En Roumanie, la joie de grandir chez les sœurs
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Aussi difficile soit-il, le début d’une vie ne conditionne pas définitivement le reste de l’existence. C’est ce message d’espérance que semble lancer les sœurs de la Mère de Dieu par l’apostolat qu’elles mènent auprès des enfants à Cluj-Napoca. Dans cette ville de plus de 350 000 habitants de la Transylvanie, en Roumanie, cette congrégation gréco-catholique a ouvert un orphelinat en 1993. La structure a été modifiée en 2007 pour répondre aux normes européennes, dès l’adhésion de la Roumanie dans l’UE.
C’est «l’une des missions les plus chères de notre congrégation», affirme l’une de ses membres, sœur Leticia, qui préfère parler de «maison de type familial». Les sœurs en effet, tels de bons anges gardiens aux pieds sur terre, s’efforcent jour après jour de maintenir dans ce lieu l’atmosphère d’un foyer chaleureux.
En petit effectif
Au maximum, une douzaine d’enfants sont accueillis. Ils sont actuellement huit, des filles entre 6 et 13 ans, dont trois paires de sœurs. Les profils ont évolué depuis les premières années de l’orphelinat. Dans les années 1990, il s’agissait le plus souvent de très jeunes orphelins ou d’enfants abandonnés à la naissance, qui étaient rapidement adoptés.
Aujourd’hui, les enfants ont souvent des parents encore en vie, mais leur famille connaissait de grandes difficultés – économiques, ou bien de la violence domestique – et les autorités ont préféré que ces jeunes soient placés. Les religieuses sont pour cette raison toujours en lien avec la Direction générale de la protection de l’enfant, institution étatique. Les cas d’adoption sont plus rares, mais ils restent «de grands miracles pour les enfants, qui ont eu lieu sous notre regard», assure sœur Leticia. Les religieuses ont à cœur de ne pas séparer les frères et sœurs s’ils sont plusieurs à être adoptés. Chaque enfant peut désormais rester à l’orphelinat jusqu’à ses 18 ans.
Le défi de l’éducation
L’éducation est la clé de voûte de cette enfance particulière. «Ils reçoivent beaucoup d’affection et de sentiment de sûreté», nécessaires étant donné leurs premières années éprouvantes, explique sœur Leticia. Il règne aussi une «certaine discipline, mais pas forcée». Les enfants sont normalement scolarisés. Ils sont accompagnés à la maison par du personnel qualifié, dont une psychologue qui vient plusieurs par semaine.
Chaque sœur est «comme une maman», ajoute sœur Leticia. Et quand l’équilibre affectif est «au point», «les autres aptitudes des enfants se développent», observe-t-elle. Les religieuses repèrent «les inclinations, les talents» de chacune des fillettes, et leur proposent les activités adaptées, en particulier de la danse, de la musique ou de la natation. Pendant la période du Covid, «tout a été réinventé», pour que les enfants puissent continuer de s’épanouir tout en respectant l’obligation de rester chez soi: certaines ont étudié le violon grâce à une membre du personnel, d’autres ont appris l’orgue sur un piano électronique, toutes se sont mises à cultiver des légumes, et les cours de l’école étaient suivis en ligne. «Mais c’était assez dur pour elles», reconnaît sœur Leticia.
Accueil de réfugiés
Depuis que la guerre gronde en Ukraine voisine depuis l’invasion russe en février, le paisible foyer a connu quelques surprises, plus ou moins heureuses. Certains bienfaiteurs ont d’abord arrêté de soutenir les sœurs, en raison de la dégradation de la situation économique, marquée par l’inflation dans une ville déjà très chère. Mais la congrégation a pu expérimenter le «pouvoir de la Providence», rapporte la sœur gréco-catholique, car rien d’essentiel n’a jamais manqué.
