Au Nigeria, le cri du cœur de l’évêque de Nsukka face à la violence
Christian Kombe, SJ – Cité du Vatican
Il y a 10 jours, le 13 mai, Deborah Samuel Yakubu, jeune étudiante chrétienne de l’école Shenu-Shagari dans l’État nigérian de Sokoto, était lapidée à mort par une dizaine d’étudiants musulmans. La jeune femme a été accusée de blasphème, suite à une note vocale postée sur la messagerie WhatsApp.
Si le meurtre a particulièrement choqué, tant au Nigeria que dans le reste du monde, et suscité une vague d’indignation et d’appels à la justice, l’arrestation des deux principaux suspects a conduit à de violentes manifestations à Sokoto. Plusieurs centaines de personnes ont manifesté dans la journée du 14 mai pour exiger leur libération, et commis une série d’attaques de commerces et de lieux de cultes chrétiens, notamment dirigées contre l’évêque des lieux, Mgr Mattew Hassan Kukah.
Dans un message diffusé lundi 16 mai, Mgr Godfrey Igwebuike Onah, évêque de Nsukka (État d'Enugu, au sud-est du Nigeria) a exprimé sa vive tristesse face aux évènements qui se déroulent dans le pays.
Pleurer et prier pour le Nigeria
«Aujourd'hui, j'aurais préféré ne pas être ici, pour vous prêcher. Aujourd'hui, j'aurais préféré m'enfermer dans ma chapelle, pleurer et prier pour ma nation où les ténèbres se sont abattues», a confié Monseigneur Godfrey Onah. Les pleurs et la prière de l’évêque nigérian vont tout d’abord à l’intention de «Deborah Emmanuel qui a été tuée, parce qu'elle se trouvait dans une partie du Nigeria qu'elle pensait être chez elle, mais qui ne l'était pas».
Dans sa tristesse, l’évêque de Nsukka a déclaré vouloir également pleurer et prier pour l’Église au Nigeria comme ailleurs, et pour les attaques répétées dont ses membres font l’objet. Faisant référence aux manifestations violentes de la ville de Sokoto, Mgr Onah a exprimé sa sollicitude pour son confrère dans l’épiscopat, «l'évêque Mattew Hassan Kukah, acclamé dans le monde entier comme la voix des sans-voix (...), maintenant devenu une cible facile pour ces mêmes sans-voix qui le voient comme une partie de leur problème plutôt qu'une partie de la solution».
Prier pour les assassins de Deborah Emmanuel
Mgr Onah s’est également tourné vers les assassins de Deborah Samuel, invitant à considérer leur pauvreté et leur misère. Le prélat déclare pleurer et prier pour des gens «laissés délibérément sans éducation et sans emploi afin qu'ils puissent être manipulés, soumis à un lavage de cerveau et instrumentalisés à des fins politiques par des religieux bigots et des politiques égoïstes». Il a par ailleurs mis en garde les leaders religieux qui se complaisent d’une condamnation ambivalente du mal lorsque le coupable fait partie de leur communauté.
Comment prêcher l’amour devant tant de violence ?
Pour l’évêque de Nsukka, les maux dont souffre le pays font qu'il est toujours plus difficile de prêcher l’amour, essence du christianisme. «Comment peut-on prêcher l'amour dans un pays où la violence est devenue une règle ? Où la haine et l'intolérance sont devenues des normes plutôt que des exceptions ? Où la corruption est devenue une culture et une tradition ? Où l'impunité est devenue la loi ?» s’est-il ainsi interrogé. L'évêque a également souligné la responsabilité des dirigeants politiques, qui ont laissé le pays s’effondrer et seraient toujours à la recherche de bouc-émissaires.
Ce cri du cœur de Mgr Godfrey Igwebuike Onah a fait le tour des réseaux sociaux, ravivant le choc de la disparition brutale de Deborah Emmanuel Yakubu.
Condamnation de la Grande Mosquée de Paris
Dans un communiqué publié le 21 mai, Chems-eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, a tenu à exprimer «sa plus vive émotion» après l’assassinat de Deborah Samuel Yakubu, et a condamné un crime «abominable, d’une brutalité et d’une lâcheté sans nom».
«À notre époque difficile, nous ne pouvons laisser le fléau de l’intolérance gagner le cœur des hommes. La Grande Mosquée de Paris s’élèvera chaque fois qu’une personne, en tout endroit de la planète, est prise pour cible en raison d’une appartenance religieuse, quelle qu’elle soit», a notamment exprimé M. Hafiz, en rappelant «combien l’islam enseigne que chaque vie est sacrée et que chaque être humain est une sœur ou un frère devant Dieu et l’humanité».
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici