Cardinal Ambongo: massacré, le peuple congolais est abandonné à son triste sort
Stanislas Kambashi, SJ – Cité du Vatican
Sur invitation de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), qui a appelé chaque évêque à organiser une messe pour la paix dans son diocèse, le cardinal Fridolin Ambongo a célébré samedi 24 février une messe «pour implorer la paix en République démocratique du Congo et particulièrement dans la partie Est». Depuis le début du mois de février, les combats se sont intensifiés autour de Goma entre l'armée congolaise et les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda voisin.
Dans la cathédrale Notre-Dame du Congo, l’archevêque de Kinshasa était entouré d’une grande foule de fidèles, dont des diplomates de pays étrangers. Dès l’entame de la messe, le cardinal a remercié tous «d’être venus nombreux prier à cette intention, avec l´espoir d´un retour de la paix durable sur le sol congolais». Il a particulièrement demandé de porter dans les prières le peuple congolais victime des conflits armés, particulièrement les populations meurtries et traumatisées dans l’Est du pays, tout comme celles qui vivent dans l’insécurité autour de Kwamounth, dans l’Ouest du Congo. Il les a rassurés de la proximité de Dieu et de la sollicitude de l’Église, qui se sent aussi touchée et blessée dans ses membres.
Transformer les armes de guerre en des outils de développement humain intégral
En partant de la lecture du livre d’Isaïe choisie pour la circonstance, l’archevêque de Kinshasa a déclaré que Dieu a un projet de paix perpétuelle pour le monde et les hommes doivent comprendre l’urgence d’apporter le réconfort aux victimes de la violence. «En d’autres termes, il s’agit de transformer nos armes de guerre en des outils de développement humain intégral», en arrêtant le cycle de la violence afin de créer des conditions favorables au bonheur véritable de tous les peuples de la terre. «Aucune nation ne doit faire la guerre à l’autre!», a-t-il insisté. En commentant la parabole du Samaritain tirée de l’Évangile de Luc, il a souligné qu’«agir pour la paix signifie avant tout connaître la situation concrète des victimes, s’approcher d’elles et se laisser toucher par leurs souffrances; c’est aussi panser leurs blessures».
Le «transfert du conflit interethnique rwandais a fini par dévoiler son agenda caché»
Se penchant ensuite sur la situation de son pays, le cardinal Ambongo a estimé que «le peuple congolais ressemble aujourd’hui à cet homme dépouillé, roué de coups et laissé à moitié mort par des bandits», stigmatisant ainsi l’indifférence de la communauté internationale. Les populations de l’Est de la RDC vivent une véritable tragédie et un vrai supplice, qui durent déjà depuis bientôt trois décennies, a-t-il souligné, évoquant la mise en garde des évêques du Congo au début de ces conflits. Au moment de l’éclatement du génocide au Rwanda en août 1994, a-t-il rappelé, la Conférence des évêques du Zaïre (l’actuelle RDC), avait tiré la sonnette d’alarme en alertant les dirigeants du pays et la communauté internationale sur les risques de la crise; particulièrement sur l’insécurité et la déstabilisation socio-économique de l’Est du Zaïre, dû au transfert du conflit rwandais dans leur pays.
«30 ans plus tard, a-t-il fait remarqué, le constat est très amer: on continue de compter des millions de morts et de déplacés, des milliers de femmes violées et de familles brisées, des enfants orphelins et des infrastructures détruites, etc. En réalité, ce qui apparaissait comme un accidentel transfert du conflit interethnique rwandais, a fini par dévoiler son agenda caché».
Des pays agresseurs et des multinationales font main basse sur les richesses du Congo
Le cardinal Ambongo a poursuivi en mentionnant que différents rapports d’experts des missions et organisations ont fait état des velléités expansionnistes de certains pays voisins de l’Est du Congo et du pillage systématique des richesses du sous-sol de la RDC par les multinationales, sous la couverture de groupes aux revendications internes. «Agresseurs et multinationales font alliance pour faire main basse sur les richesses du Congo au détriment et au mépris de la dignité de paisibles citoyens congolais, crées à l´image et à la ressemblance de Dieu», a-t-il déploré. Et l’archevêque de se demander: jusqu´où irait ce mépris? Jusqu´où irait la banalisation de la vie humaine, pourtant sacrée? Faire revenir la paix en RDC impose d’en finir aussi bien avec la violation de son intégrité territoriale qu’avec la prédation éhontée de ses ressources naturelles, a-t-il lancé.
