Le miracle de l’eau des missionnaires d’Afrique
Xavier Sartre – Envoyé spécial à Kinshasa, RDC
Kisenso, c’est la périphérie de la périphérie de Kinshasa. Perchée sur une colline encore verdoyante, épargnée par le trafic incessant et étouffant de la capitale congolaise faute de rues praticables par la majorité des véhicules, cette commune ne cesse de voir sa population croître. Mais comme souvent dans la mégapole, les infrastructures de base manquent, comme un vrai réseau de distribution d’eau. Face à cette carence, la paroisse Saint-Étienne, fondée il y a soixante ans par les missionnaires d’Afrique, a pris les choses en main et mis en place un système de pompage et de distribution d’eau, évitant aux habitants de se déplacer sur des kilomètres pour obtenir de l’eau.
«Ce projet est un grand soulagement pour la population locale qui peinait à avoir accès à l’eau potable», se félicite le père Michel Agoh, vicaire de la paroisse, originaire du Togo. Pour lui, il est normal que l’Église supplée l’État en la matière. «L’Église en tant que mère, est intéressée par tout ce qui contribue au bonheur et au développement de tout l’homme et de tous les hommes», estime-t-il, fier de cette initiative que les missionnaires d’Afrique se transmettent depuis six décennies. «Quand toute la population souffre du manque d’eau, d’électricité, toute la question sociale concerne aussi l’Église. Nous sommes donc dans notre rôle. Notre objectif est d’avoir des gens heureux et nous sommes prêts à tout sacrifier, comme Jésus l’a fait, pour y parvenir» affirme-t-il.
Des kilomètres de tuyaux
L’eau est puisée à une source qui se trouve au pied de la colline de Kisenso, à une petite demi-heure de marche. Il faut suivre un sentier en terre, souvent maintenu en état grâce à des sacs de riz en jute remplis de terre ou de sable. La descente est parfois raide. Le long du chemin de deux kilomètres, les tuyaux d’eau affleurent parfois à la surface ou sont suspendus dans le vide sur plusieurs mètres. Les fuites ne sont pas rares et la construction de maisons à proximité des conduites peut les endommager.
Pablo, le responsable technique du projet, connaît chaque mètre du réseau et ses vingt-deux fontaines distribuées à travers le quartier. Il nous mène jusqu’au bâtiment qui canalise la source, enfouie sous la végétation. Des pompes et des groupes électrogènes y sont installés. Les coupures de courant sont nombreuses. Il faut donc un système pour pallier les caprices du réseau électrique. «Une partie de l’eau claire est stockée dans un bac de décantation avant d’être pompée en haut de la colline, sur le site de la paroisse. Là, elle est emmagasinée dans de grands réservoirs avant d’être redistribuée vers les fontaines» décrit Pablo.
Des vendeurs d’eau dans tout le quartier
Les habitants peuvent se fournir aux fontaines où un vendeur ouvre et ferme le robinet à la demande. Ils lui paient 100 francs congolais pour vingt-cinq litres, soit 5 centimes d’euros, un prix qui couvre à peine les frais inhérents à la maintenance du réseau mais qui reste à la portée d’une population très pauvre, dépourvue le plus souvent de sanitaires. Ce sont souvent des femmes ou les enfants qui se rendent au point de distribution, chargés de bidons jaunes. La répartition de ces points d’eau sur tout le territoire leur évite de descendre à la source et de parcourir plusieurs kilomètres à flanc de colline chargés de dizaines de kilos d’eau.
Aujourd’hui, les gens sont peu nombreux. Il a plu la veille, les réservoirs privés se sont remplis. C’est autant d’économies réalisées pour les riverains qui n’ont pas la nécessité d’aller à la fontaine. La paroisse Saint-Étienne doit faire face maintenant à la concurrence d’un autre réseau et à la multiplication des forages individuels. Mais comme le précise le père Paschal Baphuol, le curé de la paroisse, «l’eau du projet est pure et 100% potable et abandonner ce projet ce serait exposer la population à de nombreuses maladies». De plus, «à cause de la baisse des recettes, il y a des difficultés à renouveler les machines, tuyaux et câbles installés et parfois ça devient compliqué de payer ceux qui vendent de l’eau» explique-t-il.
En attendant des dons qui permettront d’acheter du meilleur matériel et de maintenir en bon état tout le réseau, la paroisse, ses trois prêtres et ses deux séminaristes stagiaires, poursuivent chaque jour leur mission. Ce qui vaut à cette communauté «un grand respect» malgré l’insécurité ambiante. Kisenso abrite plusieurs bandes de jeunes délinquants et criminels, les Kululas. Ils écument les rues à la tombée du jour, armés de machettes. Les agressions sont nombreuses. La veille, un homme a été laissé pour mort devant la porte de la paroisse. Mais jusqu’à présent, les missionnaires d’Afrique, fort de leur engagement auprès de la population, n’ont pas eu à pâtir de cette violence. C’est le miracle de l’eau.
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