Décès du père Shoufani, «curé de Nazareth», passeur de paix
Vatican News
Le père Émile Shoufani, surnommé «le curé de Nazareth» pour son action de rapprochement entre juifs et chrétiens et son témoignage d’homme de foi, est décédé le 18 février, à 77 ans. Ce lundi, les fidèles ont pu lui rendre hommage. Son cercueil a été exposé dans l’église Saint-Joseph de Nazareth, avant la célébration de ses funérailles.
Le père Shoufani, arabe et chrétien, est né en Galilée un an avant la proclamation de l’État d’Israël. En 1948, il est expulsé avec sa famille de son village d'origine par les Israéliens. Son oncle et son grand-père sont tués. Sa grand-mère lui enseignera alors la force du pardon. Formé dès ses 19 ans au séminaire d’Issy-les-Moulineaux en France, il a découvert l’horreur de la Shoah lors d’un voyage à Dachau. Il raconte avoir compris que les juifs qu’il percevait comme forts parce qu’ils écrasaient son peuple en Palestine avaient été eux-mêmes victimes d’une haine dévastatrice. De retour en Israël, en tant que responsable du collège Saint-Joseph de Nazareth, il emmenait chaque année ses élèves chrétiens et musulmans visiter le mémorial de Yad Vashem, et invitait les élèves d’une école juive de Jérusalem à partager trois jours de leur année scolaire à Saint-Joseph.
En 2003, pendant la seconde intifada, le père Shoufani a organisé le voyage «Mémoire pour la Paix» qui a rassemblé sur le site des camps d’Auschwitz et de Birkenau près de 700 personnes, chrétiens, juifs, arabes musulmans. Cela lui valut le prix Unesco de l’éducation pour la paix. Parce qu’il incarnait l’espoir d’une coexistence possible en Terre Sainte, le curé de la paroisse melkite de Nazareth qui embrassait pleinement son identité d’arabe israélien, reçut également le prix de l’Amitié judéo-chrétienne de France en 2014.
Au micro de Radio Vatican en 2009, à l’occasion du voyage apostolique de Benoît XVI en Terre Sainte, le père Shoufani revenait sur le statut des habitants de Nazareth.
Nazareth est dans l'État d'Israël. Nous ne sommes pas des réfugiés. Nous avons la nationalité israélienne depuis 1948 et nous sommes Israéliens. Nous voulons rester Israéliens et nous voulons construire l’État, avec le monde israélien. Bien sûr, il y a les gens qui sont des déplacés depuis 1948 autour de Nazareth, dans la Galilée. Plusieurs villages ont été démolis par l'armée israélienne en 1948 et les citoyens ont été obligés de quitter leur village. Et parmi eux, il y a des gens qui sont venus à Nazareth même ou dans les environs. Le Pape s'adresse à une population qui sait aujourd'hui qu'elle est israélienne, citoyenne de l'État d'Israël. On peut dire qu'elle n'a pas tous ses droits à l'intérieur de l'État. Mais ce n'est pas le statut de ceux qui vivent dans le camp d’Aïda à côté de Bethléem, qui sont bien des réfugiés.
Comment faites-vous pour œuvrer à une pédagogie de paix, ici à Nazareth ?
Cette pédagogie correspond d'abord un peu à la manière dont je vis ma foi chrétienne, c'est-à-dire en ouverture à toutes les communautés. Et il ne s’agit pas simplement d’une ouverture de connaissances, mais d’un vécu commun que vous essayez de créer. Cette appartenance au monde chrétien nous vient d’il y a plus de 2000 ans et même s'il y a des divisions, et même s'il y a des réalités qui ont blessé cette unité, aujourd'hui, nous essayons de vivre cette foi ensemble.
Ensuite, j'appartiens à la communauté arabe. En tant que chrétiens, nous sommes des Arabes chrétiens. Nous vivons depuis des siècles et des siècles avec l'islam et on essaye de montrer que la langue, l'histoire, la culture, le passé, l'avenir, nous devons le vivre ensemble et d'être fiers de cette réalité d'être arabe et d'être de la culture musulmane. La même chose pour notre citoyenneté israélienne. C'est à dire que je me montre en tant que citoyen israélien, je suis arabe dans un État qui est à majorité juif, mais qui peut me garantir le droit, la liberté, l'égalité, bien sûr, tout cela à l'intérieur de l'État.
Il s’agit de rassembler tout cela et de dire j'appartiens à tout ce monde, non pas simplement sur le plan verbal, mais concrètement.
Vous avez déclaré, en pensant au conflit israélo-palestinien, que chaque partie doit mettre de côté sa souffrance et cesser de la revendiquer comme une identité propre. Cet état d'esprit est-il une condition pour espérer une paix réelle?
Bien sûr, il faut reconnaître qu'il y a une souffrance. Il faut le saisir. Il faut y communier.
Mais aujourd'hui, cette souffrance ne peut pas être une carte d'identité. Je communie à la souffrance, je communie à la réalité des blessures qui sont là, présentes dans les différents peuples. Mais si je continue tout le temps à demander d'être reconnu comme victime, je ne peux pas avancer. Et je ne peux pas tout le temps me sentir comme réfugié quelque part. C'est un statut qui doit changer, bien sûr, mais cela ne peut pas devenir une identité, sinon le réfugié va toujours dire que «l'autre n'a pas de place, que c'est ma place, qu’il prend ma place». C'est pourquoi la souffrance et cette blessure peuvent être un cheminement de communion, de connaissance et de reconnaissance de l'autre, mais cela ne peut pas être une carte d'identité. Cette communion dans la souffrance peut aider vraiment à cette réalité d'un dialogue et d'une symphonie entre les peuples.
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