Des croix déterrées dans le cimetière protestant du mont Sion, adjacent à la Vieille ville. Des croix déterrées dans le cimetière protestant du mont Sion, adjacent à la Vieille ville. 

Mgr Shomali: les chrétiens "fortifiés" par les attaques à leur encontre

La profanation du cimetière protestant du mont Sion fut le dernier épisode d’hostilité envers les chrétiens, début janvier. À Jérusalem, les Églises s’unissent pour condamner les agressions commises par des membres de la communauté ultra-orthodoxe à leur égard, comme nous l’explique Mgr William Shomali, vicaire général du Patriarcat latin de Jérusalem.

Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican

Les Églises chrétiennes de Jérusalem ont exprimé leur consternation. Des croix ont été renversées, des sépultures abimées: en tout, une trentaine de tombes ont été profanées début janvier dans le cimetière protestant du mont Sion, adjacent à la Vieille ville. La colline abrite le Cénacle et le tombeau attribué au roi David. Les tensions y sont chroniques.

Graffitis insultants, marques d’irrespect, actes de vandalisme, certains juifs ultra-orthodoxes affichent un mépris quotidien pour les chrétiens et l’arrivée du nouveau gouvernement israélien, qui donne la part à cette frange extrémiste des Israéliens, provoque une certaine inquiétude, notamment au sein des Églises chrétiennes.

Mgr Hosam Naoum, archevêque protestant de Jérusalem, sur la tombe de son prédécesseur.
Mgr Hosam Naoum, archevêque protestant de Jérusalem, sur la tombe de son prédécesseur.

Mgr William Shomali, vicaire général du Patriarcat latin de Jérusalem, revient pour Vatican News sur la nature des gestes posés à l’encontre des fidèles hiérosolomytains.

Il y a des agressions qui commencent par des attitudes simples jusqu’à devenir insupportables. Pendant les processions de nos patriarcats – arménien, orthodoxe, catholique, latin -  vers le Saint- Sépulcre, des juifs fondamentalistes tournent parfois la tête pour ne pas voir la croix. Parfois, ils crachent par terre, ou contre les membres du clergé qui passent. Il est arrivé qu’on frappe un prêtre arménien dans la rue. Le cimetière protestant a été récemment attaqué, mais ce n’est pas un fait inédit, surtout au mont Sion où se trouve le tombeau de David et le Cénacle. Il y a là une répétition d’actes de vandalisme: on a brûlé l’orgue des pères bénédictins sans avertissement. On écrit des graffitis dans la nuit, souhaitant la mort des chrétiens, des Palestiniens, des arabes… La plupart du temps, les auteurs de ces faits ne sont pas pris, ils restent libres. Mais après l’attaque contre le cimetière protestant du mont Sion, deux jeunes israéliens ultra-orthodoxes ont été arrêtés, sans qu’on sache ce qu’il advient d’eux aujourd’hui.

Y a-t-il une évolution dans le actes posés, les auteurs sont-ils toujours les mêmes ?


Tous viennent du monde ultra-orthodoxe. À Jérusalem, ils sont assez nombreux puisqu’ils représentent 20% des juifs israéliens. Ceux qui sont à l’origine des actes anti-chrétiens sont membres de cette communauté mais on ne peut pas généraliser et dire que tous les ultra-orthodoxes se comportent ainsi. Généraliser revient à dire des choses inexactes. Mais, quand même, certains ultra-orthodoxes sont agressifs. J’en ai été témoin une fois pendant la journée israélienne des drapeaux. Nous passions, le patriarche, l’évêque émérite et moi-même, et un jeune israélien, un colon probablement, a dit à Mgr Marcuzzi en hébreu: «Ce n’est pas ta place ici, rentre chez toi». Ils nous considèrent comme des étrangers. Ils estiment que Jérusalem est pour eux et qu’ils nous faut partir. Il y a une mentalité exclusiviste.

Leur hostilité est claire mais parviennent-ils à leur fin? Suscitent-ils un climat d’insécurité ou de peur parmi les chrétiens?

