Les Églises colombienne et vénézuelienne, ensemble aux côtés des migrants
Marie Duhamel - Cité du Vatican
À plusieurs reprises, les Églises du Venezuela et de Colombie, soutenues par la présidence du Celam, conseil épiscopal pour l’Amérique latine et les Caraïbes, avaient exhorté les dirigeants des deux nations à instaurer un dialogue permettant de travailler conjointement à long-terme. Des liens de fraternité et de solidarité ont toujours uni les deux peuples, répétaient-ils, soulignant que la rupture entre Caracas et Bogotà affectait les plus pauvres et les plus vulnérables des deux pays.
Un appel finalement entendu
La rupture entre la Colombie et le Venezuela fut «une énorme erreur» a affirmé fin août le président colombien. Trois semaines après son investiture, Gustavo Pedro est revenu sur la décision de son prédécesseur, Ivan Duque, de ne pas reconnaitre –comme l’avait fait Washington- l’élection du président Nicolas Maduro en 2019, pour l’isoler et le contraindre au départ.
Fin août, Bogota et Caracas ont donc soldé leur brouille passée et renoué leurs relations diplomatiques. Les ambassadeurs nommés ont immédiatement commencé à travailler. La chambre de commerce colombo-vénézuélienne prévoit des échanges commerciaux de 800 millions à 1,2 milliard de dollars en 2022. Car l’économie est une priorité. Frappé de plein fouet par une hyperinflation, le PIB du Venezuela s’est effondré de 80% depuis 2013, à l’instar de ses exportations de pétrole, représentant jadis 96 % de ses revenus. Les Vénézuéliens pourraient tirer profit de la reprise des exportations colombiennes et du travail des petits commerçants colombiens à la frontière.
Reprendre le contrôle des frontières
D’ailleurs, le contrôle des 2.219 km de frontière séparant les deux pays est un sujet clé. La rupture des relations entre les deux pays avait conduit à une fermeture officielle des points de passage, sans arrêter les traversées de migrants dans les «trochas» (sentiers). Jusqu’alors entre 3000 et 5000 personnes entraient en Colombie chaque jour. La fin de la coopération entre les administrations colombiennes et vénézuéliennes a également laissé le champ libre aux trafiquants et aux groupes armés. Il faut donc reprendre en main la situation à la frontière et, dans ce contexte, l’Église souhaite endosser, plus encore, le rôle qui est le sien, à savoir, apporter un soutien humanitaire et spirituel aux migrants vénézuéliens.
Un travail pastoral en communion
La semaine dernière, les 10 et 11 octobre dernier, les Conférences épiscopales de Colombie et du Venezuela se rencontraient dans le diocèse vénézuélien de San Cristobal. Dans un communiqué final dont fait état l’agence Fides, les évêques expriment leur satisfaction après la réouverture de la frontière, mais ce fait «nous oblige, en tant qu’Église au service du peuple, à intensifier notre travail pastoral en communion, en particulier dans le vaste territoire de l'axe frontalier colombo-vénézuélien, de la Guajira à l'Amazonie». Ils veulent montrer «une fois de plus», écrivent-il, «que l'Église est la mère de tous, sans frontières». Un programme de rencontres a ainsi été établi. Des priorités doivent être définies.
Déjà fin septembre, à l’occasion de la Journée mondiale du migrant et du réfugié, des délégations pastorales des deux pays s’étaient retrouvées à Paraguachon, la dernière localité colombienne à la frontière avec le Venezuela, dans le département de La Guajira, au nord du pays. Ensemble, en signe de fraternité, l’évêque vénézuélien de Maracaibo, Mgr José Luis Azuaje, et celui de Riohacha en Colombie, Mgr Francisco Antonio Ceballos, ont symboliquement béni et échangé un cierge de Pâques allumé et du sel, pour être le sel de la terre et la lumière du monde. Une messe a été également célébrée dans ce lieu «emblématique» selon Mgr Ceballos, un «no man’s land» où le message du Pape François pour les migrants prend tout son sens. «Il y a tant de personnes qui ont cherché la Colombie pour trouver une opportunité et pouvoir vivre, pas seulement vivre, mais vivre avec dignité» a constaté l’évêque colombien, qui a invité les centaines de personnes présentes à construire la Jérusalem terrestre, «une ville où règnent la paix, la concorde, l'amour et la solidarité, où tous les êtres humains se reconnaissent comme des frères».
Augmentation exponentielle des migrants en transit
Fuyant le délabrement économique et la crise politique de leur pays, plus de 5 millions de Vénézuéliens ont traversé la frontière. Un exil qui les a conduit – pour un tiers d’entre eux- à s’établir en Colombie. En mars 2021, l’ancien président Duque annonçait sa volonté de la régulariser 1,7 millions de migrants vénézuéliens pour une durée de dix ans, leur offrant une possibilité de se loger ou de trouver plus facilement un travail, pour échapper à la misère et dans l’espoir de limiter les crimes xénophobes visant les migrants.
Mais d’autres Vénézuéliens ne sont que de passage en Colombie. À ce titre, l'évêque du diocèse colombien d'Apartadó a lancé l’alarme. Selon Mgr Hugo Alberto Torres Marín, cité par l’agence Fides, une «crise humanitaire» est en cours dans les régions d'Urabá et de Darién en raison de l'augmentation exponentielle de la population de migrants en transit vers l'Amérique centrale. «Entre 1 800 et 2 100 personnes arrivent et repartent chaque jour de la municipalité de Necoclí, et des cas de mendicité, de vol, d'exploitation sexuelle et de traite des êtres humains commencent à être constatés».
La frontière américaine leur est désormais fermée
Actuellement, une caravane de migrants vénézuéliens progresse le long d’une autoroute du Chiapas, un État mexicain frontalier du Guatemala, dans l’espoir de rejoindre les Etats-Unis. Depuis octobre 2021, 155 000 Vénézuéliens sont entrés sur le sol américain par la frontière mexicaine, un nombre qui a triplé en un an.
À l’approche des élections de mi-mandat, l’administration Biden a décidé de leur bloquer la route. Mercredi dernier, le département américain de la Sécurité intérieure a annoncé que tous les Vénézuéliens qui traverseraient illégalement la frontière serait désormais renvoyés directement au Mexique. En contrepartie, Washington promet d’instaurer un programme humanitaire pour immigrer légalement depuis le Venezuela. Soucieux d’isoler la Russie sur le plan international, les États-Unis ont en effet entamé il y a quelques mois un rapprochement avec les autorités de Caracas.
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici