À Paris, inquiétude sur l'augmentation de la précarité au coeur de l'été
Claire Riobé - Cité du Vatican
En France, 7 millions de personnes vivent actuellement en situation de précarité alimentaire. Un nombre qui a triplé ces 10 dernières années, selon la dernière enquête du Secours catholique en date de novembre 2021. Si le nombre de personnes bénéficiant d'une aide alimentaire en France est encore inconnu pour 2022, il semble avoir encore augmenté en conséquence de la pandémie, estiment plusieurs associations de la capitale. L'Insee, de son côté, confirme que l’arrêt de l’activité économique durant la crise du coronavirus a dégradé durablement les conditions de vie de ceux qui y avaient déjà recours*. À Paris au creux de l'été, le phénomène saute aux yeux.
Fermeture au mois d'août
En plein cœur du mois d’août, alors que les épisodes de canicule se multiplient, l'association Août Secours Alimentaire voit affluer vers ses centres des centaines de Parisiens et Franciliens dans le besoin, «entre 400 et 1000 par jours» selon les lieux, confirme Anne-Marie Bredin, coordinatrice de l'association. D'ici à la fin du mois, l'organisme aura fourni en colis alimentaires plus de 20 000 personnes, orientées par les associations avant leur fermeture estivale. Parmi elles, les Restaurants du Coeur, dont les 7 principaux centres de la région ont complètement fermé leurs portes pour le mois d'août.
Afflux de nouveaux bénéficiaires
Au-delà de l'affluence habituelle, Août Secours Alimentaire constate cet été la présence de «nouveaux précaires». «Nous les reconnaissons car ils ne connaissent pas le système d’aide alimentaire sur Paris. Ils n’ont pas non plus d’assistante sociale, et ne savent pas comment en avoir une. C’est un fait marquant cette année», note Anne-Marie Bredin.
Un constat que partage le Secours catholique, qui organise des «cafés de rues» tous les soirs de la semaine, dans plusieurs points de Paris. «La situation a commencé à se dégrader avec la Covid, mais depuis quelques mois, c'est vrai que nous avons de plus en plus de bénéficiaires. Cet été, je pense que nous avons quasiment doublé le nombre de nouvelles têtes», raconte ainsi Emilie Rey, bénévole depuis 2 ans à l'association, dans le IVe arrondissement de Paris.
Des profils hétérogènes
Tous les mercredis soir, les équipes du Secours catholique offrent un espace d'échange fraternel autour d'une distribution de cafés et de biscuits. Emilie raconte accueillir «des gens que nous n’avions jamais vus jusqu’à maintenant». Elle poursuit: «Ce qui est assez étonnant, c'est qu’habituellement nous rencontrons [aux cafés de rue] des populations étrangères. En ce moment, nous voyons des personnes françaises, notamment âgées. Je dirais que le phénomène s’accélère depuis trois mois.»
En 2021, selon l'Insee, 44% des bénéficiaires de l'aide alimentaire sur le territoire étaient d'origine immigrée. La distribution de colis alimentaires profitait pour 72% à des femmes, tandis que celle de repas chauds profitait pour 77% à des hommes. Aujourd'hui, le profil des bénéficiaires semble évoluer: les étudiants, les personnes agées et des personnes seules avec logement font davantage appel à l'aide d'associations alimentaire de leur quartier qu'avant la pandémie.
Un désarroi partagé par de nombreux bénévoles, qui avertissent également sur l'impact des grosses chaleurs sur le quotidien des personnes en précarité cet été. «La mairie de Paris met en place des plans froids pour accueillir les gens en précarité, mais il n’y en a pas pour les canicules. Les gens ont faim, mais ils ont aussi soif», déplore Emilie Rey.
Un engagement associatif en baisse
L'augmentation de la précarité inquiète d'autant plus les associations caritatives qu'elles sont confrontées à un second défi de taille: la diminuation constante du nombre de leurs bénévoles, sur l'ensemble du territoire. Selon une étude du réseau national France Bénévolat, réalisé par l'IFOP en janvier 2022, le taux d’engagement bénévole des Français en association est passé de 24% à 20 % entre 2019 et 2022. Cette diminution du bénévolat en association, qui s’esquisse depuis 2016 en France, a été fortement accentuée au cours de la pandémie, souligne par ailleurs l'enquête.
Pour les générations plus âgées, il s’agit d’un retrait du bénévolat. Pour les plus jeunes, c'est davantage une réorientation vers une forme de service plus directe et informelle. L'érosion de l'engagement associatif pourrait ainsi être compensée par cette nouvelle forme d'aide ponctuelle. L’enjeu pour les associations semble donc de pouvoir transformer cet élan de solidarité en un engagement régulier. Pour Marie-Anne Bredin, c'est bien «l'un des enjeux majeurs pour les années à venir», d'autant plus «si cette précarité continue dans la meme mesure qu’aujourd’hui, ou augmente. Et c’est un constat de beaucoup d’associations caritatives cette année», conclut-elle.
* Enquête «La crise sanitaire a accentué la précarité des bénéficiaires de l’aide alimentaire» (28 juin 2022). Aliocha Accardo, Agnès Brun, Thomas Lellouch.
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