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Une vue aérienne de Barsalogho, village du Centre-nord du Burkina Faso, victime des attaques terroristes samedi 23 novembre 2024 Une vue aérienne de Barsalogho, village du Centre-nord du Burkina Faso, victime des attaques terroristes samedi 23 novembre 2024  (AFP or licensors)

Burkina Faso: journée de deuil et de prières pour les victimes de Barsalogho

De nombreuses personnes ont récemment perdu la vie dans une attaque terroriste à Barsalogho, dans le centre-nord du Burkina Faso en proie au terrorisme. En l’absence d’un bilan officiel, certains médias évoquent plusieurs centaines victimes. Mgr Théophile Naré, évêque de Kaya, organise ce mercredi une journée de prière et de deuil pour marquer la tristesse, mais aussi pour appeler les Burkinabè à plus de conscience et de responsabilité face au drame sécuritaire que connait leur pays.

Entretien réalisé par Stanislas Kambashi, SJ – Cité du Vatican

L’attaque du village de Barsalogho, perpétrée par des hommes armés samedi 24 août 2024, a fait de nombreux morts et blessés. Le ministre burkinabé de la communication Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo, a parlé d’une «attaque lâche et barbare» commis par «des hordes de criminels» qui s'en sont pris à «des femmes, des enfants, des personnes âgées et des hommes, sans distinction». La plupart des blessés ont été évacués à Kaya, chef-lieu de la province de Sanmatenga, situé à 45 kilomètres du lieu du drame.

Face à cette énième tragédie qui endeuille le Burkina Faso, Mgr Théophile Naré a initié une journée de deuil et de prières, à la fois pour marquer la tristesse, mais aussi pour appeler les Burkinabè à plus de conscience et de responsabilité face au drame sécuritaire que connait leur pays. Pour l’évêque de Kaya, il faut rompre le silence devant le drame de Barsalogho. Il invite à «parler à Dieu et parler entre nous, et agir, afin qu’avec le secours de Dieu, il n’y ’ait ‘‘plus jamais ça !’’». Nous vous proposons l’intégralité de l’entretien qu’il a accordé à Vatican News.

Suivre Mgr Théophile Naré, évêque de Kaya (Burkina Faso)

Quel est le sens de cette journée de prière et de recueillement?

Le sens de cette journée, c'est la compassion pour tous ceux qui sont restés dans cette tragédie de Barsalogho. La compassion, la solidarité et aussi le sens de la responsabilité. Ce que je voudrais éveiller dans la conscience de tous, c'est que nous sommes tous peu ou plus responsables de ce qui nous est arrivé et il nous faut prendre conscience de cela. Donc cette journée de deuil est une journée pour marquer notre tristesse pour ce qui est arrivé, c'est le sens du deuil, et aussi pour réfléchir et prier afin de prendre conscience de ce qui relève de notre responsabilité dans ce malheur qui nous a frappés, afin qu'avec l'aide de Dieu, nous trouvions les meilleures manières d’éviter que cela se reproduise. Après la journée de deuil, il y aura un triduum de prières. Mais je pense qu'il fallait commencer par un temps de recueillement et de réflexion, de retour en soi même pour réellement réaliser que le malheur que nous vivons, qui nous fait si mal, en fait, nous en sommes responsables.

Certains médias parlent de dizaines de morts, d'autres encore des centaines. Quel est le bilan de cette attaque?

C'est à partir de ce que disent ces médias que moi aussi je me fais une idée du nombre. J'ai mon idée de l'ampleur de la tragédie parce que j'y suis allé le lendemain du drame, dimanche, en visite au CHR, donc l'hôpital régional de Kaya, j'ai pu voir beaucoup de blessés. Oui, des dizaines de blessés. Et on m'a dit que ce n'était qu'une partie de ceux qui avaient été touchés, parce qu'il y avait encore une grande partie qui attendait d'arriver et certains avaient déjà été évacués sur Ouagadougou. Alors je me dis que oui, il y a eu beaucoup de blessés et on me disait qu’il y en avait plus encore qui ont été tués. Mais combien sont-ils exactement? Je n'ai aucune idée. Je ne peux pas avancer des chiffres.

Votre pays, le Burkina Faso, est durement éprouvé par le terrorisme et votre diocèse est l'un des plus touchés. Comment décririez-vous la situation sécuritaire actuelle dans cette partie de votre pays?

La situation sécuritaire est très préoccupante parce que le dispositif qui est mis en place, apparemment, n'arrive pas à contenir tout à fait la vague de terrorisme qui déferle sans cesse sur la région. Nous nous demandons quelquefois d'où viennent ces terroristes: est-ce qu'ils tombent du ciel? Est-ce qu'ils sortent de terre? En tout cas, les attaques se poursuivent en dépit de tous les efforts du gouvernement pour sécuriser la région. Vous avez entendu parler des nouvelles armes acquises et il est vrai qu'il y a eu des changements dans la tactique parce que les forces armées sont sans cesse surprises par des stratégies nouvelles inventées par ces gens-là. Et donc ce qui est évident, c'est qu'il y a un immense déplacement de population et la ville de Kaya a pratiquement doublé, sinon triplé, en ce qui concerne le nombre de personnes. C'est donc une catastrophe, on va dire humanitaire et sécuritaire.

