Les vitraux contemporains, lumières pour les églises d’aujourd’hui
Vianney Groussin – Cité du Vatican
«Il y a un intérêt renouvelé pour le vitrail en lui-même» explique le père Gautier Mornas, responsable du département Art sacré de la Conférence des évêques de France. «Aujourd’hui j'observe avec beaucoup de joie et de satisfaction qu'il y a beaucoup de propriétaires qui décident de restaurer leurs vitraux, endommagés par le temps, par les conditions climatiques ou aussi parce qu’ils ont décidé de palier au temporaire». Et qui dit restauration, dit modernisation: des vitraux contemporains ont déjà trouvé leur place dans les cathédrales de Nevers, Metz ou encore Cahors. Pour Véronique Ellena, qui a conçu le vitrail contemporain de la cathédrale de Strasbourg, «c’est tellement important que chaque époque mette sa petite pierre à l’édifice… Ça a toujours été le cas en fait».
Une tendance de long-terme
Comme le souligne Isabelle Saint-Martin, historienne de l’art spécialisée dans les relations entre l'Église et les arts visuels pour la période contemporaine, «ce grand mouvement d'intérêt pour le vitrail contemporain dans les églises remonte au moins aux années 1950, et à l'investissement de la revue "L'art sacré" […] qui voulait inciter l'Église à faire appel aux plus grands artistes du temps». Un nouveau souffle va ensuite mettre en avant le vitrail contemporain dans les années 1980, «lorsque Jack Lang, ministre de la Culture, veut inciter à ce que la commande publique contemporaine trouve sa place y compris dans édifices patrimoniaux. Parmi de nombreux exemples, on peut citer la commande pour les fameux vitraux de Soulages à Conques, dans les années 1990». Cette part de la commande publique pour des vitraux contemporains, explique l’historienne, est liée à la singularité du régime français de propriété des édifices religieux, dont la plupart (ceux construits avant 1905) appartiennent à l’État ou aux communes, un représentant du clergé affectataire de l’édifice est le plus souvent associé à la commande. «Cela ne veut pas dire que du côté diocésain, du côté de l’Église, on soit en reste, ajoute-t-elle, il y a aussi des commandes diocésaines très contemporaines, Martial Raysse à Notre-Dame de l'Arche d'Alliance à Paris parmi d’autres exemples, ou encore l’engouement pour les vitraux abstraits du Père Kim».
Du côté de la commande publique, la dernière commande en date, et pas des moindres, concerne la cathédrale Notre-Dame de Paris, où un appel d’offre a été lancé suite à l'incendie pour remplacer certains vitraux par des vitraux contemporains, afin de laisser «la marque du XXIème siècle» selon les mots d'Emmanuel Macron.
Un art forcément abstrait ?
Pour le Père Gautier Mornas, il faut rappeler que les vitraux contemporains ne sont pas forcément abstraits, et peuvent tout à fait représenter des scènes réelles:
Isabelle Saint-Martin est aussi de cet avis, même si «cette période a été caractérisée, au sens large, par le bon accueil fait à l'abstraction dans l'Église par le biais du vitrail», «il y a en parallèle une permanence de la commande de vitraux figuratif», insiste-t-elle. Les vitraux de l’église de Talant, en Bourgogne, par Gérard Garouste, ceux de Jean-Michel Alberola à la cathédrale de Nevers ou encore de G. Collin-Thiébaut à Tours, en sont des exemples récents. La figuration des vitraux contemporains existe donc, mais «elle s’exprime dans le langage plastique des artistes contemporains».
L’atmosphère lumineuse plus que la simple signification
Toujours est-il que les vitraux contemporains posent bien souvent des problèmes lorsqu’ils sont annoncés, souvent accusés de ne rien apporter à la dimension catéchétique d’un édifice religieux où tout est normalement fait pour inviter à la prière. À ces critiques, le père Mornas répond qu’il faut voir une église dans son ensemble et non seulement pièce par pièce: «je ne suis pas persuadé que chaque vitrail ait l'obligation nécessairement d'être catéchétique parce qu'on ne comprend pas un vitrail pour lui-même. On parle toujours de programmes de vitraux, il y a un programme iconographique, donc je ne suis pas persuadé qu'il appartienne à chaque centimètre carré du programme d'être en soi catéchétique. C'est l'ensemble du programme qui doit l'être».
C’est cette cohérence qu’a cherché Véronique Ellena, qui a réalisé avec le maître-verrier Pierre-Alain Parot le vitrail des cent visages à la cathédrale de Strasbourg: «c'était très important pour moi de m'insérer avec douceur dans le patrimoine déjà existant parce qu'il y avait des vitraux du 13ᵉ sur l'autre façade», raconte-t-elle. Elle a donc voulu un vitrail qui complète harmonieusement les œuvres déjà présentes dans la chapelle où elle allait travailler. «Quand je suis rentrée dans cette chapelle, je me suis dit ‘mais il manque le Christ en fait dans cette chapelle, et il manque également une représentation de sainte Catherine’, parce que c'était la chapelle sainte Catherine. Et donc je me suis énormément inspireé aussi de tout ce qu'il y avait dans la cathédrale».
Isabelle Saint-Martin, elle aussi, rappelle que les vitraux ne sont pas exclusivement explicatifs ou instructifs: «le vitrail a cette particularité qu'il colore l'édifice. Il lui donne une atmosphère et il détermine la qualité de la lumière quand on pénètre dans le lieu. Il a ainsi une importance capitale dans la perception que l'on peut avoir d'un édifice explique-t-elle. Il faudrait aussi nuancer la perception des vitraux médiévaux comme outil de transmission du catéchisme, parfois appelés «Bible des pauvres»: «ces grandes verrières médiévales faisaient écho dans leur narration à des thèmes de la prédication, mais il fallait déjà les connaître pour les reconnaître, d’autant que bien des scènes sont en hauteur et difficilement déchiffrables dans des cathédrales sans éclairage artificiel. Il faut prendre avec nuance cette idée du vitrail directement catéchétique; il contribue aussi à chanter la gloire du Seigneur et à magnifier la beauté de l’édifice même lorsqu’il développe des sujets qui s’accordent au programme iconographique de l’ensemble» souligne-t-elle.
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