Eswatini: la violence pourrait dégénérer en guerre civile, alerte l'Église
Linda Bodoni - Cité du Vatican
L'avocat et défenseur des droits humains Thulani Maseko a été abattu de sang-froid à son domicile près de Mbabane, la capitale de l'Eswatini, le 21 janvier. Les autorités ont promis d'enquêter sur l'assassinat, mais plus d'un mois après, aucune réponse n'a été fournie et les appels à la justice se multiplient dans toute l'Afrique australe.
Comme l'explique la première autorité de l’Église dans le pays, le meurtre de Maseko met en lumière la violence bouillonnante en Eswatini, une atmosphère dangereuse décrite par Thulani Maseko lui-même comme une guerre civile discrète.
S'adressant à Vatican News, Mgr José Luis Ponce de Leon, évêque de Manzini, a exprimé ses craintes face aux troubles et au malaise qui éclatent dans le pays, réitérant la nécessité du dialogue et de la sensibilisation afin que cela ne devienne pas «la nouvelle normalité».
Un pays autrefois pacifique
Mgr Ponce de Leon a déclaré que le pays, situé entre l'Afrique du Sud et le Mozambique, anciennement connu sous le nom de Swaziland, a toujours été considéré comme pacifique. Il a une petite population d'environ 1,2 million d'habitants.
Le pays s'est fait connaître en particulier dans les années 80 et 90 parce qu'il abritait un pourcentage très élevé de personnes séropositives et que le gouvernement avait adopté des politiques efficaces pour détecter les malades du Sida, les traiter et les surveiller. Dans ce domaine, affirme l’ordinaire de Manzini, l’Eswatini est devenu un point de référence pour beaucoup.
Mais en juin 2021, «nous avons connu un type de violence jamais vue dans l'histoire du pays», qui a conduit à des tueries, à la colère et à la division. L’évêque raconte des expériences inédites de gaz lacrymogènes, de barrages routiers et de couvre-feux qui ont conduit le Conseil des Églises du Swaziland, dont il fait partie, à offrir ses services aux autorités dans la poursuite du dialogue et pour la paix.
Le Conseil, a expliqué Mgr José Luis, a été fondé en 1976 pour responsabiliser les chrétiens en tant qu'avocats de la justice et de la paix à une époque où il était nécessaire d'accueillir un afflux massif de migrants. Il comprend l'Église catholique, l'Église anglicane et l'Église luthérienne.
Notre délégation, a-t-il déclaré, avait perçu le risque de graves violences dans le pays et «alors que nous arrivions pour exprimer notre inquiétude aux autorités, nous avons commencé à ressentir quelque chose dans les yeux : des gaz lacrymogènes étaient en ville».
Le Premier ministre par intérim «a eu la gentillesse de nous accueillir et nous lui avons parlé de la nécessité d'un dialogue national inclusif dans le pays comme moyen de sortir de la crise», a déclaré Mgr José Luis. La tension, a-t-il expliqué, montait, puisque quelques mois plus tôt des manifestations de masse, réprimées dans le sang par la police, avaient plongé la nation dans le chaos.
«Au mois de mai, un étudiant en droit de l'université a été retrouvé mort et on soupçonnait qu'il avait été tué par la police», a affirmé le prélat.
Le courant de violence qui sévit en Eswatini, classé comme l'un des pays les plus inégalitaires au monde, est alimenté par le chômage, la pauvreté, le manque d'infrastructures et par la perception que le roi et le gouvernement font la sourde oreille aux demandes du peuple. «En tant que Conseil des Églises, nous avons proposé de poursuivre la voie du dialogue et avons commencé à rencontrer différents groupes – partis politiques, ONG – pour comprendre leurs revendications, ce qu’ils pensent être la voie à suivre», a déclaré l’évêque de Manzini.