Les religieuses ont également décidé d’ouvrir aux réfugiés les portes de leur centre de spiritualité de Sighet. C’est là qu’une mère est un jour arrivée, avec sa fille. Elle était enceinte et a accouché quelque temps plus tard d’un petit garçon, ayant un grave problème au cerveau qui nécessitait une opération en urgence.
Le nouveau-né, accompagné par sa maman et sa sœur, a été pris en charge à Cluj, tous trois ayant trouvé refuge à l’orphelinat de la congrégation de la Mère de Dieu. «C’est un miracle, s’exclame sœur Leticia, car l’enfant a très bien évolué après l’opération», et le suivi médical peut désormais être effectué sur place. «On exerce avec eux cet amour fraternel, car ils n’ont rien», ajoute la religieuse. La mère et sa fille ont fui «les mains vides», «pour leur vie et la vie de cet enfant qui devait naître… La maman se sent ici comme en famille, même si c’est très dur car elle a perdu des proches qui sont morts, elle a laissé des amis, parle une autre langue», énumère sœur Leticia. «Mais elle est très reconnaissante d’être dans un lieu, où du point de vue affectif et concernant sa dignité de personne, de maman, elle se sent très bien», constate-t-elle.
Une prière sans frontières
La misère dont les religieuses et les enfants sont témoins dans leur quotidien s’invite aussi dans leur prière. Chaque soir, tout le monde se rassemble pour réciter une dizaine de chapelet. Comme si leur propre blessure les avait rendus plus sensibles à celles des autres, les jeunes multiplient les intentions: «Pour les enfants qui n’ont pas notre chance»; «pour les enfants malades»; «pour les enfants qui souffrent de la guerre, en Ukraine et ailleurs»; «pour ceux qui meurent de faim»; «pour les enfants qui souffrent parce que leurs parents sont en train de se séparer»… Sœur Leticia se dit frappée par la générosité et l’empathie de ces fillettes qui se révèlent à travers la prière.
Le temps de l’Avent qui commence apporte ses notes plus joyeuses: prière mutuelle par tirage au sort, chants, pièce de théâtre pour les bienfaiteurs, partage des nombreux douceurs reçues avec les plus pauvres. L’orphelinat répand en-dehors de ses portes le feu réconfortant de la charité.
«Ce type de mission nous fait vivre vraiment une dimension de la maternité spirituelle», confie sœur Leticia. «On reçoit beaucoup de la part de ces enfants. On est très consciente de notre responsabilité, mais en même temps du don que Dieu nous fait», souligne-t-elle. «Il faut un peu d’amour, beaucoup d’amour», insiste-t-elle dans un sourire, qui dévoile un des fruits de cette recette évangélique: la joie intérieure.
Un lien qui perdure
Ces enfants au parcours initialement pénible «n’ont pas l’habitude de parler de ce qui leur fait mal. Ça ne vient pas tout d’un coup», explique la religieuse gréco-catholique. Pour parler de leur histoire, ils peuvent compter sur l’aide de la psychologue. Mais c’est surtout dans la confiance et la spontanéité que les langues se dénouent. «C’est plus facile pour eux de parler quand il y a des sorties dehors, par exemple en marchant en forêt», constate sœur Leticia. Les jeunes racontent par bribes «ce qu’ils ont subi, s’ils se rappellent. D’autres ne se rappellent plus car ils sont sortis de leur famille assez tôt».
La blessure du passé demeure, plus ou moins cicatrisée, mais c’est toujours le baume de l’amour reçu, puis donné, qui procure à ces enfants la force d’avancer avec équilibre. Sœur Leticia le constate chez ceux qui ont déjà pris leur envol: «la plupart n’ont pas oublié cette période de vie disons un peu plus joyeuse que juste l’abandon du début». D’ailleurs, il n’est pas rare que les anciens de l’orphelinat reviennent, après dix ans, parfois le double … «et même depuis l’Amérique !» se réjouit la religieuse. Un retour à la source pour remercier ces «mères» qui, avec une tendresse désintéressée, ont mené vers la vie ceux qu’on leur a confié.
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