Ukraine: l'assistance d'une famille italienne, qui change de regard
Svitlana Dukhovych - Cité du Vatican
Beatrice (22 ans), avec ses parents Luigi et Cristina Uslenghi et sa sœur Rebecca (20 ans), vivent à Abbiategrasso près de Milan en Italie. Avec sa famille, elle a effectué six voyages en Ukraine depuis deux ans. L’objectif est d’apporter de l'aide et du soutien humain aux personnes qui souffrent de l'invasion russe à grande échelle. Cette famille considère sa «première caravane en Ukraine comme une "année zéro", comme s'il n'y avait rien eu auparavant». Mais, confie-t-elle «tout est parti de là, car cette expérience nous a beaucoup changés». Dans une interview accordée à Radio Vatican - Vatican News, la famille partage son expérience qui, en plus d'être émotionnellement importante en raison du danger des bombardements et de la richesse des rencontres, l'a également conduite à un voyage intérieur, et à redécouvrir de nouvelles dimensions de la foi et du sens de l'humanité.
La famille Uslenghi a effectué son premier voyage en Ukraine entre mars et avril 2022. Elle faisait alors partie des 150 volontaires italiens qui ont participé au réseau "StopTheWarNow", coordonné par l'association du pape Jean XXIII, pour apporter des produits de première nécessité et des médicaments à Lviv (dans l'ouest de l'Ukraine). À leur retour, ils ont fait venir en Italie 300 réfugiés ukrainiens, principalement des personnes fragiles et des mères avec enfants.
«Leur vie est aussi précieuse que la nôtre»
«Ce qui nous a poussés à partir, se souvient Beatrice, c'est le désir d'aider. Je crois que c'est une valeur humaine, de vouloir aider ses frères et sœurs. Nous sommes donc partis avec l'intention de faire ce qui était en notre pouvoir pour, peut-être non pas arrêter la guerre, mais apporter un soulagement», fait savoir Beatrice.
Et comment faire face à la peur? La jeune fille raconte qu'elle a pu surmonter sa peur. «Nous sommes partis de l'idée qu'il n'y a pas de vies de première ou de seconde classe, donc ce n'est pas parce que les Ukrainiens sont sous les bombes que nous ne devons pas y aller», affirme-t-elle, soulignant que «leur vies sont aussi précieuses que les nôtres». Par conséquent si certains «peuvent le faire, et ils le font depuis deux ans, alors pourquoi ne le ferions-nous pas?», s'interroge-t-elle.
Rebecca, la plus jeune des sœurs évoque une certaine peur ressentie; mais, «ce que nous constatons chaque fois que nous rentrons à la maison, c'est le fait que l'amour, l'amitié, la proximité et la solidarité ont un poids bien plus grand que la peur».
Beatrice et Rebecca sont membres du "Leo Club Abbiategrasso" du district de Milan, la branche des jeunes de l'association Lions Clubs International, à laquelle appartient également leur père. Avec cette association, la famille Uslenghi s’est rendu pour la deuxième fois à Lviv en juin 2022, ramenant en Italie deux familles de réfugiés accueillies dans la région de Lombardie.
Une inquiétude récompensée
Cristina, la mère, explique que le fait d'emmener ses filles avec elle, surtout au début de la guerre, alors que la situation était encore très incertaine dans toute l'Ukraine, était une source de crainte: «Oui, j'avais vraiment peur, mais comme nous étions toutes les quatre là-bas, j'étais plus calme». L'inquiétude de Cristina a été récompensée par le fait que les jeunes filles ont pris leur expérience à cœur, et qu'une fois rentrées en Italie, elles ont pu la transmettre à d'autres jeunes. Car, dit Cristina, «dire aux autres ce que l'on voit et vit vraiment dans sa peau, en dehors de ce que l'on voit à la télévision, c'est vraiment autre chose». Cela a également porté des fruits concrets: entre décembre 2023 et janvier 2024, Beatrice et Rebecca ont participé à une mission en Ukraine (à Mykolaïv et Odessa), composée de jeunes âgés de 19 à 30 ans, membres du Leo Clubs de Lombardie et du Piémont. Leur mission s'est concentrée sur l'aide et le jeu avec les enfants et les jeunes, les victimes les plus innocentes de ce terrible conflit.