Des pays voisins massacrent et déplacent les populations congolaises
L’archevêque de Kinshasa a, en outre, mis en lumière que ces pays voisins de l’Est du Congo, dirigés par des gouvernements belliqueux et à la solde de multinationales, continuent à massacrer les populations congolaises pour occuper des terres dont ils exploitent impunément et illégalement les ressources. «En conséquence, les déplacés internes se comptent par millions». Ces mêmes pays parrainent des groupes armés opérant dans des régions en conflits. En exemple, le cardinal Ambongo a cité un rapport de l’ONU de 2001, qui établit que «les pillages alimentent les pays voisins qui perfusent les groupes armés et ceux-ci entretiennent la prédation». Il a aussi rappelé «les récentes réclamations par le Rwanda de ses prétendues terres se trouvant en RDC, au mépris du principe d’intangibilité des frontières issues de la Conférence de Berlin». Des propos qui, pour l'archevêque, certifient que le projet de la balkanisation de la RDC obéit à un calendrier long et sophistiqué et témoigne «du caractère superfétatoire de l’argument sécuritaire généralement avancé».
Le silence et l’inaction de la communauté internationale frisent la complicité
Le cardinal Ambongo a aussi fait part de sa déception de l’attitude de la communauté internationale, «qui brille par son silence et son inaction», ce qui, en son sens, frise la complicité. Sinon, comment la puissante Organisation des Nations Unies, qui dispose de tant des moyens, a-t-elle échoué à rétablir la paix en RDC, s’est-il interrogé. Devant ce constat d’échec, a-t-il rappelé, le Pape François avait, lors de son voyage apostolique en RDC en février 2023, interpellé la conscience de la communauté internationale avec des paroles sans équivoque: «Retirez vos mains de la RDC (…). Elle n'est pas une mine à exploiter, ni une terre à dévaliser». Des telles interpellations sont souvent faites aussi par la Cenco.
Deux poids, deux mesures
En priant pour la paix en Ukraine, à l’occasion du deuxième anniversaire du conflit en cours, le cardinal Ambongo a émis le souhait que son pays puisse lui aussi bénéficier du soutien de la communauté internationale. En effet, les Nations Unies, des organisations internationales et plusieurs pays privent, à juste titre, la Russie de mener la guerre d’agression. Mais, lorsque le Congo «est attaqué par un pays voisin, le Rwanda en l´occurrence», la réaction de la communauté internationale est étonnante. «Comment comprendre qu’au même moment où elle dénonce finalement l’implication directe du Rwanda et de son armée en soutien au groupe armé M23, l´Union européenne signe un accord de coopération minière durable avec le Rwanda sur des ressources pillées en RDC! N´est-ce pas là un soutien appuyé á l´agresseur? N´est-ce pas là juger deux choses analogues avec partialité, selon des règles différentes?», s’est interrogé l’archevêque congolais.
Pour le cardinal Ambongo, les mouvements de protestation des populations congolaises de ces derniers jours est un signal fort pour la communauté internationale, qui avise que le temps d’une telle complicité est révolu. «Dénoncer l’agresseur sans arrêter le cycle de l’agression et financer la guerre par de tels accords est une stratégie de diversion», a-t-il déclaré.
Renforcer la cohésion nationale
L’archevêque de Kinshasa a aussi regretté certaines complicités internes dont bénéficie l’alliance entre agresseurs externes et multinationales. Pour lui, «malgré ses blessures, le peuple congolais a encore des ressources pour se relever et rebâtir la nation». Il a appelé ses compatriotes à assumer leur part de responsabilité, en évitant la corruption, l’égoïsme, les accords fantaisistes, la cupidité, l’affairisme, la mauvaise gouvernance, la trahison, qui continuent d’apporter de l’eau au moulin des agresseurs. Il appelle à la réconciliation et au pardon à travers un dialogue sincère ainsi qu’à la réforme conséquente des institutions du pays, tout en renforçant la cohésion nationale par un dialogue entre tous.
«En ce temps où l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale sont mises à rude épreuve», l'archevêque invite la nation congolaise «à l’unité afin de barrer la route à l’ennemi». Il exhorte les acteurs politiques à s’unir et à se souder autour du chef de l’État afin de travailler en synergie et de restaurer la paix. Il demande au président congolais, qui a placé son second mandat entre autres sous le signe de la paix, «de s’impliquer sans relâche, ni compromission à pousser les institutions du pays, les filles et fils du Congo, à travailler pour la justice et la paix, et pour la réhabilitation de notre nation dans sa dignité». La paix signifie tranquillité, ordre et justice; et suppose l’amélioration des conditions de vie en termes de sécurité sanitaire, alimentaire, professionnelle, scolaire, environnementale, etc., a souligné le cardinal.
En ce temps de carême, «je prie le Christ, Prince de la Paix, de nous éclairer de la lumière de sa justice et de sa vérité. Que sa paix soit sur la terre de nos ancêtres et dans nos cœurs», a conclu le cardinal Ambongo.
Outre de nombreux prêtres, religieux et fidèles laïcs, les représentants du gouvernement congolais ont également pris part à cette messe; ainsi que ceux de l’Union Africaine, de l’Union Européenne, de la Belgique, de l’Italie, de la France, de l’Ordre Souverain Militaire de Malte ou encore du Portugal.
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