Les condamnés à mort, «nos frères dans le Christ»
Dawn Eden Goldstein
Depuis près de cinquante ans, le pasteur Joseph Ingle accompagne spirituellement les prisonniers condamnés à la peine capitale dans le sud des États-Unis, mais il s'empresse d'expliquer qu'il n'est pas un aumônier du couloir de la mort.
«Les aumôniers du couloir de la mort sont généralement payés par l'État et redevables au directeur de l'établissement», explique le pasteur Joseph Ingle. «Moi, je suis un pasteur de "l'Église unie du Christ", et mon église fut la congrégation des condamnés», souligne-t-il, rappelant son amitié avec Bob Sullivan, un détenu catholique pour lequel le Pape Jean-Paul II avait demandé la clémence des autorités américaines.
Comment avez-vous découvert votre vocation dans l'accompagnement pastoral et la défense des détenus condamnés?
Mon ami le pasteur Jim Lawson dit qu'il trouve son inspiration en Jésus et dans la Bible. Je reprendrai cela à mon compte, en incluant pour ma part les prisonniers comme troisième source d'inspiration. Depuis ma première visite dans une maison de détention du Bronx en 1971, jusqu'à mes visites dans les couloirs de la mort du sud des États-Unis de 1975 à aujourd'hui, j'ai trouvé un appel à devenir disciple en lisant la Bible, en cherchant à suivre les enseignements de Jésus et en apprenant des prisonniers. Ce n'est pas une vocation que j'ai apprise à l'école du dimanche ou à l'église. Elle vient de l'expérience du travail avec les condamnés, de la lecture de ce que dit la Bible sur ceux avec qui Dieu demeure et sur ceux qui suivent sa voie -tout cela s'est conjugué pour vivre ce que le pasteur luthérien allemand mort dans le camp de concentration de Flossenbürg Dietrich Bonhoeffer a appelé dans son livre du même nom «Le coût du discipulat». L'appel de Jésus n'est pas une grâce bon marché, mais l'adhésion radicale à son enseignement et à son mode de vie. Ce sont «les plus petits de mes frères et sœurs» qui me montrent le chemin.
En 1983, vous vous êtes rendu en Floride pour vous lier d'amitié avec Bob Sullivan, qui allait être exécuté pour le meurtre, en 1973, d'un gérant de restaurant dans cet état. À l'époque, Bob Sullivan était dans le couloir de la mort depuis plus longtemps que n'importe quel autre prisonnier aux États-Unis. Comment en êtes-vous venu à faire partie de son équipe de surveillance?
J'ai commencé à rendre visite à Bob en 1978, en même temps qu'à d'autres condamnés à mort de Floride. J'ai visité tous les couloirs de la mort du Sud. Bob et moi étions amis. Nous étions frères dans la foi chrétienne. J'étais une personne clé dans sa vie et lui dans la mienne. Il ne nous est jamais venu à l'esprit, à l'un comme à l'autre, que je ne serais pas à ses côtés lorsqu'il lui fallut attendre la mort.
Quelles étaient vos impressions sur la foi de Bob Sullivan?
Bob était un catholique profondément engagé. Sa relation avec James Hill, un prisonnier du couloir de la mort souffrant d'un handicap mental, en est un excellent exemple. Il a fait tout ce qu'il pouvait pour aider James, qui le considérait comme un grand frère. Lorsque Bob a réalisé à quel point James -un homme de vingt-cinq ans doté des capacités mentales d'un enfant de onze ans- était dépendant de lui, il s'est inquiété du fait que James devait apprendre à naviguer dans le couloir de la mort sans lui. Ainsi, à l'approche de sa date d'exécution, Bob a intentionnellement commis une infraction mineure -voler une clé de menottes et s'assurer d'être pris avec- afin d'être envoyé dans une cellule de punition et être séparé temporairement de James Hill. C'était typique de Bob: il se souciait des autres condamnés à mort et il voulait que les autres se soucient également d'eux.
Dans votre livre, vous décrivez comment vous avez demandé à l'évêque René Henry Gracida du diocèse de Pensacola-Tallahassee et à l'évêque John Joseph Snyder du diocèse de Saint-Augustin de demander au Pape Jean-Paul II d'intervenir dans l'affaire Sullivan. Qu'est-ce qui vous a incité à adopter cette approche?
