Hommage à l’abbé Bujo, maître en science et en humanité
Stanislas Kambashi, SJ – Cité du Vatican
Au moment où se célébraient les funérailles de Bénézet Bujo, en l’Eglise Sainte Thérèse de Fribourg, en Suisse, des témoignages ne cessaient de lui être rendus. Un «hommage vibrant et mérité à cette grande figure de la Théologie africaine» lui a été rendu par l’abbé Santedi, qui l’a eu comme professeur et «Maître» de théologie morale à la faculté de théologie de Kinshasa, actuellement intégrée dans l’Université catholique du Congo (UCC). C’est au sein de cet alma mater que l’abbé Bujo, prêtre du diocèse de Bunia en République Démocratique du Congo, a commencé sa carrière comme professeur, en s’illustrant parmi «les brillants», au point de mériter de ses étudiants, dont le futur théologien Léonard Santedi, le titre de «Maître». De lui, ils retiennent le souvenir d’un chercheur d’une grande rigueur dans la science. «De lui nous avons appris que la science ne se fait pas sur des succédanées, à partir des raccourcis. La science, c’est le travail rigoureux et vigoureux, à partir des sources», témoigne le recteur de l’UCC, en confiant qu’il les poussait à travailler sérieusement.
«Une éthique africano-christocentrique», une créativité de Bénezet Bujo
L’abbé Bujo a lui-même étudié en profondeur Thomas d’Aquin, au point d’écrire sa thèse d’habilitation sur l’autonomie de la morale et l’élaboration des normes chez l’Aquinate. Tout en étudiant la théologie occidentale, il a aussi approfondi «sa culture» africaine et congolaise, pour que l’Afrique ne soit pas seulement ce terrain où l’on vient appliquer Thomas d’Aquin, mais pour entrer dans une véritable confrontation d’où surgissent la créativité et l’inventivité. Il travaillera lui-même pour une inculturation de l’éthique chrétienne, au point de produire une «œuvre originale». Mettant en lien les richesses de la culture africaine et le génie créateur africain, il va penser ce qu’il a appelé «une éthique africano-christocentrique», qui met au centre «le Christ comme ancêtre» et qui montre que dans la détermination des valeurs, il n’y a pas que les valeurs et les données d’autres continents, mais aussi celles des cultures africaines. «Est bon ce qui permet de faire éclore la vie et de la protéger. Tout ce qui nuit à la vie – à la communauté – et la détruit doit être combattu comme mal», explique le prêtre de Kinshasa. L’abbé Bujo écrira ainsi «Une introduction à la Théologie africaine» et publiera plus tard «Le credo de l’Eglise en dialogue avec les cultures».
Pour un christianisme authentiquement africain
L’un de ses derniers ouvrages s’intitule: «Quelle Eglise pour un christianisme authentiquement africain? Universalité dans la diversité», portant sur le christianisme vécu en Afrique dans sa diversité culturelle. Un tel christianisme, souligne l’abbé Santedi, se vit au quotidien, dans la manière dont les africains répondent à l’appel du Christ, à partir de leur contexte de vie. «Il nous faut des racines et des ailes», déclare le recteur de l’UCC. Les racines nous permettent de parler à partir de nous, de nos valeurs, de notre culture, c’est-à-dire de notre manière d’habiter le monde, de répondre aux défis de l’avancée de l’histoire. Et des ailes pour être créatifs. Bujo, a-t-il expliqué, a étudié la catégorie d’ancêtres, comme ceux qui donnent la vie, non pas dans une certaine platitude, mais en la faisant accompagner des normes pour encadrer et protéger cette vie; afin de la faire croître et rayonner. Les ancêtres au cœur droit, qu’il appellera «ces saints inconnus», nous aident à rencontrer le Christ, qu’il désignera comme «proto-ancêtre», car Il est le premier né d’entre les morts.
L’un des pionniers de la Théologie africaine
Bénézet Bujo est reconnu comme l’un des pionniers de la Théologie africaine. Pour l’abbé Santedi, cela est vrai, car dans l’histoire de cette discipline sur le continent, il y a eu une première génération où l’on retrouve des figures comme Mgr Tshibangu, Vincent Mulago, Fabien Eboussi Boulaga, Gérard Bissainthe, ect, qui avaient pour défi de démontrer qu’il y a des valeurs dans les cultures africaines. De cette époque remonte le livre «Des prêtres noirs s’interrogent» (1956), réclamant que l’on laisse aux noirs la parole pour dire ce qui les concerne. Après cette génération, les penseurs qui les ont succédé comme Bénezet Bujo, Bimweni Kweshi, Ngindu Mushete, ect, ont travaillé à montrer comment ces valeurs peuvent servir de registre épistémologique pour l’élaboration d’une véritable théologie qui ne soit pas sectaire, mais en symphonie et en dialogue avec d’autres cultures. Bujo a particulièrement produit une œuvre originale en éthique. Il a aussi fait la promotion de la Théologie africaine en occident, et particulièrement en Suisse, où il a été professeur et vice-recteur de l’Université de Fribourg. Il a par ailleurs montré que la Théologie africaine «est une théologie à part entière, qui apporte sa contribution à l’annonce de l’Evangile, à la construction de l’Eglise et à celle de l’humanité», souligne le théologien congolais.
Un travail de créativité à poursuivre par les générations actuelles et futures
Le travail de créativité de ces pionniers continue avec des études et des œuvres originales des théologiens africains, notamment en ecclésiologie, en liturgie, en christologie, en dogmatique, en éthique, en théologie fondamentale, a fait observer l’abbé Santedi. Un «Dictionnaire de théologie africaine» a été produit. Aujourd’hui, il existe aussi une théologie sapientielle, poïétique et une sorte de théologie prophétique, qui émerge notamment dans le contexte du marasme sociale, politique et économique du continent africain, a-t-il ajouté.
En s’adressant aux générations actuelles et futures, l’abbé Santedi estime qu’il y a trois choses à retenir de Benezet Bujo. Premièrement, la Théologie africaine n’est pas sectaire, c’est-à-dire qu’elle ne se fait pas à partir de quelques proverbes, «mais dans une confrontation», dans l’étude des sources. Un tel investissement épistémologique porte à la créativité. Deuxièmement, «l’Afrique ne doit pas être comme un slogan, une sorte d’appendice», où l’on vient appliquer ce qui a été conçu ailleurs. Les jeunes doivent étudier en profondeur l’Afrique en elle-même, afin de parvenir à une bonne confrontation. En dernier lieu, l’abbé Santedi invite les générations actuelles des théologiens africains à produire, comme Bénezet Bujo lui-même, qui est auteur de nombreuses publications, traduites dans plusieurs langues. Il les appelle aussi à travailler en réseau, afin de savoir mieux articuler le génie créateur africain et les sources d’ailleurs, pour une grande nouveauté et inventivité.
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