L’Église gréco-catholique ukrainienne en mission
Xavier Sartre – De retour d’Ukraine
Une dizaine de femmes tout au plus reprennent les chants dans ce qui n’est encore que la crypte de l’église du père Volodymyr Malshynn. Elles assistent à la divine liturgie de ce vendredi matin, célébrée par le prêtre de cette jeune paroisse de Vishneve, une petite ville de la banlieue ouest de Kiev, la capitale ukrainienne. L’église n’a pas émergé encore de terre et n’est protégée que par un toit qui dépasse à peine du sol, une sorte d’église des premiers temps du christianisme, des catacombes, servant de refuge en cas d’alerte aérienne, ce qui est inestimable: certaines écoles du quartier ne peuvent plus accueillir d’élèves car elles ne disposent pas d’abris.
Une petite cuisine, une salle de bain et une salle de rangement complètent la salle principale qui fait office de chapelle. Les murs ont été peints il y a peu. Mais ce qui peut paraitre provisoire n’a plus rien à voir avec l’église des premiers temps de cette paroisse, quand le père Volodymyr, marié et père de trois enfants, est arrivé de la région de Lviv.
Dans cette région majoritairement orthodoxe, sa venue n’a pas été spontanément acceptée par les autorités locales, attachées à leur Église orthodoxe. «Au début, je célébrai l’eucharistie dans le salon d’une de mes paroissiennes, avant de louer une salle dans un bureau au fur et à mesure que le nombre de fidèles a augmenté. Ils étaient dix au début, ils sont une centaine aujourd’hui», se souvient le père Volodymyr.
Se retrouver autour de l’eucharistie dans ce qui est officiellement une église est donc un sacré pas en avant. Maintenant, il développe des activités pour les enfants du quartier, comme des camps d’été ou d’hiver, le catéchisme, ou des fêtes comme pour la Saint-Nicolas. Son Église vient aussi en aide aux plus nécessiteux, surtout les personnes âgées: certaines ne perçoivent qu’une pension de retraite de 50€, trop peu pour vivre dignement. Et la guerre n’a évidemment pas fait disparaitre les problèmes économiques et sociaux qui minent une partie de la population.
Aide aux déplacés
Avec la guerre et l’arrivée de déplacés – ils sont 12 000 dans une ville comptant 50 000 habitants en temps normal - le père Volodymyr a encore plus de travail. Dans son quartier, cinq à six familles de déplacés arrivent chaque semaine après avoir traversé cinq à six pays, une odyssée pour retrouver leur pays. «Leurs membres sont fatigués et stressés par les épreuves qu’ils ont subies. Nombreux sont ceux qui ont tout perdu, qui sont humiliés, abimés, ou qui pleurent des morts parmi leurs proches. Certains sont malades et n’ont pas pu se soigner lors de leur exode» décrit-il.
Heureusement, un jeune prêtre, Jaroslav, lui aussi marié, prête main forte à Volodymyr. Les deux hommes collaborent étroitement avec les services sociaux communaux qui orientent vers la paroisse certains de ces déplacés qui reçoivent entre autres, une aide alimentaire distribuée par l’Église, les 50 € qu’ils perçoivent de l’État étant trop peu. Donner un toit, un lieu chaud où être accueilli sans discrimination est aussi essentiel pour ces déracinés qui ont fui l’occupation russe. Un partenariat psycho-social a été mis en place également avec les services sociaux qui apprécient cet engagement du prêtre, le plus souvent envers des personnes qui n’ont pas la foi ou qui sont orthodoxes.
Là aussi, l’aide internationale est primordiale. Le père Volodymyr, lors de la prière eucharistique, n’hésite pas à remercier notamment L’Œuvre d’Orient, pour ses dons. Cette œuvre, créée en 1856, est présente en Ukraine depuis 1924 et agit principalement dans le domaine social, en aidant des écoles, des dispensaires, des centres pour handicapés ou personnes âgées. Elle est présente aussi dans le domaine pastoral aux côtés des diocèses, des paroisses, des séminaires et des monastères.
En 2022, L’Œuvre d’Orient a ainsi soutenu 92 projets en Ukraine pour un montant global de 3,2 millions d’euros. La guerre a amplifié ce soutien et la majeure partie des projets concerne dorénavant l’aide aux personnes déplacées (via l’achat de nourriture, de médicaments, de générateurs ou l’installation de points chauds entre autres). L’aide est distribuée par l’Église gréco-catholique, comme c’est le cas avec le père Volodymyr.
Une tente pour accueillir et abriter
Autre terre de mission: Makaryv, petite ville au nord de Kiev. Sur une aire de stationnement, une tente de grosse toile percée par le conduit fumant d’un poêle à bois, accueille tous ceux qui ont besoin d’un peu de chaleur. C’est le père Taras qui a eu l’idée d’implanter cet avant-poste de l’Église gréco-catholique dans cette bourgade qui vit s’affronter violemment pendant un mois les armées ukrainienne et russe. 250 civils y ont perdu la vie. Au plus fort des combats, seules un millier de personnes restèrent sur place, le reste fuyant vers l’ouest, explique le père Oleg qui mène la visite. De nombreuses maisons ou immeubles ont été endommagés voire détruits. Un an et demi après, la plupart des habitants sont revenus mais certains vivent toujours dans des structures provisoires, certaines habitations ont encore des vitres brisées.
