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Une catholique indienne en prière dans la cathédrale Saint-Thomas de Chennai, en février 2020. Une catholique indienne en prière dans la cathédrale Saint-Thomas de Chennai, en février 2020. 

La liberté religieuse violée dans près d’un tiers des pays du monde

Les minorités religieuses font l’objet de surveillance, de restrictions financières, de manipulations politiques ou de persécutions physiques dans 61 pays du monde, rapporte ce jeudi le rapport 2023 d’Aide à l’Église en détresse sur la liberté religieuse.

Marie Duhamel - Cité du Vatican

«La paix exige que la liberté religieuse soit universellement reconnue», clamait le Saint-Père lors de ses vœux au corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, le 9 janvier dernier. Fort de cette conviction, Aide à l’Eglise en détresse veille à son respect dans 196 pays à travers le monde et publie tous les deux ans un rapport d’étape.

Le rapport 2023, sa 16ème édition depuis 1999, a été publié jeudi 22 juin. Il porte en particulier sur la période allant de janvier 2021 à décembre 2022. Plus de trente experts, universitaires, missionnaires, militants des droits de l’homme et journalistes y ont contribué, en prêtant attention à différents critères tels que l’existence ou non d’une religion imposée ou la possibilité pour des associations ou des médias confessionnels d’exercer. Leur constat est inquiétant.

En recul dans 47 pays

Si la situation s’est améliorée en Égypte, Jordanie ou, dans le Golfe, aux Émirats arabes unis et au Qatar -au total neuf pays-, la persécution religieuse s’est en revanche aggravée dans 47 autres.

Aujourd’hui, 4,9 milliards d’individus, soit 62,5% de la population mondiale vit dans un pays en proie à de «sérieuses» ou «très sérieuses violations» de la liberté religieuse. Depuis 2021, des personnes ont été tuées ou enlevées en raison de leur foi dans 40 pays. Des lieux de cultes ont été détruits ou endommagés dans 34 pays.

L'Afrique, continent le plus affecté

Sur 39% du continent africain, la liberté religieuse est bafouée. De la Libye au Mozambique, du Mali au Soudan, sur la carte de l’AED, 13 pays sont représentés en rouge, une couleur traduisant d’extrêmes persécutions. Elles sont dues essentiellement à l’expansion de groupes islamistes armés, dans un contexte de défaillance étatique, de sécheresse et de pauvreté.

On connait le cas nigérian. Meurtres, enlèvements de jeunes filles et pillages sont récurrents depuis la fondation de Boko Haram à Maiduguri au début des années 2000 et la charia est appliquée dans certains États du nord, mais la violence s’est accentuée dans l’ensemble du pays, et elle vise particulièrement les chrétiens. Cela a des conséquences au Cameroun voisin. «L’insécurité est totale dans la région de l’extrême-nord», rapporte l’AED. 

Dans son rapport, Aide à l’Eglise en détresse met en avant le cas du Burkina Faso, où plus de 40% du territoire serait sous contrôle de groupes armés. Les violences djihadistes ont fait 3 600 morts (un chiffre en hausse de 69%) et provoqué le déplacement de 1,9 millions de personnes en 2022.

Les opérations djihadistes déstabilisent des pans entiers de territoire au Niger, au Mali –les communautés chrétiennes y sont terrorisées, affirme l’AED, mais aussi au Tchad. Dans le pays, note l’organisation, existe en outre une «exploitation politique de la répartition générale de la population au nord (éleveurs musulmans) par rapport au sud (cultivateurs chrétiens)».

L’AED met également en exergue le facteur politique au Soudan. «Le début du processus de libéralisation» avait conduit à la mise en place juridique d’un état laïc, et à la suppression de la peine de mort pour apostasie, un élan stoppé par le coup d’état d’octobre 2021. Les affrontements actuels entre généraux conduisent à un exode chrétien vers le soudan du sud.

Concernant le continent africain, impossible de faire l’impasse tant sur la Somalie que sur le Mozambique où les assaillants visent tant les chrétiens que les musulmans, ou encore sur la RDC. Dans l’est du pays, les massacres commis par divers groupes armés provoquent des déplacements de population.

Gouvernements autoritaires et surveillance

L’extrémisme islamiste est une des causes des persécutions religieuses mais pas la seule. Elles sont également le fait de gouvernements autoritaires. En Corée du Nord, le simple fait de se réunir pour prier ou de posséder «un support religieux» est interdit et passible d’exécution sommaire.

En Chine, l’ensemble des cultes religieux sont touchés par «la sinisation forcée» et «le contrôle omniprésent» de l’État. Les autorités ont recours aux technologies numériques pour surveiller massivement la population, ce qui est également le cas en Ouzbékistan ou au Bangladesh, rapporte l’AED. Censure et surveillance sont aussi les mots d’ordre au Turkménistan, en Asie centrale.

Pour la première fois en rouge sur la carte de l’AED, en Amérique centrale, le Nicaragua où le régime Ortega n’accepte aucune critique. Des représentants de la société civile et de la religion majoritaire, le catholicisme, ont été pris pour cible. Le nonce a quitté le pays; un évêque et des prêtres ont été arrêtés et condamnés et des biens ont été saisis, l’Église étant désormais perçue comme une force d’opposition. 

Nationalisme ethnoreligieux

Enfin, autre cause de persécutions: le nationalisme ethnoreligieux comme en Birmanie, au Sri Lanka ou en Inde, Aujourd’hui 12 États indiens ont, ou envisagent, d’adopter des lois anti conversion. L’AED note que l’aggravation de la violence religieuse est encouragée par l’impunité accordée par le gouvernement conduit par le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party de Narendra Modi.

Impunité inquiétante

Le rapport démontre un inquiétant sentiment d’impunité face aux violations. Dans 36 pays du monde, les coupables ne sont que rarement, ou même jamais, poursuivis. Un phénomène courant au Pakistan, pays qui ne fait l’objet d’aucune sanction internationale. L’AED relève la discrétion de la communauté des nations, en particulier lorsque les violations ont lieu dans des pays «stratégiquement importants», comme l’Inde ou la Chine.

La Terre Sainte sous observation

L’AED est également attentive au sort des croyants en Turquie, en Thaïlande, au Venezuela ou en Terre sainte, tous en catégorie orange, qui dénote l’existence d’une discrimination. Près de 853 . «Les dirigeants chrétiens ont averti, de manière inédite, que les groupes extrémistes juifs étaient en train de chasser les chrétiens de Terre Sainte» relève l’AED. L’organisation de défense des chrétiens persécutés a mis également dans le viseur de sa loupe une vingtaine de pays, Mexique, Russie, Liban, Madagascar ou Burundi où des crimes de haine, des violations de la liberté religieuses seraient susceptibles de provoquer une rupture ont été observés.

La parole religieuse discréditée en Occident

Dans les pays occidentaux, la liberté religieuse n’est pas menacée mais Aide à l’Eglise en détresse met en garde contre «des positions idéologiques avancées comme point de référence morale de la société» qui «marginalisent et discréditent les positions devenues dissidentes» des communautés religieuses. La place du religieux dans la sphère de la vie sociale s’en voit affectée.

Ce présent rapport sera présenté par l’AED aux parlementaires français et européens.

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22 juin 2023, 14:45