Semaine de prière pour l'unité des chrétiens: la guérison des mémoires blessées
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican
Le thème de la semaine de prière 2024 est basé sur un extrait de l'évangile selon saint Luc «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu et ton prochain comme toi-même». Comment ce verset illustre-t-il le défi œcuménique?
Il illustre les difficultés du Burkina Faso vécues comme telles depuis plusieurs années. La crise sécuritaire profonde fait que les différentes Églises du pays s’entraident et œuvrent ensemble aussi avec d'autres religions, musulmanes en l'occurrence, mais aussi des religions animistes locales, pour créer un élan en faveur de la paix à travers la solidarité.
Il semblait tout à fait pertinent à ce groupe œcuménique de choisir la parabole du bon Samaritain, vue comme une invitation profonde à pouvoir se tourner vers l'autre, accueillir l'autre différent de moi, comme dans la parabole. Ce Samaritain en froid avec les juifs de l'époque avec lesquels il ne s’entendait pas, ne parlait pas, ne s’approchait, voit sa guérison et sa vie renouvelée venir de l'étranger.
Quelle pratique œcuménique se vit en temps d’instabilité sécuritaire? Est-ce un contexte qui peut rapprocher?
Oui, c’est le cas des chrétiens du Burkina. Tous se retrouvent dans une même difficulté: l’impossibilité de pouvoir célébrer les différents cultes religieux, la fermeture des écoles, des centres de santé, en raison des attaques venant justement des milices qui interpellent les uns et les autres dans le pays.
Il n'y a que dans les grandes villes, souvent sous surveillance militaire, que les cultes, même écourtés pour des raisons de sécurité, ont pu avoir lieu. C'est dans ce contexte là que cette fraternité peut aussi se vivre, se fortifier ensemble dans l'épreuve, en cherchant à continuer à se réunir pour prier Dieu comme ils souhaitent le faire mais dans un contexte très difficile.
Le texte biblique de référence cette année évoque la parabole du Bon Samaritain. Comment cet amour du prochain peut il faire écho aux déchirantes divisions qui ravagent les théâtres de guerre de notre monde? Comment comprendre ce verset à l'aune des conflits?
L'unité des chrétiens en tant que telle est une belle occasion de pouvoir mettre à l'œuvre certaines méthodologies pour pouvoir aborder la relation à l'autre différemment et percevoir ce qu'il y a de bien, de positif chez l'autre, de construire un récit qui passe par des étapes de guérison des mémoires. Il s’agit de reconnaître que ce que l'on a vécu ensemble peut-être de blessant dans le passé n’est pas appelé à en rester là, mais à être apaisé. Le processus nécessaire de la guérison des mémoires consiste à pouvoir relire ensemble, dire ensemble nos divergences, notre passé blessé, asymétrique le plus souvent, pour pouvoir ensuite arriver à l’étape d’écrire une histoire commune.
Cette méthode a déjà servi il y a plusieurs décennies, lorsqu'on en Alsace, il y avait l'écriture commune de l'histoire blessée franco-allemande dans les manuels d'histoire des lycéens. Plus récemment, d'un point de vue œcuménique, entre mennonites et luthériens, un grand désir de pouvoir célébrer ensemble les 500 ans de la Réforme protestante en 2017 s’est fait ressentir. Pourtant, des blessures étaient restées béantes depuis le XVIe siècle, un passé de violences faites aux mennonites par les luthériens. Relire ensemble pour trouver la paix, pour Écrire un récit commun là où les identités des uns et des autres sont attachées au passé. Pour surmonter cela, la guérison des mémoires est un outil qui peut servir dans les lieux de tensions et de conflits.
Quelles autres étapes précèdent l’unité des chrétiens?
En effet, la réconciliation est le fruit d'un long processus. Elle n’est ni toute faite ni soudaine. Les Églises, depuis plusieurs années, se rendent compte à quel point elles ont besoin les unes des autres, qu'elles appartiennent à la notion même de catholicité. Le dernier ouvrage du groupe des Dombes -rassemblant des théologiens catholiques et protestants- paru en français ces jours-ci, fait la part belle à cette notion. Ils ont travaillé pendant plusieurs années pour proposer un ouvrage qui donne de l'espérance concernant ces étapes préliminaires. Il s’agit d’essayer d'aborder la dimension de catholicité, de l'essence même de nos Églises que nous partageons, et de croire que l'unité est déjà donnée d'avance par le Christ à son Église, mais que nous vivons actuellement une communion imparfaite. Nous avons à cheminer vers cette communion parfaite voulue par le Christ et exprimée «Que tous soient un» dans l'évangile de Jean au chapitre 17.
