Le témoignage d’une religieuse dans la Syrie tourmentée
Je m’appelle Deema, je suis syrienne, de Homs, une ville au centre de la Syrie tragiquement frappée par la guerre. J’appartiens à la communauté monastique d’al-Khalil (l’ami de Dieu), fondée dans le monastère syrien catholique de Saint Moïse l’Abyssin en 1991 par le père Paolo Dall’Oglio s.j. avec Jacques Mourad. Nous n’avons plus de nouvelles du père Paolo depuis qu’il a été enlevé par le soi-disant Etat islamique (ei) au mois de juillet 2015. Le père Jacques a lui aussi été enlevé l’an dernier par l’ei et a été libéré quelques mois plus tard. Pour décrire notre vie monastique, je dirais qu’elle est basée sur trois priorités et un horizon. La première priorité est celle de la prière, comme cela est écrit dans le texte de nos règles, nous sommes venues au monastère uniquement pour prier, et pour prier de façon ininterrompue, c’est pourquoi la communication constante, consciente et profonde, avec Dieu est notre objectif, notre droit et notre devoir.
La vocation au dialogue
Notre vie est également une vie consacrée au travail manuel, vu et vécu comme obéissance au commandement donné à l’homme de prendre soin de la terre et ainsi, co-participer à la création. La troisième priorité, en revanche, est l’hospitalité inspirée par Abraham qui accueille Dieu dans sa tente. Nous voyons en chaque personne Dieu qui vient nous rendre visite. Cet accueil trouve sa signification la plus profonde quand nous réussissons à accueillir l’autre dans notre prière. L’horizon vers lequel s’ouvre notre vie est la vocation au dialogue islamo-chrétien. Nous désirons nous consacrer particulièrement à l’amour de Jésus Christ pour les musulmans comme personnes et pour le monde musulman comme communauté (Umma). Nous voulons en réalité offrir notre vie pour rendre le levain évangélique toujours présent dans la société à majorité musulmane et cela, comme le rapporte la règle de la communauté, «selon l’esprit de discernement, d’espérance et de charité capable de transformer les souffrances d’hier et d’aujourd’hui pour la compréhension mutuelle et l’amour mutuel dans la considération et le respect réciproques.
En période de guerre, notre vocation au dialogue pourrait sembler une folie, mais nous faisons l’expérience, jour après jour, qu’elle pourrait être la voie, je dirais même l’unique voie d’issue vers un monde de paix. Notre monastère a été une destination pour de nombreux pèlerins qui désirent non seulement satisfaire leur curiosité culturelle, mais aussi assouvir leur soif spirituelle. La guerre a eu un effet sur ce mouvement et nous avons entendu l’appel à descendre dans la ville pour venir en aide aux plus indigents.
Parole d'espérance dans la nuit obscure
En 2013, dans un lieu souterrain, la communauté a célébré la Messe de Noël après la destruction du quartier chrétien à Nebek, la ville la plus proche du monastère. Ensuite a commencé un immense travail de reconstruction des maisons grâce à l’enthousiasme de nombreux collaborateurs et à la générosité de nombreux amis présents dans diverses parties du monde. La même année, de nombreuses familles musulmanes ont trouvé refuge dans le monastère de de Mar Elian, dans la ville de Qaryatyan, confié à la communauté depuis 2000. Ici aussi, grâce à la solidarité de nombreuses personnes, nous avons pu aider ces familles à réparer leur maison et à y retourner.
Après cette période intense de combat, a suivi un temps de calme relatif, une période au cours de laquelle nous avons commencé à penser à l’avenir. Nous avons en effet ressenti qu’il était approprié, mais également nécessaire, de «prononcer une parole d’espérance dans cette nuit obscure, d’allumer une bougie au lieu de maudire l’obscurité», pour citer la lettre écrite par la communauté monastique pour la veillée de Noël dont je vous ai parlé auparavant.
Penser à l’avenir signifie penser aux enfants et aux jeunes. Depuis ce moment et jusqu’à aujourd’hui, nous avons soutenu une maternelle dans la ville de Nebek, nous avons fondé une école de musique pour les enfants et les jeunes des deux paroisses de la ville et aidé divers jeunes dans leurs études universitaires ou dans leur travail.
Les quelques nouvelles que nous avions dernièrement sur la situation syrienne dans les journaux italiens ont été remplacées par d’autres, malheureusement toujours de guerre. Une immense douleur pénètre les cœurs syriens et la crise continue aujourd’hui aussi. Si j’écris ces mots, c’est uniquement parce que je voudrais témoigner que, malgré tout, l’espérance naît des gestes quotidiens très simples, des gestes que les médias ne sont pas capables de transmettre, ou décident en toute conscience de ne pas traiter.
Toucher du doigt la miséricorde
Tout au long des années de la guerre, nous avons pu toucher du doigt la miséricorde du Seigneur exprimée dans la compassion réciproque et la solidarité entre frères. Participer à des messes dans la ville, voir les jeunes, chrétiens et musulmans, servir les personnes dans le besoin avec enthousiasme et joie, assister aux prières du chapelet dans les maisons alors que les combats étaient aux portes, écouter un chœur d’enfants, savoir que de nombreux amis musulmans se préoccupent pour nous et prient pour la paix, dénonçant tout type de violence, sentir les prières de tant d’amis présents dans le monde entier... Tout cela a fait naître une timide lueur d’espérance. Parfois, en effet, il suffisait de voir que les gens simples continuent de vivre, de croire en Dieu et d’espérer en un avenir meilleur pour reprendre souffle et continuer à entreprendre la voie étroite de l’espérance.
En ce qui me concerne, et je ne pense pas représenter ici uniquement moi-même, mais également ma communauté et de nombreux Syriens, au cours de ces années, j’ai lutté pour garder également espoir en l’homme, et en sa capacité de faire le bien et de choisir la voie de la non-violence. J’ai confiance dans sa possibilité de s’ouvrir à la grâce du Seigneur. Le Pape François nous enseigne dans Evangelii gaudium que «nous parvenons à être pleinement humains quand nous sommes plus qu’humains, quand nous permettons à Dieu de nous conduire au-delà de nous-mêmes pour que nous parvenions à notre être le plus vrai». Essayer d’être plus humains en tant de guerre nous permet d’entrer dans le cercle de l’Amour qui ne connaît pas de limites et est capable de changer le monde et de faire fleurir les semences du Royaume sur cette terre, aujourd’hui et non dans un avenir lointain. Je peux crier avec certitude qu’il y a des Syriens qui sont entrés dans ce cercle! (témoignage recueilli par giuditta bonsangue)
#sistersproject
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