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Le prêtre jésuite togolais Éric Goeh-Akue, coordinateur de "Mission et Identité" du Service jésuite pour les réfugiés (JRS) à Farchana, dans le camp de réfugiés des Soudanais du Darfour, situé dans la partie est du Tchad. Le prêtre jésuite togolais Éric Goeh-Akue, coordinateur de "Mission et Identité" du Service jésuite pour les réfugiés (JRS) à Farchana, dans le camp de réfugiés des Soudanais du Darfour, situé dans la partie est du Tchad. 

Les cris des réfugiés interpellent notre humanité

«Pour un monde qui accueille les personnes réfugiées», c’est le thème choisi cette année par les Nations Unies pour la célébration de la Journée mondiale des réfugiés, ce jeudi 20 juin 2024. «Célébrer cette journée nous permet non seulement de souligner l’étendue réelle de cette catastrophe humanitaire, mais aussi de rappeler à chacun son devoir d’accueillir et de soutenir nos frères et sœurs en exil», a souligné le prêtre jésuite togolais Éric Goeh-Akue, du JRS.

Entretien réalisé par Christian Losambe, SJ – Cité du Vatican

Dans son message rendu public lundi 3 juin pour la Journée mondiale du migrant et du réfugié, qui sera célébrée le 29 septembre prochain, le Pape François avait appelé «à sentir que nous cheminons avec les migrants et les réfugiés, ainsi qu’à faire synode ensemble». Une invitation qui rejoint le thème choisi par les Nations unies à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés qui, chaque année, «met en lumière la persévérance et le courage des personnes qui ont été contraintes de fuir leur pays d’origine pour échapper aux conflits ou à la persécution».

Dans un entretien accordé à Radio Vatican–Vatican News, le jésuite togolais Eric Goeh-Akueh, coordinateur du programme «Mission et Identité» du Service Jésuite pour les Réfugiés (JRS), explique l’importance de la célébration de cette journée, le contexte de la mission du JRS au regard de cette tragédie humaine qui se fait de plus en plus alarmante, et décrit les stratégies que cette œuvre apostolique de la Compagnie de Jésus met en place pour développer un plaidoyer efficace pour les droits des réfugiés, surtout dans des pays africains en zones de guerres.

Suivre le père Éric Goeh-Akue, SJ, coordinateur du programme "Mission et Identité" du Service jésuite des réfugiés (JRS).

Que signifie pour notre monde d’aujourd’hui célébrer une Journée des réfugiés?

La réalité des personnes déplacées de force dans le monde, qu'il s'agisse de déplacés internes dans leurs propres pays ou de réfugiés contraints de fuir vers des pays étrangers, représente une tragédie humaine globale. Dans ce contexte, célébrer une journée dédiée aux réfugiés, c'est non seulement rappeler au monde l'étendue réelle de cette catastrophe humanitaire, mais aussi rappeler à chacun notre devoir d'accueillir et de soutenir nos frères et sœurs en exil.

Célébrer la Journée mondiale des réfugiés, c'est se souvenir de ce message divin adressé au peuple d'Israël et à toute personne humaine: «Tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur et je t’aime. Ne crains pas, car je suis avec toi». (Isaïe 43, 7). En ce sens, la Journée mondiale des réfugiés est un moment propice pour sensibiliser le monde à la véritable nature de cette crise humanitaire. Comme le dit le Pape François, ce n’est pas seulement la situation des réfugiés qui est en jeu, mais notre humanité partagée, divisée et déchirée par l'égoïsme, l'individualisme, et le sacrifice des autres sur l'autel des intérêts mercantiles, de l'exclusion et du rejet.

Aujourd’hui, des milliers de personnes sont contraintes de quitter leurs pays en raison des guerres et conflits qui déchirent notre monde. Comment pourriez-vous décrire le contexte de la mission du JRS?