Ces étapes préliminaires consistent en effet à pouvoir, de manière apaisée, parler, rencontrer des chrétiens d'autres églises pour pouvoir repérer parfois ce qui, dans l'esprit d'un œcuménisme réceptif, permet d'accueillir tel ou tel élément ou aspect de la vie de l'Église de l'autre.
Parfois un élément structurel comme la synodalité où dans la liturgie, un aspect de chant, ou peut-être à travers des icônes ou un ensemble d'éléments qu'on perçoit chez nos frères et sœurs chrétiens, et qu'on pourrait légitimement intégrer à notre propre manière de vivre, de célébrer notre foi en Dieu Père, Fils et Saint-Esprit; non pas pour être dénaturés, au contraire, pour renforcer notre identité même en tant que catholiques, par exemple en accueillant, en repérant ce qui dans les autres Églises, non pas ce qui manque chez eux, ce qui a pu être une façon de percevoir nos frères et sœurs chrétiens d'autres Églises dans le passé, mais aujourd'hui, de voir ce qu'ils vivent comme une richesse et de voir ce qui peut, moi, me renforcer dans ma propre identité, en l'occurrence en tant que catholique.
Quelles voies originales porte la communauté du Chemin neuf dans ce concert œcuménique?
La communauté du Chemin neuf étant engagée depuis ses origines il y a 50 ans, est habitée par ce désir de pouvoir non seulement œuvrer ensemble pour l'unité des chrétiens, mais faire tout ce que l'on peut dès à présent. Cela inclut prier ensemble, vivre ensemble et être en mission d'évangélisation auprès des autres.
Il y a cet œcuménisme du vécu, accompagné et soutenu par l’œcuménisme théologique, mais qui n'est pas une affaire de spécialistes. C'est quelque chose que chacun de nous, en tant que chrétien, peut déjà mettre en œuvre en laissant l'Esprit Saint dans un sentiment d'ouverture à l'autre, d'accueil de l'autre comme frères et sœurs chrétiens.
Nous avons vraiment des outils et des avancements dans nos aussi déclarations et accords qui nous permettent de pouvoir vivre aujourd'hui et dans l'avenir, une relation renouvelée dans l'espérance de pouvoir vivre ensemble la pleine unité du corps du Christ Église
Après dix ans de pontificat François, comment se portent les relations œcuméniques selon vous? Quelles impulsions et chemins ont été tracés? La synodalité est-elle un levier en la matière?
Je sens que le Pape a vraiment porté le souhait d'agir concrètement. En s'appuyant sur les acquis du passé, théologiquement parlant, les accords, les déclarations, les rapports, le travail continu -je pense à la déclaration très importante sur la façon de concevoir le salut, cette doctrine sur la justification signée en 1999 ou un autre exemple en 2001, la Charte œcuménique européenne-, le Pape a été en mesure de dire: "mettons tout cela en acte". Il a pu poser beaucoup de petits gestes dans ses rencontres avec les responsables d'Église de façon très forte et visible.
En témoigne par exemple cette veillée œcuménique place Saint-Pierre le 30 septembre dernier, où des chrétiens du monde entier avec une vingtaine de responsables religieux et le Pape ont prié ensemble pour le monde, pour leur Église, pour les uns pour les autres.
Cela a manifesté l'état de communion, bien qu'imparfaite, mais qui existe très réellement aujourd'hui entre nos Églises, puisque notre appel de pouvoir vivre notre foi chrétienne en Dieu Trinité est commun et nous le reconnaissons désormais. L’évêque de Rome a su se saisir de cela et inviter à oser faire le premier pas, ne pas attendre que ce soit l'autre qui le fasse. Mieux connaître l'autre ne va pas affaiblir mon identité, au contraire, cela va la renforcer.
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