Reconstruire coûte cher. L’aide aux victimes passent alors par la fourniture de fenêtres. Caritas Kiev en a offert 400. Une aide plus que bienvenue pour le responsable des affaires sociales de l’administration locale, Hryhoriy Nevmerzhystkyi, qui n’hésite pas à se rendre de temps en temps dans la tente pour se réchauffer, tout comme les policiers locaux. Comme souvent en Ukraine, les autorités civiles apprécient de coopérer avec l’Église gréco-catholique. À Makaryv, peut-être encore plus qu’ailleurs. Les stigmates de la guerre s’effacent peu à peu, mais le conflit est omniprésent. «Nous célébrons presque tous les jours des funérailles de soldats originaires de la région tués au front», confie Hryhoriy Nevmerzhystkyi. «Ils meurent pour la défense de l’Ukraine mais aussi de l’Europe. Nous payons un lourd tribut par le sang pout l’humanité» tient-il à déclarer. Dans cette épreuve, la tente du père Taras est un havre de paix.
À l’intérieur, des tables et des bancs, un poêle à bois, le nécessaire pour préparer à manger, un tableau et des affiches. Mais surtout des prises de courant pour recharger son téléphone ou brancher son ordinateur portable, une connexion internet, des jeux pour les enfants. Ce lieu abrite aussi régulièrement des psychologues qui offrent des consultations à des habitants traumatisés par la guerre. Ce matin, la Caritas propose un cours sur le leadership dans les communautés.
Une église au milieu des ruines
Sur la route du retour vers Kiev, arrêt à Hostomel. Les troupes russes en février et mars 2022 sont arrivées jusque-là, à quelques kilomètres des premiers faubourgs de la capitale. Un pont enjambant la voie rapide a été détruit, un centre commercial n’offre plus à la vue que sa carcasse métallique calcinée. Dans une des rues de cette commune, lieu idéal de villégiature pour les Kiéviens, parsemée de forêts de pins, toutes les maisons de ville sont ravagées par les flammes. Devant les portes, les voitures calcinées des occupants, gisent au milieu des cendres.
Au bout de cette rangée, sur un terrain planté de hauts pins, à l’ombre d’un complexe résidentiel d’une dizaine d’étages, une structure préfabriquée, au large baies vitrées. C’est la nouvelle église gréco-catholique de ce quartier. Elle sert aussi de point de stockage pour l’aide humanitaire, de lieu de rencontre. Montée en trois jours pour un coût de 30 000 dollars, elle a été financée par Mudra Sprava, la fondation de charité de la curie patriarcale de l’Église gréco-catholique d’Ukraine et consacrée en novembre 2023.
Cette structure est une version plus moderne de la tente mais le même signe de l’évangélisation en marche des gréco-catholiques, traditionnellement absents de ces contrées. Les deux prêtres qui y travaillent apportent à la population un soutien humanitaire en distribuant des cartons de vivre, un soutien social et psychologique, ainsi qu’une présence spirituelle.
Concernant l’aide psychologique, c’est le père Oleg qui la dispense grâce à sa formation à Rome en psychologie. «Mais ce n’est pas évident. Les gens associent la psychologie à l’Union soviétique quand on enfermait sous un prétexte psychiatrique certaines personnes. Se confier à quelqu’un qu’on ne connait pas facile. Il faut d’abord instaurer un lien de confiance avec la personne», explique le jeune prêtre.
Les traumatismes liés à la guerre se sont multipliés au fil des mois et de plus en plus d’Ukrainiens souffrent de maux allant du simple manque de sommeil à des troubles plus profonds, nécessitant une thérapie. L’Église greco-catholique a donc multiplié les initiatives et les formations pour apporter ce soutien aux civils comme aux anciens combattants qui rentrent du front.
Le père Roman, lui, est en charge de cette nouvelle paroisse qui ne compte pour le moment que dix fidèles. Ce qui ne l’empêche pas d’aider régulièrement 2500 personnes grâce à Mudra Sprava, mais aussi la Caritas et les Chevaliers de Colomb.
Que ce soit à Vishneve, à Makaryv ou à Hostomel, l’Église greco-catholique n’hésite pas à créer des paroisses et à aller à la rencontre de la population. Exemple concret d’Église en sortie tant vantée par le Pape François, elle représente également parfaitement cet «hôpital de campagne» dont le Saint-Père parle en décrivant ce que devrait être l’Église. La guerre, paradoxalement, permet à ses membres de montrer à quel point leur message est ouvert à tous, un message de plus en plus reçu au cœur même de l’Ukraine.
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