À la fin de l'année 2023, les Nations unies ont signalé que plus de 117 millions de personnes étaient déplacées de force dans le monde en raison de la persécution, des conflits, de la violence, des violations des droits de l'homme ou d'événements perturbant gravement l'ordre public. Ce chiffre, en constante augmentation, comprenait 68 millions de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, 37 millions de réfugiés et 6,1 millions de demandeurs d'asile. Pire encore, la précarité socio-politique et économique de nombreux pays accueillant des réfugiés aggrave cette crise humanitaire. Les pays les plus pauvres, comme le Tchad, l'Éthiopie, le Soudan et l'Ouganda, supportent le plus lourd fardeau en accueillant 75 % des réfugiés dans le monde. À cela s’ajoute un manque de financement adéquat et l'absence de mécanismes de redevabilité à l'échelle mondiale, ce qui exacerbe la situation.

C’est donc effectivement une crise complexe et alarmante. Le Service Jésuite pour les Réfugiés (JRS), qui est une œuvre apostolique de la Compagnie de Jésus, s'efforce de répondre de manière appropriée en travaillant dans près de 58 pays avec environ 11 000 collaborateurs, dont des jésuites, des religieux et religieuses, des laïcs et des volontaires issus des communautés de réfugiés, qui participent activement à la mise en œuvre des projets. Notre réponse s'articule autour de quatre priorités stratégiques: la promotion de la réconciliation (à la fois personnelle et communautaire), la santé mentale et le soutien psychosocial, l'éducation et les moyens de subsistance, et enfin le plaidoyer.

Le JRS vise à accompagner, servir et défendre la cause des réfugiés et autres personnes déplacées. Quelles sont les stratégies que vous mettez en place pour développer un plaidoyer efficace pour les droits des réfugiés, surtout dans des pays africains en zones de guerres?

Effectivement, la mission du JRS est d’accompagner, de servir et de défendre les droits des personnes déplacées de force. Comme œuvre apostolique de la Compagnie de Jésus, JRS est un ministère de consolation qui donne priorité à la réconciliation et à la justice. Dans le cadre de son plaidoyer, le JRS défend la justice réparatrice, en mettant l'accent sur le droit des victimes et des agresseurs à guérir et à rétablir les relations.

La stratégie principale du JRS en matière de plaidoyer consiste à donner la parole aux réfugiés et aux victimes de conflits, afin que leurs témoignages sensibilisent les consciences et contribuent à la cessation des conflits en cours. Il est également crucial d'étudier les causes profondes des conflits, souvent liées à des injustices structurelles et à des inégalités dans la distribution des ressources naturelles. Le JRS plaide pour surmonter ces injustices et prévenir les conflits futurs. De plus, il est impératif d'appeler les États à respecter les droits humains fondamentaux, même en temps de conflit, et à adhérer au droit humanitaire.

Comment se déploie concrètement votre engagement en matière de plaidoyer?

Notre engagement en matière de plaidoyer se déploie à la fois au niveau local et international. Depuis nos bureaux à Rome, Genève et Bruxelles, nous cherchons à renforcer la coopération avec les gouvernements et les institutions humanitaires pour soutenir et accompagner les réfugiés tout au long de leur parcours. Nous œuvrons à influencer les décisions des donateurs internationaux et des gouvernements pour garantir et faciliter l'accès des réfugiés aux services vitaux, notamment l’éducation en situation d’urgence, la santé mentale et le soutien psychosocial.

Dans nos bureaux régionaux et nationaux, en particulier en Afrique, JRS milite pour protéger les droits et la dignité des réfugiés et améliorer leur accès aux biens de première nécessité. Les équipes collaborent avec des partenaires humanitaires, gouvernementaux et locaux pour favoriser l'amélioration des politiques publiques.

Dans son message rendu public lundi pour la 110e Journée mondiale du Migrant et du Réfugié qui sera célébrée le 29 septembre prochain, le Pape François a appelé à sentir que nous cheminons avec les migrants et les réfugiés et à faire «synode» ensemble. Comment pensez-vous intégrer cet appel du Saint-Père dans les priorités de votre mission au service des réfugiés ?

La feuille de route du JRS s’inspire profondément de la vision du Pape François pour une humanité partagée. Cette année, à l'occasion de la Journée mondiale des réfugiés, le JRS, en collaboration avec Caritas Internationalis et l'Union des Congrégations religieuses masculines et féminines, a choisi de lancer un Manifeste pour une humanité partagée. Cette initiative vise à inviter la communauté mondiale à dépasser les étiquettes qui alimentent les divisions, les conflits et la peur de l'"étranger", et à reconnaître que nous faisons tous partie de la même famille humaine.

