Le dialogue exigeant entre foi et culture: l’héritage théologique du Pape Benoît XVI en Afrique
Entretien réalisé par Christian Kombe, SJ – Cité du Vatican
L’abbé Léonard Santedi est théologien, professeur et recteur de l’Université Catholique du Congo (UCC) depuis 2016. Cet auteur prolifique, ancien secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), a également été membre de la Commission théologique internationale.
Le Pape émérite Benoit XVI nous a quitté le samedi 31 décembre 2022. Quel est le sentiment qui vous habite en ce moment, après l’annonce de cette nouvelle?
Je voudrais avant toute chose dire que je rends grâce à Dieu d'avoir donné à l'humanité la figure de ce grand théologien, pour conduire l'Église comme Pape, pour renouveler l’évangélisation. J’éprouve vraiment de la reconnaissance pour cet homme qui a donné à la théologie catholique ses lettres de noblesse. J'ai eu la joie de travailler à la Commission théologique internationale. Il en était d'abord le président, comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avant de devenir Pape. Je rends donc un hommage vibrant à ce serviteur de Dieu qui ferme ses yeux à la lumière de ce monde pour les ouvrir à la lumière de l'éternité.
Parmi les événements marquants du pontificat de Benoît XVI, il y a la tenue du deuxième Synode des évêques sur l'Afrique et la publication de l'Exhortation apostolique post-synodale Africæ Munus, autour des thèmes de la réconciliation, la justice et la paix. Qu'est-ce que vous retenez de cet événement et de ce texte? Son message est-il encore actuel?
Tout à fait. Son message est plus que jamais actuel. Vous savez, c'est déjà le Pape Jean-Paul II qui, en 2004, avait annoncé un second synode des évêques pour l'Afrique. Et le Pape Benoît, dès qu'il fut élu Pape, confirma la tenue de ce second synode africain, déjà en 2005, en lui donnant le thème central et fondamental de la réconciliation, de la justice et de la paix.
En fait, dans une Afrique qui a été laminée par des problèmes de violence et de guerres fratricides, le Pape voulait que l'Église examine sa mission. Il voulait que ce second synode soit, comme il avait lui-même dit, une nouvelle Pentecôte pour l'Afrique. Son désir était que les Églises du continent se mettent réellement au service du peuple africain. L’Afrique devrait devenir, selon son vœu, le «poumon spirituel» d’une humanité qui semble en crise de foi et d'espérance.
Benoît XVI l’a voulu comme un synode de la Pentecôte, un synode de l'espérance; une espérance qui ne nous dédouane pas de nos responsabilités, au contraire, une espérance qui épouse la rugosité de l'histoire, les turpitudes et les vicissitudes de l'histoire, mais qui engage les chrétiens, les Églises d'Afrique, à travailler pour une Afrique de l'espérance, de la foi, de la charité.
Et il concluait ce document, Africæ Munus, par ces paroles: «aie confiance, lève-toi, il t'appelle» (Marc 10, 49): Afrique, aie confiance. Le Christ t'appelle pour te mettre debout. C’est un appel à entreprendre le travail pour une Afrique nouvelle, une Afrique de réconciliation, de justice, de paix; une paix qui n'est pas simplement l'absence de guerre, mais une paix qui est l’abondance des biens messianiques, l'accomplissement, la réalisation.
Vous avez parlé de la figure de Benoît XVI comme théologien. Et justement, l’un des thèmes importants de la théologie en Afrique, c'est celui de l'inculturation. Quel est l'apport du Pape Benoît XVI dans la recherche théologique en Afrique?
On retiendra de ce Pape qu'il a vraiment médité sur les trois vertus théologales. Sa première lettre encyclique, Deus caritas est, est une méditation sur l'amour. Il a médité sur l’espérance dans sa deuxième encyclique (Spe salvi). Et il a voulu aussi méditer sur la foi, travail qui sera repris et achevé par le Pape François avec l’encyclique Lumen fidei.
