Le village de Bin, dans la région Sagaing, après un raid militaire le 3 février dernier Le village de Bin, dans la région Sagaing, après un raid militaire le 3 février dernier 

En Birmanie, un long Samedi saint et de rares lueurs d'espoir

Comment les catholiques vivent-ils le Triduum Pascal dans un pays où la majorité de la population est la cible d’une répression acharnée depuis plus d’un an? Un missionnaire français en Birmanie nous offre son témoignage, partagé entre douleur et espoir d’une renaissance.

Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

Le Vendredi Saint résonne avec intensité dans les pays en guerre. C’est le cas en Birmanie, plongé dans un grave conflit interne depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021. Plus de 900 000 personnes ont été déplacées selon le HCR, tandis que les prisonniers politiques et les victimes de la répression se comptent par milliers. Le clergé et les institutions catholiques font partie des cibles privilégiées de la junte. Plusieurs églises ont déjà été prises d’assaut, comme la cathédrale de Mandalay le 8 avril dernier.


En cette Semaine Sainte, un missionnaire français sur place témoigne.

Comment est vécue la préparation à la fête de Pâques par la communauté catholique que vous accompagnez?

Ici nous préparons comme partout dans le monde les fêtes qui s’annoncent: d’abord spirituellement, avec de plus en plus de fidèles qui viennent pour les confessions et les chemins de Croix hebdomadaires. Nous avons aussi commencé, avec un groupe de jeunes gens, à préparer les liturgies, d’abord pour le dimanche des Rameaux. Mardi, nous avons célébré avec joie la messe chrismale, et désormais nous préparons bien sûr le Triduum, avec beaucoup d’application, car il me semble vraiment primordial que la liturgie soit belle et claire, afin que les gens puissent vraiment rentrer dans le grand mystère pascal, à travers les signes, les prières et les silences de la liturgie de cette période. Si nous pouvons les y introduire en les aidant à prier, c’est une grande chance et une grande joie.

Quelles sont les répercussions de la situation actuelle sur le déroulement du Triduum Pascal?

Il est vrai que nous traversons encore, et depuis deux ans, une période des plus difficiles pour ce pays. Cela a des conséquences très pratiques sur nos célébrations. Par exemple mardi, au lieu d’avoir tous les prêtres du diocèse autour de leur évêque, il n’y en avait qu’une toute petite partie, puisque certains ont de grandes difficultés à se déplacer: il y a des couvre-feu, etc., qui rendent tout déplacement extrêmement difficile. Même s’il y a eu la joie de se retrouver et de célébrer, il manquait quelque chose. Pareil pour les jours qui viennent, au lieu d’avoir par exemple une vigile pascale dans la nuit, avec ce beau contraste entre le noir de la nuit et la lumière du feu pascal, on la fera à la fin de la journée, ou dans l’après-midi, pour être sûrs que nos fidèles puissent rentrer avant le couvre-feu.

Observez-vous aussi des signes de résurrection autour de vous ?

Il semble vraiment que la Birmanie traverse un immense samedi saint. C’est très sombre, les lumières pascales sont très loin, mais il y a quand même de beaux signes d’espérance, notamment pour moi, cette vitalité de l’Église qui, malgré toutes les difficultés rencontrées, continue son travail de sanctification par la prière, par la célébration des sacrements, mais aussi son travail de charité en accueillant les nombreuses personnes déplacées, en les nourrissant, en essayant d’apaiser leur malheur. C’est très beau. Malgré tout, des jeunes gens, des jeunes filles, s’engagent encore pour le monde, pour l’Église, pour Dieu, dans la vie consacrée, dans la vie sacerdotale. Il y a donc beaucoup de lumières d’espoir. Et surtout, ce qui m’étonne et m’invite à l’espérance, c’est la grande confiance qu’ont les Birmans dans le Seigneur, en disant «On avance, et le Seigneur pourvoira».

C’est pour moi une belle leçon d’espérance, en étant bien sûrs que ce n’est même plus la Croix en ce moment sur la Birmanie, c’est le tombeau, la grosse pierre qui est roulée, et on est dans la nuit, mais on sent qu’elle peut s’entrouvrir, on sent que de toute façon, un jour elle s’ouvrira et le bien triomphera, le Seigneur viendra consoler tous ses enfants. C’est très particulier de vivre cette Semaine Sainte, quand on entend les textes, comme le récit de la Passion avec les soldats qui viennent enlever Jésus, les fausses accusations, l’emprisonnement et les tortures contre l’innocent: ça ne peut que nous évoquer des faits réels, presque quotidiens. Il y a un nombre incroyable de personnes qui ont été arrêtées ces derniers mois, ces derniers jours, et cela continue. Finalement, la Passion continue, comme le dit Pascal, «Le Christ est à l’agonie jusqu’à la fin des temps», on le voit ici dans le Corps de l’Église, dans le corps de ces fidèles et de tout le peuple birman. Je vous invite donc à prier pour nous, pour ce beau pays, pour ses fidèles et son Église.


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15 avril 2022, 09:00