En Ukraine, la force et la volonté de reconstruire
Il était également important pour Luigi de tout voir de ses propres yeux car, dit-il, «ce que l'on voit à la télévision n'est qu'une partie, là-bas on respire un air différent». Tout en reconnaissant que de violents combats se poursuivent sur toute la ligne de front, et que les missiles russes frappent souvent des régions éloignées du front, le volontaire italien souligne que «dans tous les cas, la vie continue et le peuple ukrainien a une grande force pour continuer». Selon lui, les médias occidentaux devraient montrer «non seulement les bombardements, mais aussi le fait que les gens se rétablissent, qu'ils reconstruisent les maisons qui ont été détruites, qu'ils montrent les villages qui continuent à exister».
Luigi et sa femme appartiennent également à l'association de la Société Saint-Vincent-de-Paul, qui s'est jointe aux missions organisées par le réseau "StopTheWarNow". Dans les régions de Mykolaïv et d'Odessa, ils ont pu constater l'engagement de toute la Famille Vincentienne pour aider à la reconstruction des maisons et des bâtiments détruits.
Pas seulement du pain
Au cours de toutes ces missions, les volontaires italiens ont apporté en Ukraine de la nourriture, des fournitures scolaires, des médicaments, du matériel hospitalier et des machines (notamment des fauteuils roulants et des appareils à ultrasons). Ils ont aussi apporté de la compassion et de la proximité. Lors de la toute première caravane à Lviv, raconte Cristina, «alors que nous étions dans le séminaire catholique de rite byzantin, il était émouvant de voir toutes ces personnes déplacées, des mères avec leurs enfants, des personnes âgées qui avaient dû quitter leur maison. Elles nous ont fait confiance et sont venues vers nous, vers notre région, vers les familles qui les accueillent encore et que nous aidons encore aujourd'hui». Malgré la guerre, Cristina confie avoir perçu «beaucoup de solidarité, même entre eux, entre les mères elles-mêmes». À Kyselivka [ndlr: un village près de Kherson qui a survécu à l'occupation russe], «nous avons rencontré tant de mères, tant d'enfants, qui s'entraident et s’encouragent».
L'expérience transformatrice
Cette expérience a été bénéfique et «nous a tellement changés», partage Béatrice. «Aujourd'hui, nous sommes complètement proches du monde du volontariat, qui occupe désormais la majeure partie de nos journées, et nous en sommes très heureux». C’est une expérience qui les a non seulement rendu sensibles à «tout ce qui concerne le peuple ukrainien et au conflit», mais qui leur a aussi permis «de porter un regard et d’être ouverts également à ceux qui sont dans le besoin sur leur propre territoire».
Il ne s’agit pas seulement d’une page d’un livre d’histoire
«Une expérience comme celle-ci vous change», confirme Rebecca. «Parce que vous avez vu vos propres yeux et expérimenté directement ce que vous avez toujours étudié dans les livres d'histoire: en deux pages, vous avez vu peut-être dix ans de guerre et vous vous êtes toujours dit: "Oui, c'est arrivé", puis avez oublié». En allant dans un pays en guerre et en voyant tout ce qui se passe réellement, l’on réalise à quel point c'est différent, on réalise que la guerre existe et pas seulement en Ukraine: des gens se battent et meurent dans le monde entier et ce n'est pas seulement une page d'un livre d'histoire, déclare-t-elle.
Rebecca se souvient des mots des adultes adressés souvent aux enfants: «Vous devez vous rendre compte de la chance que vous avez de bien vivre, d'aller à l'école, d'avoir accès à l'eau potable». Et quand on va dans un pays en guerre, souligne-t-elle, on se rend vraiment compte du sens de cette phrase: «quelle chance on a de pouvoir boire de l'eau potable au robinet, parce que maintenant par exemple, à Mykolaiv, on ne peut plus le faire, car les installations hydrauliques de la ville ont été bombardées»; ou encore «la chance d'avoir de l'électricité dans sa maison ou de l'eau chaude, ou trivialement, ce qui m'a le plus choqué, la chance de pouvoir dormir tranquillement la nuit et de ne pas avoir peur du silence».
