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À Los Angeles, plus de 75 000 personnes vivent dans la rue. En Californie, on parle de 171 000 sans-abris. À Los Angeles, plus de 75 000 personnes vivent dans la rue. En Californie, on parle de 171 000 sans-abris.  (AFP or licensors)

Aux États-Unis, l’Église s’oppose à la criminalisation des sans-abris

Ce sera la plus importante décision judiciaire sur la question des personnes sans domicile fixe aux Etats-Unis depuis des décennies. La Cour Suprême doit se prononcer d'ici la fin du mois sur une règlementation en vigueur dans une petite du sud de l'Oregon qui punit de peines de prison et de contraventions toute personne dormant ou campant dans l'espace public.

Marie Duhamel - Cité du Vatican

Une localité peut-elle imposer des amendes et même emprisonner des personnes sans domicile fixe, quand elle n’offre pas de logements de secours en nombre suffisant? D’ici la fin du mois, la Cour suprême est appelée à se prononcer sur plusieurs ordonnances prises en ce sens par une petite ville de l’Oregon et qui sont aujourd’hui contestées par un collectif de sans-abris.

Située à une heure de voiture de la frontière californienne, la ville de Grants Pass, entourée de montagne et traversée par une rivière, offre un panorama paisible. Ces dernières années, rapporte la presse américaine, de nombreux nouveaux-venus ont fait le choix de se joindre à ses près de 40 000 habitants, non sans conséquences sur le prix des loyers, devenu inabordable pour les plus précaires et ceux qui ont connu des accidents de vie. Aujourd’hui, plusieurs centaines de sans-abris campent dans les parcs, sur les parkings, sous les ponts de Grants Pass. Un jour ici et un jour-là. Une itinérance perpétuelle, dans la peur de la police.

Peur et précarité


En effet, le règlement municipal interdit de dormir et de camper dans des espaces publics, même dans des voitures correctement garées, et peut imposer un temps de détention et des amendes de 295 dollars qui sont appelées à croitre en cas d’impayé. Un moratoire a été imposé à ces mesures municipales par la justice en 2022, et il faut désormais attendre la décision des 9 juges de la Cour Suprême. 

En amont du verdict dans le dossier City of Grants Pass, ORv. Johnson et al., la conférence épiscopale a décidé de présenter un amicus brief à la plus haute juridiction, un avis extérieur visant à aider les magistrats suprêmes dans leur jugement. La position des évêques est sans appel.

Un régime cruel contraire aux enseignements de l'Église

Ériger en crime le fait d’être sans-abris est jugé «cruel et inhabituel» par les évêques dans leur document publié le 3 avril dernier. Ils estiment qu’autoriser la criminalisation de l’exclusion constituerait «une rupture brutale, injustifiée et profondément troublante avec notre héritage», car ce «régime punitif» à l’égard de personnes «dont l'humanité et l'existence ont droit au respect» entre «profondément en conflit» avec l'enseignement de de l'Église catholique dont les principes, notamment la conception de la dignité humaine, sont ancrés dans la tradition occidentale et partagés par les pères fondateurs. Ils rappellent que, selon ces principes, «la peine doit être proportionnelle à l'infraction et que les personnes sans abri doivent être aidées et non punies». Soulignant le risque planant sur le huitième amendement de la Constitution, ils mettent en garde contre cette «nouvelle approche déshumanisante et dangereuse» dont les ordonnances de Grants Pass sont pour eux le signe.

Si la Cour suprême validait la règlementation de Grants Pass, les sans-abris, définitivement menacés d’amendes et de prison, seraient poussés à quitter leur ville et ainsi leur réseau d’amitié ou de soutien. Ils se retrouvaient encore plus isolés et feraient face à des difficultés de réinsertion majeures.

Les catholiques mobilisés 

Faute de moyens humains ou financiers, mais aussi d’abris à offrir, les villes amenées à les accueillir pourraient, comme Grants Pass, décider d’adopter des lois criminalisant elles-aussi les sans domicile fixe, rejetant à leur tour sur d’autres municipalité leur responsabilité vis-à-vis des plus faibles. Les associatifs craignent en effet un effet boule de neige, qui pourrait d’ailleurs bouleverser leur travail quotidien de soutien.

Aujourd’hui «on estime qu'il manque 7,3 millions d'unités de logements abordables pour 11 millions de locataires à très faibles revenus -ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté de 30 000 dollars de revenu annuel pour une famille de quatre personnes» estime le réseau Catholics Charities qui aide plus de 600 000 SDF et compte parmi les plus grands fournisseurs nationaux de logements abordables, avec 38 000 logements permanents mis à disposition de personnes dans le besoin, des familles, personnes âgées, vétérans ect. Comme les antennes de Catholics Charities qui proposent également des logements d'urgence et temporaires, la société de Saint-Vincent-de-Paul tente d’offrir une assistance directe «à nos voisins dans le besoin». Avec un budget de 7,14 millions de dollars investis, elle tente par exemple d’empêcher les évictions estivales, en particulier des mères célibataires et de leurs enfants.

Plus de 650 000 SDF

Lors d’un recensement effectué lors d’une nuit du mois de janvier 2023, le ministère américain du Logement et du Développement urbain a compté 653 104 sans-abris à travers le pays. L’organisation Homeless Death Count estime que chaque jour, 20 d’entre eux perdent la vie. Les overdoses sont la première cause de mortalité suivies par les problèmes cardiaques, les accidents routiers, les homicides et les suicides. Chaque année, des messes sont célébrées en leur mémoire lors du solstice d’hiver, la nuit la plus longue de l’année. 

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18 juin 2024, 16:25