Dans les cités de Marseille, la fraternité selon Charles de Foucauld
Delphine Allaire – Marseille, France
Forteresse grise, géométrique, périphérique, sur les hauteurs de Marseille autrement dit, les quartiers nord. Bienvenue à la cité La Solidarité. De là, la rade de Marseille s’offre au regard, des massifs montagneux au château d’If, immuable repère sur la mer. Le soleil est à son zénith et frappe fort au balcon du 17e étage d’un des bâtiments de la cité de près de 3 000 habitants. Parmi ces locataires, la population est majoritairement musulmane avec une salle de prière au pied d’un des immeubles, réservée aux hommes, mais aussi une paroisse protestante non loin, et un temple bouddhiste dans les alentours. À l’étage 17 de l’immeuble fraîchement refait, le voisinage cohabitent avec trois religieuses italiennes de la congrégation des Disciples de l’Évangile. Arrivées respectivement en 2015, 2016 et 2020, sœurs Francesca, Anna et Lara appartiennent à la famille spirituelle de Charles de Foucauld. Au quotidien, elle font l’expérience concrète de «l’apostolat de la bonté» cher au frère universel.
Une insertion douce et discrète
«Après une période d’observation initiale, nous avons été très bien accueillies. Notre mode de vie étonne, car nous sommes ici par choix, quand beaucoup n’attendent qu’une chose: partir. Tout le monde sait que nous sommes chrétiennes, même si nous avons choisi de nous insérer discrètement, sans imposer notre présence», raconte sœur Francesca devant une bibliothèque aux nombreuses étagères dédiées à Charles de Foucauld. «Chacun connait notre présence de prière et fraternelle. Nous avons plusieurs fois eu l’occasion de comprendre que nos voisins sont très contents de voir des croyantes pratiquantes. Il faut dire qu’avec les musulmans, nous partageons très facile la manière dont nous vivons notre foi», ajoute-t-elle. Sœur Anna, elle, confie combien il fut difficile pour certaines femmes du quartier de concevoir que toutes les trois n’avaient ni enfants, ni maris: «Mais lorsque nous expliquons que nous avons donné notre vie à Dieu, elles comprennent très bien, étant elles-mêmes croyantes».
«Permettre à l’autre d’être ce qu’il est»
Cette présence à Marseille correspond aux autres lieux foucauldiens où la congrégation des Disciples de l’Évangile née en Italie en 1973 est présente. Viviers en Ardèche, mais aussi le souhait de l’Algérie qui n’a pu se réaliser jusqu'en 2021… Alors Marseille, lieu de départ et d’arrivée fréquent de l’apôtre des Touaregs, ville multiethnique et religieuse, épouse pleinement la vocation du frère Charles et le souhait des Disciples de l’Évangile.
«Marseille est une ville où l’on trouve les peuples du monde entier, qui vivent les uns côte à côte mais sans forcément de bons liens entre tous les groupes. Nous pensons que le style de Charles de Foucauld de rentrer dans la culture de l’autre, de se mettre à l’écoute, d’essayer de connaître, est quelque chose qui peut nous aider aujourd’hui dans ce contexte de mixité», avance sœur Francesca, reconnaissant qu’il incombe parfois «de faire un pas en arrière, sans se renier, pour permettre à l’autre d’être ce qu’il est». C’est là, selon elles l’enseignement de Charles de Foucauld: rester très différents et en même temps être des frères et sœurs. «Nous ne nions pas les difficultés, mais ce que nous vivons au quotidien est une grande humanité; un esprit de village où l’on tisse du lien. Nous croyons à la valeur de la rencontre.»
Une vitalité religieuse des périphéries, loin de la sécularisation des centres
Ce que sœur Francesca, Anna et Lara retiennent aussi de leur mission en cité, qui durera tant qu’elles le pourront, c’est «la fidélité dans la prière» dont témoignent leurs voisins de palier, qui contraste avec l’indifférence religieuse de quartiers plus cossus. Mgr Georges Pontier alors archevêque de Marseille à leur installation en 2015 les avait prévenu: «Vous serez parmi les croyants».
Premières chrétiennes en cités
Les trois religieuses, qui ont chacune par ailleurs diverses occupations -comme aumônier d’hôpital-, sont très investies dans la vie associative du quartier, par le biais notamment du local catholique inséré dans la cité et répondant à l’éloquent nom de «Tente d’Abraham». Le centre propose des activités, des jeux pour les enfants, et des ateliers couture pour les femmes. «C’est une lumière qui brille au milieu des clichés médiatiques», assure sœur Lara. «À la Tente d’Abraham, les femmes qui se croisent sont chrétiennes, musulmanes… Elles viennent du quartier ou d’ailleurs, se disent qu’il est beau de venir ici, car l’on apprend à se connaître malgré les différences. Parfois, il arrive que nous soyons les premières chrétiennes et les premières religieuses avec lesquelles elles discutent. De même pour les enfants, qui, jusqu’à l’école primaire ne sortent pas du quartier, car tout y est. Ils se rendent compte que les chrétiens existent, qu’ils sont gentils, qu’ils prient aussi…» Tout cela sème de l’espérance, car des personnes auront fait «l’expérience que la fraternité est possible».
Forte de cette mission, les trois sœurs Disciples de l’Évangile abordent la canonisation du frère Charles comme «une grande responsabilité», elle qui vivent au quotidien son style de vie et sa spiritualité. Son modèle montre pour elles que la sainteté est possible, au quotidien, petit à petit, par trois piliers: l’écoute de la Parole de Dieu, la rencontre, et l’amitié.
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