Sensibilisation des jeunes: la guerre des jeux vidéo et la vraie guerre
Depuis deux ans, Béatrice et Rebecca se rendent dans des écoles primaires, collèges et lycées pour raconter leur expérience. «Ce que nous répétons souvent lors de nos témoignages», raconte Béatrice, c'est une phrase de Martin Luther King: «Vous n'êtes peut-être pas responsable de la situation dans laquelle vous vous trouvez, mais vous le serez si vous ne faites rien pour la changer». Et cela «réveille généralement un peu les consciences». Cependant, il n'est pas toujours facile pour les jeunes volontaires de parler de la dure réalité de la guerre à une génération habituée à voir la guerre et les combats dans les jeux vidéo. «Une chose qui m'a vraiment choquée, lors de nos témoignages, raconte Béatrice, c'est un jeune garçon qui, en voyant la photo d'un bâtiment détruit, a déclaré: "Ça ne me fait pas d'effet parce que je le vois dans les jeux vidéo"». Bref, il y a aussi la nécessité de faire revenir ces enfants à la raison. Elle raconte «le lien très fort que cette expérience a créé, un lien indéfectible ainsi qu'une sensibilité particulière».
En parlant des jeunes, Rebecca s’est souvenue des jeunes filles ukrainiennes qu'elle a rencontrées dans la région de Mykolaïv: elles organisent des activités pour les enfants qui ne peuvent pas aller à l'école. «Ces filles ont 16-17 ans et ont une force immense pour faire ces activités, qu'elles mènent en permanence malgré le fait qu'elles vivent aussi des situations difficiles, qu'elles ne peuvent plus aller à l'école et qu'elles ont peut-être un frère ou un père au front». Malgré tout, les gens vont de l’avant et ne cessent de s'entraider.
L'humanité est la chose la plus importante
De retour de ses voyages en Ukraine, Luigi essaie de dire à ses amis italiens que la vie en Ukraine continue et qu'il y a des gens qui, bien que meurtris par cette guerre ou hors de leur patrie, ont une vie beaucoup plus sociale. «Cela semble absurde de le dire cela, parce que les Ukrainiens sont un peuple plutôt froid, comparé aux Italiens, en termes de tempérament, mais ils ont cette particularité de s’unir immédiatement». Luigi parle aussi de son ami, un prêtre ukrainien, le père Vitalij Novak de la congrégation de la Mission de Saint-Vincent-de-Paul, qui a installé une chapelle dans une camionnette «avec un autel à l'intérieur pour aller dire la messe dans des endroits où il n'y a pas d'église». Tout cela est l'expression d'une communauté qui demande à être ensemble. «Nous montrons ces photos aux Italiens pour leur faire comprendre combien il est important de ne pas rester isolés dans ses propres appartements; même ici, cela se ressent, et c'est l'un des messages que nous voulons transmettre: leur faire comprendre que l'humanité est la chose la plus importante».
Sous le même Dieu
En Ukraine, où cohabitent des représentants de différentes confessions et religions, le volontaire italien a également vécu une nouvelle expérience du point de vue de la foi. «En Italie, nous sommes habitués à l'Église catholique, alors qu'en Ukraine il y a plusieurs Églises: les Églises orthodoxes, l'Église catholique de rite latin et byzantin, il y a des protestants». Dans les différentes missions, «nous avons rencontré tout le monde. Nous faisons tous partie de la même foi, en fin de compte, et la guerre unit tous les hommes sous un seul Dieu. Et ma perception de ma foi, de mes croyances après cinquante ans de vie, change aussi un peu», explique-t-il, dans le sens où là, on peut vraiment comprendre que «nous sommes tous sous le même ciel et sous le même Dieu».
«Ces expériences nous ont fait penser qu'il ne suffit pas d'aller à la messe pour être de bons chrétiens: peut-être que pour être de bons chrétiens, il faut agir et voir quand il y a un besoin, quand il y a un frère ou une sœur dans le besoin», conclut Béatrice.
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