Nous condamnons ces actes. Il y a des déclarations des Églises les condamnant. Les chrétiens ne sont pas contents de ce qui se fait mais cela ne les terrifie pas au point de sortir de chez eux. Ils continuent à aller au Saint-Sépulcre, ou à venir prier le dimanche parce qu’il est très rare d’avoir une agression physique, ça reste un manque de respect ou d’éducation. Les chrétiens n’en ont pas peur. C’est agaçant mais cela n’oblige pas les gens à partir. La raison pour laquelle les chrétiens s’en vont est plus profonde que cela. Il s’agit surtout de la situation politique en général, ou de questions économiques. Ce sont des réalités beaucoup plus graves que de cracher sur une procession ou faire un graffiti, mais dans les médias les graffitis ou ces profanations d’un cimetière ont beaucoup d’effet, alors qu’un chrétien qui émigre, on en parle peu.

Le Premier ministre Benyamin Netanyahu vient de former le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël, est-ce pour vous un facteur de crainte ?

Ce n’est pas un facteur de crainte uniquement pour les chrétiens, mais pour tous les Palestiniens et même pour les Israéliens sécularisés ou ‘modernes’ qui ne pratiquent pas, et la majorité des Israéliens ne pratiquent pas. Ils ne font pas la prière, ils ne jeûnent pas selon la loi de Moïse, ils mangent normalement et ne suivent pas la loi du Kocher. Mais, vous savez, les juifs séculiers habitent plutôt à Tel Aviv tandis que les ultra-orthodoxes se trouvent plutôt à Jérusalem. Donc les deux cités sont devenues deux pôles contradictoires. Il y a eu récemment des manifestations - 100 000 personnes à Tel Aviv - pour protester contre les manœuvres du nouveau gouvernement ultra-orthodoxe qui a commencé par faire des lois très strictes du point de vue religieux et même à changer les juges pour mettre des juges du même parti que les ultras. Cela ne plaît pas aux juifs normaux, donc la peur, le malaise est partout, pas seulement dans la partie chrétienne.

Comment les Églises chrétiennes ont-elles réagi aux récentes attaques; comment peuvent-elles participer à la construction d'un climat plus serein?

C’est vrai que de telles attaques nous fortifient dans le sens où cela nous unifie. Nous nous réunissons, nous nous parlons, nous faisons des déclarations contre ces attaques, et même la partie musulmane vient nous soutenir. Hier les responsables d’Al-Aqsa, les grands chefs musulmans de Jérusalem, sont allés chez l’évêque anglican pour montrer leur solidarité avec l’Église protestante, luthérienne et anglicane, après la profanation du cimetière protestant. Donc cela crée un esprit solidaire parmi ceux qui se sentent opprimés et attaqués.

Qu’attendent les Églises de l’État israélien, quel que soit son appartenance politique ?

Je me rappelle quand le Pape Benoît XVI est venu à Jérusalem: il a fait un très beau discours sur la convivialité et sur le fait que Jérusalem est une ville pour tous. Nous chrétiens, nous sommes ouverts à une solution qui donne à Jérusalem un statut particulier, et même avec des garanties internationales pour protéger la liberté de conscience et la liberté d’exercice du culte. Ce que nous voulons, nous comme chrétiens, c’est que la ville soit ouverte à tous: n’importe qui des trois religions monothéistes a le droit de venir prier à Jérusalem et de visiter les lieux saints. Et chacun doit respecter le récit de l’autre car il y a trois récits, trois manières de raconter l’histoire de la ville – un récit juif, un récit chrétien et un récit musulman. Parfois les récits convergent et parfois ils diffèrent. Il faut que chacun respecte la présence de l’autre, or les juifs ultra-orthodoxes n’ont pas cette ouverture, ce respect l’autre. Ils veulent que tout soit selon leur point de vue et que Jérusalem ne soit que pour le peuple juif.  Or nous devons respecter le récit de l’autre. Nous, nous souhaitons que cette idée selon laquelle Jérusalem est pour tous, prévale. D’ailleurs la municipalité de Jérusalem a cette conviction. Pour Noël, le maire de la cité nous a invités et nous a montré de quelle manière Jérusalem est accueillante pour tous ses visiteurs. C’était beau. Cela m’a plu, mais il faut que cela devienne un réalité de chaque jour et que chacun puisse prier sans être offensé par l’autre.

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23 janvier 2023, 16:33