Je n'ai pas été inspiré. J'étais désespéré. Je savais que Bob allait être tué, à moins d'une intervention papale ou d'une surprise de la part des tribunaux. Mon mantra dans ce travail a toujours été: «N'ayez pas peur de demander. Le pire qu'ils puissent dire, c'est non». Comme Bob était un fervent catholique, j'ai commencé à discuter de sa situation avec Mgr Gracida, puis avec Mgr Snyder. Tous les évêques de Floride, y compris l'archevêque de Miami Mgr Edward Anthony McCarthy, ont écrit une lettre au gouverneur de Floride Bob Graham au printemps 1983 pour lui demander de commuer la peine de Bob Sullivan. Je ne saurais trop insister sur le fait que j'ai apprécié l'implication des évêques de Floride. Le gouverneur Graham a répondu à leur appel, par une lettre pour la forme, qui le rejetait. Une fois que nous avons compris à quoi nous étions confrontés, j'ai suggéré aux évêques de faire une démarche auprès du nonce apostolique au nom de Bob. C'est tout ce que j'ai fait. Les évêques et les prêtres qui s'étaient réunis pour défendre Bob ont fait tout le travail.
Le Pape Jean-Paul II a demandé au gouverneur Graham sa clémence. Qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez appris la réponse de saint Jean-Paul II?
Lorsque j'ai appris la réponse de Jean-Paul II, j'étais épuisé, physiquement et mentalement. J'étais trop épuisé pour être ravi ou surpris. Je voulais juste prendre connaissance de l'essentiel de la réponse envoyée à mon associé, afin de pouvoir la partager avec Bob lors de ma prochaine visite. Je n'ai pas de copie de la déclaration du Pape, mais j'aimerais en avoir une. Lors de ma dernière conversation avec Bob, à la veille de son exécution, je lui ai dit: «Je pense que tu meurs de la mort d'un martyr chrétien». Je voulais qu'il sache à quel point son témoignage comptait, non seulement pour moi, mais aussi pour le père Dan Berrigan et les deux autres prêtres qui l'accompagnaient, ainsi que pour tous ceux qui se sont rassemblés autour de lui au fil des ans.
Dans votre livre, vous décrivez comment, au début de votre ministère auprès des détenus, vous avez entamé une étude approfondie des enseignements de la Bible sur le jugement et la punition. Qu'aimeriez-vous que les chrétiens comprennent lorsqu'ils lisent les enseignements et les actions de Jésus dans le chapitre 8 de l’Évangile de Jean concernant la femme prise en flagrant délit d'adultère?
Ce chapitre ne traite pas de la culpabilité de la femme prise en flagrant délit d'adultère, un crime capital à l'époque, mais seulement pour les femmes. Jésus nous instruit sur notre attitude de supériorité morale parce que nous n'avons pas commis un tel crime. Lorsque Jésus dit: «Que celui qui est sans péché jette la première pierre», les scribes et les pharisiens s'en vont tous parce qu'ils ont réalisé qu'aucun d'entre eux n'est sans péché. C'est ce que j'ai appris des prisonniers.
Le Pape François a fait modifier le catéchisme pour que l'inadmissibilité de la peine de mort y soit inscrite. Que pensez-vous de la trajectoire de l'enseignement catholique sur la peine capitale de Jean-Paul II à François? Pensez-vous que l'enseignement de l'Église catholique sur cette question peut avoir une influence sur le débat général?
J'aimerais beaucoup emmener le Pape François dans le couloir de la mort, ici, dans le Tennessee. Nous pourrions rendre visite aux détenus autour de la table de réconciliation dans l'unité 2 de l'établissement de sécurité maximale de Riverbend. Cela lui donnerait l'occasion de constater l'importance de son action en faveur de la modification du catéchisme. Les hommes de l'unité 2 terminent une année d'étude de l'Ancien Testament et l'année prochaine, ils étudieront le Nouveau Testament. Comme François le sait, ils sont peut-être «les plus petits d'entre eux», mais ils sont nos frères dans le Christ. Bien que François n'ait pas connu Bob Sullivan, je peux vous dire de tout cœur que ce qu'il a fait pour amener l'Église catholique à s'opposer fermement à la peine de mort, résonne dans mon être et dans l'âme de Bob. Bob tenait à ce que son Église ait raison sur cette question, indépendamment de ce qui lui est arrivé.
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