Au cœur de cette réflexion théologique sur les vertus théologales se loge le travail du dialogue entre foi et culture, le travail de l'inculturation. C'est un travail exigeant, parce qu’il ne s'agit pas d'une simple adaptation. Pour moi, l'apport du Pape Benoît XVI sur cette question, a été de nous inviter à considérer la culture comme une réalité dynamique, comme une force. C'est d'inviter les Africains, les Africaines, les théologiens et théologiennes africains à considérer l'inculturation comme un dialogue exigeant entre foi et culture, qui apporte une nouvelle naissance. Ce dialogue intègre à la fois l'incarnation – le Verbe qui s'est fait chair, qui entre dans notre culture, – la rédemption, – la Pâque, mort et résurrection: ne pas assumer la culture simplement telle quelle, mais être aussi critique vis à vis de sa culture, – et la Pentecôte, la dimension de la créativité, de l'inventivité et de l'invention. Et en ce sens, le Pape Benoît XVI a beaucoup parlé de l'interculturalité. L'inculturation devient ainsi comme une force de renouveau pour les Églises et pour les sociétés africaines.
À la suite du Pape Benoît, nous nous sommes mis en marche dans un mouvement de réflexion sur «foi, culture et développement ». Il nous a donné la force de travailler l'inculturation pour qu'elle soit vraiment productrice d'une nouvelle Église, d'une renaissance de notre Afrique.
Monsieur l'Abbé Santedi, Benoît XVI n'est pas allé au Congo en tant que Pape, mais il s’y est rendu comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, notamment en 1987 pour la rencontre avec les commissions doctrinales d'Afrique. Quels sont les souvenirs qu'on garde de lui dans l'Église du Congo?
On doit dire que cette visite avait été un peu vue comme une remise en question du grand mouvement de recherche au niveau de l'Afrique. C'est le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui vient et qui, peut-être, veut mettre les choses au clair, inviter à marcher à l'unisson. Mais au-delà de cette perception, puisque le travail a continué, on a vu un théologien attentif à toutes les réflexions. Il n'a pas freiné le mouvement. Et donc moi, je dis qu’il y a là un appel à aller dans le sens de l'inventivité. D'ailleurs, il faut le reconnaître, c'est ce qui a poussé aussi l'Église-famille de Dieu au Congo à travailler cette inculturation au niveau de la liturgie. Il y avait déjà le mouvement, mais il fallait encore s’asseoir, écrire les textes et présenter enfin ce qui a été reconnu comme le Missel romain pour les diocèses du Zaïre.
En fait, cette visite a eu pour aspect positif de nous montrer que l'inculturation est un mouvement inchoatif, qui n'est pas achevé, et que le dialogue entre foi et culture est un dialogue sans cesse à reprendre, un dialogue exigeant, qui va dans les détails, dans la profondeur de ce qu'est la culture. Car la culture est toujours une manière d'habiter le monde et cette manière n'est pas statique. Elle est dynamique. Et c'est en dialoguant avec d'autres cultures que l'on se rend compte aussi des ombres et des lumières de sa propre culture. Alors, en ce sens-là, on peut travailler sa culture et accueillir l'Évangile qui devient comme le levain qui pénètre cette culture.
C'était aussi important pour les Africains de montrer que la lecture du mouvement n'était peut-être pas bien faite de l'autre côté; montrer que l'inculturation n'est pas un mouvement pour casser l'unité de l'Église, pour se singulariser ou couper tout ce qui est universalité. Au contraire, je dirais que l'inculturation est une exigence de la révélation: cette révélation qui prend en compte l'humanité dans sa consistance à travers le mystère de l'incarnation; cette révélation qui transforme l'humanité à travers le mystère de la rédemption et cette révélation qui nous appelle à la Pentecôte, à la créativité, à dire ce que l'Esprit dit à nos Églises.
Monsieur l'abbé Léonard Santedi, votre mot de la fin.
S’il est un mot que je peux retenir enfin du Pape Benoît XVI, c’est qu’il a été le pape de l'amour. Sa première lettre encyclique est Deus caritas est, «Dieu est amour». Ce Pape aura donné dans le laps de temps, huit ans de son pontificat, le souffle nouveau de l'amour comme force. Il parlera même de l'eucharistie comme «sacramentum caritatis», le sacrement de l'amour. Et quand il doit méditer sur la doctrine sociale de l'Église, il parlera de «Caritas in veritate», l'amour dans la vérité. Il dira justement que cet amour est la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de l'humanité toute entière.
Puisse le Seigneur accueillir cet homme qui s'est dépensé comme serviteur de l'amour. Puisse-t-il l'accueillir dans sa félicité, dans sa béatitude, et que l'Église continue à méditer sur l'amour comme force et la foi comme lumière.
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