Chercher une voie à suivre par le dialogue
L'une des choses qui est née à cette époque a été le Forum Multipartite (MSF), une coalition pour la réforme constitutionnelle, qui a choisi comme président un avocat: M. Thulani Masego, un homme qui écrivait chaque mois dans un magazine intitulé «The Nation»
Les affrontements, la brutalité, les combats et les désordres sans précédent qui ont touché des hommes et des femmes de tous les horizons de la société, ont donné naissance à une organisation pour les victimes de la violence, qui ont profondément besoin d’accompagnement, a poursuivi Mgr Ponce de Leon. Cette situation a également mis en lumière l'urgence d'un forum de discussion dans lequel les citoyens pourraient exprimer leurs besoins, leurs difficultés et leurs opinions politiques. Ceci, a-t-il ajouté, est particulièrement vital pour les jeunes, dont beaucoup ne se reconnaissent pas dans la Constitution de 2005 et ont besoin de pouvoir parler de l'avenir.
«Malheureusement, je n'ai connaissance d'aucune mesure prise depuis un an et demi vers le dialogue», a confié l’évêque, décriant une période très difficile et cruciale pour le pays, «car le gouvernement dit "oui, le dialogue aura lieu"; mais cela ne peut avoir lieu au milieu de la violence». L'évêque de Manzini décrit le sentiment d'être pris dans un cercle vicieux dans lequel «certains groupes disent que parce qu'il n'y a pas de dialogue, nous nous tournons vers la violence». Or, «si nous ne sommes pas en mesure de briser ce cercle, les choses peuvent devenir hors de contrôle», ce qui est exactement ce qui se passe, avertit le prélat.
Mgr Ponce de Leon a parlé de son choc et de sa tristesse de s'être réveillé un matin de janvier en apprenant que Thulani Masego avait été tué. Non seulement ce dernier était une voix pour les droits de l'homme, mais il a également dit, très clairement, qu'«il sentait que plus personne n'était en sécurité dans le pays».
En tant qu’Église et en tant que chrétiens, a poursuivi l’évêque, il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire pour trouver un moyen de travailler ensemble.
Le Conseil des Églises, a-t-il dit, continue d’insister sur la nécessité du dialogue et d’encourager «toute initiative, de quelque côté que ce soit, en faveur du dialogue dans le pays».
Clubs pour la paix
Une étape positive a été franchie par le Bureau Justice et Paix du diocèse qui a commencé à mettre en place des clubs pour la paix dans les lycées, a noté l’ordinaire, ajoutant que «le ministère de l'Éducation voudrait que cela aille au-delà des écoles catholiques».
Mgr Ponce de Leon a également expliqué comment il essaie de faire comprendre aux jeunes qu'ils doivent être critiques et se méfier de ce qu'on leur dit, en veillant à ne pas être manipulés par certaines personnes sur les réseaux sociaux au risque de «se retrouver, plus tard, comme des marionnettes entre les mains de quelqu'un d'autre». Cela pourrait conduire à une autre crise plus tard, «s'ils découvraient qu'ils étaient utilisés par quelqu'un; car tous ces meurtres et fusillades doivent être financés par quelqu'un».
Faisant de leur mieux pour aider à créer les conditions d'une voie pacifique pour la petite nation d'Eswatini, les Églises mettent en place des clubs pour la paix et s'occupent des victimes de violence sans poser de questions, «comme le Bon Samaritain».
«Nous nous rendons simplement compte que la personne est au bord de la route, gravement blessée, et nous essayons d'offrir des conseils dans la mesure du possible, d'être proches de ceux qui s'interrogent sur leur avenir», a poursuivi Mgr José Luis.
L'Église et ses partenaires font leur possible pour engager le gouvernement et soutenir le peuple. Mais il y a, selon l'évêque, comme un manque de volonté de la part des autorités dans la poursuite de l'enquête sur le meurtre de Masego. Outre cela, l’émergence des nouveaux épisodes de violence chaque semaine, indiquent que cette crise sociopolitique persistante reste largement ignorée en dehors des frontières du pays, mais devient de plus en plus dangereuse, de jour en jour, pour les habitants d'Eswatini.
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