Haïti: Mgr Dumas appelle la communauté internationale à des actes concrets
Entretien réalisé par Myriam Sandouno - Cité du Vatican
Le 19 avril dernier, des violences perpétrées par les gangs ont fait au moins 20 morts dans la localité de Cabaret à une trentaine de kilomètres au nord de Port-au-Prince. Les actes de violences se sont étendus dans d’autres quartiers qui étaient, jusque-là, moins touchés par l’insécurité qui sévit dans le pays.
Certains lieux de culte sont aujourd’hui fermés, comme l’oratoire Saint-Charbel, suite à l’enlèvement de deux fidèles en pleine messe. «C’est un acte de trop», a dénoncé l’archevêché de Port-au-Prince, qui ne cesse d’exhorter les autorités à condamner «ceux qui font fonctionner l’industrie du kidnapping en tirant des profits». L’Église catholique, jusqu’alors très respectée, n’est plus épargnée.
Les gangs en effet continuent de faire la loi, ils règnent dans beaucoup de quartiers appellés des «zones de non-droits», affirme Mgr Pierre Dumas, évêque d’Anse-à-Veau et Miragôane en Haïti.
Selon lui, il est absolument important qu’on puisse «restituer un petit peu au pays l’émergence d’état de droit que nous avions eu, après ce qui s’était passé en 1986». «On est en train de détruire tout ce qui faisait un peu la vie du peuple haïtien, raconte-t-il, le vivre-ensemble, la confiance, les rapports de bon voisinage. Et donc on commence à perdre tout ça. Les gens en allant à l’église ils savaient que c’était des lieux plus ou moins sûrs. Finalement même à l’église on vient kidnapper du monde. Et aussi, cela fait que beaucoup d’églises ferment». «Dans la zone de Martissant, dans la paroisse de Sainte Bernadette et d’autres "zones de non-droit", il est presque difficile d’exercer le culte, d’avoir des célébrations, de célébrer l’Eucharistie en toute tranquillité, en toute quiétude, déplore l’évêque haïtien». «Quand les fidèles vont dans des églises, il faut qu’il y ait pratiquement une entente avec les gangs pour pouvoir participer au culte, donc c’est très révoltant. C’est tout le pays qui vit cette situation», souligne-t-il.
L’Église en Haïti, semble ne plus être respectée aujourd’hui, peut-on dire qu’elle est délégitimée?
Je pense que les gens ont tellement perdu confiance, et que finalement certains pensent qu’ils peuvent s’en prendre à l’Église. Parce que, beaucoup disent aussi que c’est la seule, peut-être, institution qui reste encore comme rempart. Ceux qui ont en tête de créer une situation complètement chaotique, anarchique, veulent s’en prendre à l’Église, de manière à ce qu’il n’y ait personne en mesure de réagir.
Depuis quelques temps, certains considéraient que c’était comme une fuite en avant de ne pouvoir réagir, or c’est une légitime défense de pouvoir protéger cette vie que Dieu donne. On n’a pas le droit de tomber dans la violence, mais il faut que les gens s’organisent pour arrêter cette dérive sociale, cette dérive politique, cette dérive aussi au niveau économique. Ces dérives ont poussé beaucoup de jeunes à s’armer et à devenir des chefs de gangs et à avoir le contrôle de certains quartiers jusqu’à créer complètement des zones de non-droit.
Des accusations sont portées à l’endroit de confessions religieuses, notamment de certains membres de l’Église épiscopalienne qui ont été accusés l’année dernière pour leur implication présumée dans le trafic d’armes. Est-ce que cela n’affecte pas l’image de l’Église dans son ensemble?
Oui! On sent que toute l’Église en souffre, et tout le monde. Surtout, les gens confondent les différentes expressions, puisque des prêtres de l’Église anglicane épiscopalienne ont été mêlés à des affaires d’armes et cela a fait que tout le monde a perdu une certaine crédibilité, quand bien même au niveau du dialogue religieux, on a toujours essayé de travailler ensemble. Et donc cela aussi affecte le travail, puisque maintenant tout ce travail qui se faisait entre les différentes confessions pour apporter la quiétude au niveau des religions pour la paix, est un tout petit peu bloqué et arrêté. Parce que, voilà que des personnes qui n’étaient pas les représentants de leurs communautés dans le dialogue pour la paix, mais qui sont quand même des responsables, et maintenant qui sont dans le maquis, ont pris la poudre d’escampette, parce que justement, certains membres de ces confessions chrétiennes ont été identifiés comme des gens qui alimentaient aussi les gangs par des armes, à travers un trafiquant international d’armes, que l’on est en train de chercher. Et ces prêtres aussi de cette confession chrétienne, on n'arrive plus à les retrouver.
Et je pense que cela a beaucoup affecté ce que nous appelons la liberté religieuse, maintenant les gens identifient tout le monde, donc ils ne font pas de différence entre le prêtre catholique, le prêtre anglican, disons épiscopalien… Nous condamnons ce qui s’est passé, mais en même temps nous demandons aux gens de ne pas confondre. L’Église catholique, même si c’est l’Église universelle qui embrasse tous ses fils, toutes ses filles, mais l’expression de l’Église latine reste l’expression de l’Église latine comme Église catholique universelle. Et je crois que c’est là aussi un défi pour toute l’Église en général, l’affaire de vouloir gagner de l’argent n’importe comment, et d’abandonner un peuple en souffrance alors qu’on aurait dû plutôt se mettre ensemble pour aider ce peuple à faire l’expérience de la résurrection de notre Seigneur.
Quelle option s’offre à l’Église pour juguler le problème?
Les options qui s’offrent c’est plutôt porter les gens au dialogue, de manière à ce que même si l’Église ne prend pas la tête du dialogue, elle peut être témoin, accompagnateur, observateur. Quand les frères n’arrivent plus à se parler, à discuter, à chercher une solution commune, à créer un vivre-ensemble commun, et bien on est presque au bord des attaques parfois génocidaires. Et je sais aussi que déjà au niveau de la nonciature apostolique, le nonce est entrain de faire beaucoup d’efforts. Et de notre côté aussi les acteurs que nous rencontrons, nous leur disons qu’il faut aller en ce sens. La deuxième chose, c’est que nous autres, nous essayons de dire à la communauté internationale qu’il faut arriver à faire des choses concrètes. On ne peut pas toujours prôner qu’on va aider Haïti, mais au niveau concret, on ne voit pas quel signe on est en train de donner. Que la communauté internationale puisse être aux côtés d'Haïti, pour que le pays ne soit pas seulement une espèce de plaie, de blessure, au côté de l’humanité et au côté du monde.
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