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Messe de Pâques orthodoxe en l'église Saint-Jacob dans la ville à majorité kurde de Qamishli, au nord-est de la Syrie, le 28 avril 2019. Messe de Pâques orthodoxe en l'église Saint-Jacob dans la ville à majorité kurde de Qamishli, au nord-est de la Syrie, le 28 avril 2019.   (AFP or licensors)

Pâques en Syrie: le témoignage alarmant du vicaire latin d'Alep

Le vicaire apostolique d'Alep, père Hanna Jallouf, témoigne d'un pays où la pauvreté est omniprésente et où toute une génération n'a connu que la guerre. Le Pape a évoqué les souffrances de la Syrie depuis treize ans de guerre dans son message de Pâques délivré avant la bénédiction Urbi et Orbi, dimanche 31 mars.

Valerio Palombaro – L’Osservatore Romano

En Syrie, toute une génération de jeunes n'a connu que la guerre. Treize ans après le début du funeste conflit -qui a éclaté en mars 2011 dans le sillage de la répression des manifestations contre le président Bachar Al-Assad, et leur terrible héritage de plus de 500 000 morts-, les enfants syriens nés à cette époque entrent aujourd'hui dans l'adolescence dans un contexte de précarité, d'enfance bafouée et d'extrême pauvreté. «Pour la population syrienne, la situation est aujourd'hui pire qu'au début de la guerre», confie le père Hanna Jallouf, vicaire apostolique d'Alep. «Il est vrai qu'il y a un cessez-le-feu dans une partie du pays, mais le coût de la vie est terrible et la pauvreté est partout», remarque-t-il.

Une immense pauvreté, «la première fois qu'on en arrive là»

Le Bureau des Nations unies pour les affaires humanitaires (Unocha) estime que près des trois quarts de la population, soit 16,7 millions de personnes, ont besoin d'aide. «Le coût élevé de la vie et l'inflation, poursuit le franciscain syrien, sont communs à toute la Syrie et sont vraiment effrayants. Aujourd'hui, un employé ne parvient pas à gagner 30 dollars par mois, alors qu'il lui en faudrait au moins 300 pour vivre. Un kilo de viande coûte 250 lires syriennes, soit près de 15 dollars, et le salaire moyen d'une famille avec enfants ne suffit pas pour un plat de pâtes et de viande. Les gens vivent vraiment dans des conditions incroyables, il y a une immense pauvreté et c'est la première fois en Syrie qu'on en arrive là».

       

Selon le père Jallouf, les Syriens vivent «comme dans l'obscurité avant l'aube». Toujours à la recherche d'une véritable paix, la Syrie n'a en effet jamais vu l'aube après les années les plus sombres du conflit. Un cessez-le-feu est en place depuis mars 2020, et une grande partie du pays est de nouveau sous le contrôle du régime Assad. Mais plus d'une décennie de guerre civile entre le gouvernement et les groupes islamistes a radicalement changé la Syrie. Aujourd'hui, on peut identifier au moins trois zones d'influence dans le pays: la plus grande s'étend de la Méditerranée vers la capitale Damas et le sud-est, sous le contrôle du gouvernement; ensuite, la région de Rojava, au nord-est, où se trouvent des zones d'autonomie kurde sous la protection des États-Unis; enfin, le nord-ouest, entre Idleb et la périphérie d'Alep, où se concentrent la plupart des déplacés internes, une zone sous influence turque où les dernières poches d'opposition restent actives et où les groupes islamistes comme Hayat Tahrir al-Sham (anciennement Al Nusra) sont encore présents.      

La nécessité d'une solution politique

«La crise syrienne ne peut être résolue par l’aumône. Nous avons besoin d'une solution politique qui a été oubliée», a récemment déclaré le cardinal Mario Zenari, nonce apostolique en Syrie. En raison également de l'attention détournée vers d'autres conflits, tels que celui en Ukraine et celui entre Israël et le Hamas, la diplomatie occidentale semble éloignée de la crise syrienne. Plus actif, comme l'a montré la 21e réunion qui s'est tenue fin janvier, le format d'Astana qui, depuis 2016, a vu l'Iran, la Turquie et la Russie s'asseoir à la même table que le gouvernement et l'opposition syriens.

Mais les divergences sont nombreuses et une solution au conflit reste un mirage. Depuis le 7 octobre notamment, les violences se sont intensifiées dans le nord de la Syrie et dans le gouvernorat de Deir El Zor, plus à l'est. Alors que les bombardements du gouvernement et de ses alliés russes n'ont jamais complètement cessé dans la province d'Idleb, au nord-ouest. Le dernier rapport de la Commission d'enquête internationale indépendante, qui opère au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, montre que le second semestre 2023 a connu la plus importante escalade de violence en Syrie depuis 2019.     

500 personnes quittent la Syrie chaque jour

La Syrie reste également la plus grande crise de déplacement au monde, avec plus de 12 millions de personnes forcées de fuir leurs maisons. Les réfugiés seraient plus de 5 millions, principalement dans les pays voisins, la Turquie et le Liban, et les personnes déplacées à l'intérieur du pays près de 7 millions. «Beaucoup de personnes ont été déplacées au cours de ces 13 années, mais aujourd'hui encore, de nombreux jeunes envisagent de sortir, voire de prendre la mer», a ajouté le vicaire apostolique d'Alep.  Les statistiques de l'ONU indiquent qu'environ 500 personnes quittent la Syrie chaque jour.

Dans ce contexte, la population chrétienne a également diminué de manière drastique. «Auparavant, nous représentions 7% de la population syrienne, alors qu'aujourd'hui, nous n'atteignons même pas 3%», explique le religieux franciscain. Par exemple, dans le nord à majorité kurde, tous les villages chrétiens se sont vidés et les gens ont émigré à l'étranger. «Dans les trois villages chrétiens de la vallée de l'Oronte -Knayeh, Yacoubieh et Gidaideh, au nord-ouest-, des 10 000 fidèles que nous étions, il n'en reste plus que 700. Avant, il y avait 10 prêtres pour 4 communautés religieuses, alors qu'aujourd'hui il n'y a plus que 2 frères franciscains pour mener la barque».

Une situation dramatique dans le silence international

Le père Jallouf assure que l'Église locale essaie d'aider la population en donnant des colis alimentaires et des médicaments ou en réalisant de petits projets. Mais la crise économique frappe et, en février 2023, le tremblement de terre vient s'ajouter. «À Alep, Lattaquié et Idlib, nos maisons ont été détruites. Dans la province d'Idleb, 80% des maisons ont été détruites et la situation est très difficile dans les villages chrétiens également en raison de la difficulté à recevoir l'aide internationale.» «Nous vivons une situation dramatique dans le silence international», conclut le vicaire apostolique d'Alep, qui trouve du courage dans l'histoire de la résilience d'un peuple comme les chrétiens de Syrie «qui résistent depuis des siècles»: «La foi ne manque pas et, en cette période de Pâques, l'espérance que le Seigneur ne nous abandonne pas est forte».

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31 mars 2024, 15:31