Mgr Chevtchouk, «nous ne nous sentons pas abandonnés»
Salvatore Cernuzio - Cité du Vatican
Une «tragédie», pour l'Ukraine et pour le monde, une «population traumatisée» par ces douze mois d'une guerre «aveugle, absurde, sacrilège», et de «l'impuissance» à obtenir la paix, tels sont les mots du chef de l'Église gréco-catholique ukrainienne lors d’un point presse, lundi 21 février.
Mgr Chevtchouk a lancé un appel aux politiques, aux médias et à tous ceux qui ont une voix et une responsabilité au niveau international: «Ne nous laissez pas seuls... Le mensonge et l'indifférence tuent».
Le chef de l'Église gréco-catholique ukrainienne était connecté depuis l'archevêché, sa résidence à Kiev, de la fenêtre duquel, donnant sur le fleuve Dniepr, il a vu le «feu» exploser dans le ciel ces derniers mois. Durant ce point presse, le président américain Joe Biden annonce son arrivée surprise dans la capitale ukrainienne. Mgr Chevtchouk sourit: «Il y a un an, à la même époque, dit-il, tout le monde nous abandonnait. Après le 24 février, il ne restait plus que deux représentants: le nonce apostolique, Visvaldas Kulbokas, et l'ambassadeur de Pologne. Beaucoup ont déménagé à Lviv, en Ukraine occidentale ou en Pologne. Un an plus tard, ils sont tous revenus, venus nous rendre visite ici. Politiquement, militairement, les fruits de ces visites seront révélés par les experts. Mais en parlant au nom des gens simples, cela nous donne le sentiment que nous ne sommes pas oubliés, que nous ne sommes pas abandonnés, que nous pouvons compter sur la solidarité de l'Europe, de l'Italie, du monde».
«C'est une grande consolation», dit l'archevêque, «l'armée russe nous a condamnés à mort. La solidarité nous donne l'espoir que cette sentence ne sera pas exécutée, que nous pourrons survivre, nous défendre et construire un pays libre et démocratique».
Sentiments d’impuissance
«Espoir» est un mot que Mgr Chevtchouk répète souvent. Également «gratitude». Gratitude «envers le Seigneur parce que nous avons pu survivre et servir notre peuple en faisant ce que nous pouvions»; gratitude «pour l'immense solidarité universelle». La gratitude, cependant, s'accompagne d'un «sentiment d'impuissance»: pour empêcher la guerre et maintenant, après un an, pour l'arrêter. «À la fin de l'année 2021, on pressentait déjà les fantômes de la guerre qui approchait... Pour ma part, j'ai essayé de sensibiliser de nombreuses institutions à ce danger mais malheureusement, ni les mécanismes du droit international ni les instruments diplomatiques n'ont pu empêcher la tragédie. Le monde entier se sent impuissant face à une guerre aveugle, absurde, sacrilège»
Le plus grand regret, confie Mgr Chevtchouk, est de ne pas avoir pu sauver des vies: «Je me souviens de Marioupol : combien de fois avons-nous essayé d'apporter de la nourriture et de l'eau, mais tant de gens sont morts de faim et de soif. Et tant de gens sont morts torturés et tués ou touchés par des missiles. Cette année, peut-être pour la première fois, dit l'archevêque majeur, j'ai vu comment les armes modernes sont capables de tout détruire: vies humaines, villes, environnement».
L’usage des armes
La question des armes est désormais centrale. «On parle d'utilisation proportionnée», note Mgr Sviatoslav Chevtchouk, en réponse à une question sur le récent appel de l'UE à fournir des armes à l'Ukraine. «Je ne me sens pas à l'aise pour parler de cela, dit l'archevêque, mais pour le moment, la capacité de l'Ukraine à se défendre n'est pas proportionnelle à la capacité de la Russie à nous attaquer. Nous sommes un pays beaucoup plus petit. C'est un miracle que nous soyons en vie».
Le Conseil pan-ukrainien des Églises, récemment en visite à Rome, a adressé une lettre ouverte à la communauté internationale pour demander des capacités antimissiles. «Comment se fait-il que les Églises demandent la fourniture de certains types d'armes? Parce que si nous abattons un missile, personne ne meurt, mais s'il tombe, il cause beaucoup de morts. En ce moment, le Conseil pan-ukrainien considère qu'il est moralement acceptable d'envoyer des armes à l'Ukraine pour augmenter la capacité de défense», déclare Mgr Chevtchouk.