Au niveau interne, cet appel du Pape nous encourage comme JRS à renforcer l’accompagnement des personnes déplacées au-delà ou en soubassement des autres activités déployées en faveur des réfugiés. Il s’agit d’approfondir et de renforcer l'approche singulière de JRS, qui ne consiste pas seulement à "agir pour les réfugiés", mais à "être avec eux". Cela signifie marcher côte à côte avec eux sur les chemins de la vie, partager le fardeau de leurs journées, ressentir leur frustration et leur désespoir, et leur manifester un peu d'amour. Cette compassion en action, nourrie par la conscience d’une humanité partagée, se manifeste en leur consacrant notre temps et notre énergie, en les écoutant, et en partageant leurs tristesses et leurs espoirs.

Le Pape a également rappelé, dans son message, que chaque rencontre avec un migrant est aussi une rencontre avec le Christ. Sentez-vous que vous vivez intérieurement cette expérience spirituelle de rencontre avec le Seigneur au contact avec les réfugiés ?

Ce message du Pape, sur la rencontre avec le Christ dans la rencontre avec le réfugié, éclaire de manière profonde et incisive l’expérience de nombreux collaborateurs de JRS: «Dieu ne marche pas seulement avec son peuple, mais aussi dans son peuple, en ce sens qu’il s’identifie aux hommes et aux femmes qui cheminent dans l’histoire – en particulier aux derniers, aux pauvres, aux marginalisés». C’est pourquoi la rencontre avec le migrant, comme avec tout frère et sœur dans le besoin, est aussi une rencontre avec le Christ. Il nous l’a dit lui-même: «J’étais un étranger et vous m’avez accueilli».

Dans notre mission, nous sommes convaincus, comme le disait le fondateur du JRS, le père Pedro Arrupe, que «l’aide attendue de nous n’est pas seulement matérielle; la Compagnie est surtout appelée à rendre un service humain, éducatif et spirituel… En ces populations démunies, c’est Dieu qui nous appelle». Parfois, les collaborateurs du JRS sont souvent éclairés par des réflexions profondes des réfugiés qui les aident à mieux comprendre leurs propres défis existentiels. Ils découvrent une humanité commune, trouvent un sens profond à leur vie et s’ouvrent à une quête spirituelle. Ils réalisent que les réfugiés leur apportent un don précieux: la reconstruction de la vie autour de valeurs essentielles et une rencontre avec le divin.

Quels mots pourriez-vous adresser à l’endroit des réfugiés du monde entier, mais aussi à l’endroit de tous ceux qui œuvrent dans l’accompagnement et la défense de leur cause?

J'aimerais rappeler à chacun de nous que personne ne naît réfugié. Personne n’a choisi de devenir réfugié. Devenir réfugié ou demandeur d'asile ne dépend pas du pays d'origine ou de la région d'où l'on vient. C’est une situation qui peut arriver à chacun de nous. J’aimerais également exprimer ma gratitude à nos frères et sœurs réfugiés: c’est un privilège de cheminer avec vous, une grâce d’apprendre de vous comment résister à l’adversité et de cultiver la foi et l’espérance dans les moments les plus tragiques et désespérants. Ensemble, nous pouvons bâtir un avenir meilleur pour notre humanité, une maison commune pour notre famille humaine.

Aux collègues et collaborateurs qui marchent aux côtés de nos frères et sœurs réfugiés, je vous encourage simplement à respecter la dignité de chaque personne déplacée. L’important n’est pas seulement ce que nous donnons, mais surtout la manière dont nous le faisons. Le Saint-Père nous exhorte à voir la présence de Dieu en chaque réfugié. Chacun d’eux est comme le buisson ardent dans le livre de l’Exode. En allant à leur rencontre, ôtons les sandales de nos prétentions et de nos étiquettes, et approchons-nous d’eux avec un infini respect.

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20 juin 2024, 12:33