuis le début de la guerre, on a assisté à beaucoup de cohésion et d’unité entre les différentes confessions chrétiennes et les différentes Églises. Nous n’avions jamais vu cela dans l’histoire de l’Ukraine, même pendant la révolution du Maïdan de 2014. Alors, les Églises n’étaient pas d’accord sur la manière d’interpréter ces événements. Mais maintenant l’invasion russe a tout changé, on a eu des évêques de l’Église catholique, l’archevêque majeur gréco-catholique, des deux Églises orthodoxes d’Ukraine, les protestants qui ont condamné la guerre et ont appelé à la paix et ils ont aussi beaucoup coopéré pour aider les réfugiés et ceux qui souffrent.
La prise de position de l’Église orthodoxe ukrainienne qui fait partie du patriarcat de Moscou, pour eux, c’est aussi un moment de défi plus grand encore que pour les autres. Le métropolite Onuphre de Kiev a utilisé l’image de deux frères: un frère qui attaque l’autre. Parce qu’ils se sentent frères des Russes, plus que les autres Églises en Ukraine
Comment se passe la coordination de ces Églises sur le terrain ?
Il y a beaucoup d’aide humanitaire pour les victimes de la guerre et envers les réfugiés. Ici on a un œcuménisme pratique, soit à l’intérieur de l’Ukraine où les différentes Églises aident comme elles peuvent sans regarder l’identité religieuse, mais nous avons aussi beaucoup de solidarité œcuménique à l’étranger. Dans beaucoup de pays européens, les associations œcuméniques, les protestants, les orthodoxes, les catholiques se mobilisent pour aider l’Ukraine. L’Église catholique, avec Caritas, aide tout le monde, les catholiques, les orthodoxes, les athées.
La plupart des réfugiés sont des gens qui viennent de l’est du sud de l’Ukraine et ce sont en majorité des orthodoxes et ils sont accueillis dans des villes gréco-catholiques de l’ouest donc on voit cette coopération, cet "œcuménisme du sang", comme on dit.
En quoi cette guerre peut peser sur les relations entre les différentes Églises orthodoxes en Ukraine ?
Une des possibilités, c’est l’union de deux églises orthodoxes. Ce serait la chose la plus logique. En même temps, nous avons vu ces dernières années de fortes tensions entre les deux Églises. Donc ce qui est très important, c’est que l’Église orthodoxe ukrainienne en union avec le patriarcat de Moscou ne se sente pas attaquée par les autres orthodoxes. Une autre chose très importante, c’est comment cette guerre va finir et combien de temps va durer cette guerre. Si Vladimir Poutine gagne, je pense que les orthodoxes ukrainiens vont se trouver dans une situation très compliquée. Si l’Ukraine parvient à garder son indépendance, les fidèles orthodoxes vont se parler et voir quelle est la solution la plus convenable. Bien sûr, les tensions entre les orthodoxes eux-mêmes compliquent les rapport œcuméniques parce que les orthodoxes n’arrivent plus à parler d’une seule avec voix avec les protestants et les catholiques. J’espère que les émotions et les passions de la guerre vont permettre aux chrétiens en Ukraine de rester chrétiens. C’est-à-dire, d’aimer et de se respecter.
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