Le dialogue avec les orthodoxes
La question est épineuse, tout comme le dialogue avec les églises orthodoxes ukrainiennes liées à Moscou. En décembre, le président Volodymyr Zelensky, après des enquêtes et des perquisitions menées par les services de sécurité intérieure, a signé un décret restreignant l'activité de l'Église orthodoxe en communion avec le Patriarcat de Moscou. «Cette Église vit maintenant un moment de confrontation ouverte avec la société ukrainienne», commente Mgr Sviatoslav Chevtchouk. «Avant la guerre, les gens criaient à l'unité, maintenant il y a une forte demande pour interdire cette Église. Presque une haine... Ce n'est pas chrétien, mais ce sont les sentiments des personnes blessées.»
Le problème, prévient le prélat, est que «lorsqu'une Église se heurte à l'opinion publique, tôt ou tard, un homme politique viendra exploiter ce sentiment et le transformer en loi». Pendant ce temps, au parlement ukrainien, rapporte le chef de l'Église gréco-catholique ukrainienne, un projet législatif est à l'étude par lequel «l'État sera contraint de tout faire pour qu'aucune Église ou société religieuse ne puisse être instrumentalisée par un pays extérieur à ses propres fins politiques».
Souffrance des enfants
Les premiers à souffrir sont les enfants. Ceux à qui la guerre a «volé leur sourire», comme l'a dit récemment le Pape. «Ils perdent leur enfance», dit Mgr Chevtchouk. Il raconte l'histoire d'une famille de Kramatorsk, touchée par une attaque de missiles sur la gare ferroviaire. «La fille aînée a été tuée, la mère a perdu ses jambes. Le garçon de 11 ans a été obligé de s'occuper de sa mère blessée et d'organiser les funérailles de sa sœur. En parlant avec lui, j'ai vu qu'il avait perdu son enfance en un instant. Il parlait comme un homme mûr aux volontaires et aux médecins, il était protecteur de sa mère... Nous essayons vraiment de faire une pastorale spécifique pour les enfants et les plus vulnérables», ajoute-t-il, «bien que nous ne connaissions pas encore le nombre exact de ceux qui ont besoin d'un accompagnement.»
Tout comme nul ne sait quand «ces bêtises» en Ukraine vont se terminer. «La douleur du peuple augmente chaque jour», a confié Sviatoslav Chevtchouk, qui se dit néanmoins «fier» de tant d'évêques, de prêtres, de religieuses, de moines qui «ont su voir le Christ dans les personnes blessées par la guerre. Des gens affamés, sans rien, qui nous ont fait entièrement confiance». Ces mêmes évêques et prêtres sont aujourd'hui «démoralisés»: «Chaque jour, ils doivent célébrer les funérailles des victimes, militaires et civiles. Des funérailles sans fin... "Nous ne savons plus quoi dire", m'a confié un évêque.»
«Aujourd'hui, conclut le primat, on parle de nombreuses propositions de paix. Notre gouvernement a sa propre formule de paix: le premier point est que l'Ukraine libère tous les territoires occupés. D'autres propositions parlent d'un compromis, de négociations, de la cession de certains territoires, etc. Mais quand j'écoute ces discussions, j'ai un frisson. Pour l'Église, il ne s'agit pas des territoires, il s'agit des gens qui s'y trouvent. Nous devons libérer les gens, nos fidèles !».
Ne fermez pas les yeux
Dans toutes les régions occupées – «17% du pays» - il ne reste plus un seul prêtre: «Ni grec catholique, ni latin... Certains ont été jetés dehors, d'autres emprisonnés», affirme l'archevêque, rappelant les deux pères rédemptoristes «héroïques», Ivan Levytskyi et le père Bohdan Heleta, arrêtés le 16 novembre à Berdyansk et pendant cent jours soumis à une torture quotidienne. «Aucune négociation, aucune diplomatie, n'ont pu atténuer la douleur de ces prêtres».
«Nous prions, conclut le chef de l'Église gréco-catholique, pour que le Seigneur écoute le sang qui crie de la terre ukrainienne vers le ciel. Nous demandons que le monde ne ferme pas les yeux sur les blessures et les souffrances du peuple, qu'il ne s'en lasse pas. Souvent la douleur ukrainienne disparaît des journaux, elle ne fait plus l'actualité, comme en 2014 avec l'invasion du Donbass. La vérité est toujours, comme le dit le pape, victime de la guerre. Une guerre de désinformation. Le mensonge et l'indifférence tuent, tuent beaucoup».
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