Des efforts de la part du gouvernement et de la part de tous. Nous avons tous conscience que le gouvernement seul ne pourra pas résoudre ce problème parce que ce sont des personnes, donc des libertés qui sont engagées; et donc il faut la coopération, la collaboration de tous. Mais il est certain que nous avons besoin de déployer davantage de moyens pour arriver. Alors au nombre de ces moyens, il y a les moyens spirituels qu'il ne faut pas négliger. Depuis le début des attaques, l'Église prie et exhorte ses enfants à prier et à la fin de chaque Eucharistie, dans tout le pays et surtout dans les régions les plus marquées par ces attaques, il y a des prières communes et des initiatives personnelles.

Parmi les actions de l'Église, il y a l'aide des organismes comme la Caritas...

Oui. En ce qui concerne l'intervention directe, pour soulager ceux qui sont dans la précarité, dans la difficulté, à cause de cette situation, il y a bien sûr les ONG, il y a les efforts du gouvernement, il y a ce que fait l'Église, la Caritas, dans ses dimensions locale et nationale. Et au niveau de chaque diocèse, des initiatives sont prises par les évêques, par les responsables de la Caritas pour faire face à la situation humanitaire. Il y a un immense effort de solidarité qui est déployé, mais l'ampleur du drame est telle qu’on n'arrive pas à y mettre fin tout de suite.

Outre la sécurité, le Burkina Faso est confronté à plusieurs autres défis, dont le déplacement des populations, qui ont certainement un impact sur l'économie du pays. Y a-t-il des solutions en vue pour faire revenir la stabilité dans le pays?

Les solutions, entre autres, c'est la prière et puis les efforts qui sont multipliés par et le gouvernement et les responsables religieux, et coutumiers. Les chefs coutumiers et les chefs religieux organisent des rencontres pour réfléchir sur la solution à apporter. Aujourd'hui même, il y a une réunion qui se tient à Kaya autour de cette question pour voir comment nous pouvons, en tant que responsables religieux et responsables coutumiers, aider nos populations à prendre conscience qu’il s'agit d'une affaire de tous et que la solution ne peut venir que de la conjugaison des bonnes volontés et de la conjugaison des efforts. Ça aussi c'est important. Parce que si les gens sont assis attendant que le gouvernement vienne éradiquer le mal en chassant les terroristes, ça risque de durer encore longtemps.

Dans votre message diffusé mardi 27 août 2024, vous appelez à rompre le silence devant l'immense drame de Barsalogho. Vous invitez à «parler à Dieu et parler entre nous, et agir, afin qu’avec le secours de Dieu, il n’y ’ait ‘‘plus jamais ça !’’». Pensez-vous que le dialogue peut être une solution idoine pour la situation actuelle de votre pays, avec les défis sécuritaires?

Je pense qu’il n'y a jamais de solution définitive, en cas de guerre, sans dialogue. Il faut qu'à un moment ou à un autre, on s’asseye autour d'une table. Maintenant, il faut réunir les conditions pour que cette décision de s'asseoir autour d'une table ne soit pas une velléité, c'est à dire une vaine tentative. Est-ce que ces conditions sont réunies? Je ne sais pas. Si ça l'était, je crois qu’on serait déjà passé à cette étape du dialogue et donc à un cessez-le-feu d'abord et puis à des discussions pour trouver des conditions d'une paix définitive, d'une paix durable. Les conditions, c'est d'abord que chacun veuille effectivement la paix. Parce que, aussi paradoxal que cela puisse paraître, il y a peut-être des gens qui n'ont pas intérêt à ce que cette guerre s'arrête à ce qu'elle prenne fin. C'est hélas cela aussi la réalité.

Il y a donc des gens qui en tirent profit...

Il y en a qui en profitent. Des gens qui sont à l'intérieur, comme des gens qui sont à l'extérieur. Alors tant qu'il n'y aura pas une volonté effective de voir le pays retourner à la paix, à un vivre ensemble harmonieux -cette volonté-là, ce désir-là, bon, c'est la première condition à mon avis- et s’il n'y a pas aussi des gens qui se lèvent pour aider à faire comprendre qu’en réalité, personne ne va gagner, en définitive, personne ne va gagner parce que même le vainqueur va payer un lourd tribut et il y aura une grande perte pour tous. C’est très délicat.

Merci Monseigneur. Auriez vous un dernier mot?

C'est d'abord un mot de reconnaissance pour tous ceux qui pensent à nous, tous ceux qui nous envoient des messages de compassion, de solidarité, tous ceux qui prient avec nous et pour nous. Et nous leur sommes infiniment reconnaissants pour cela. Et un autre mot, c'est un appel à continuer de nous venir en aide, de nous secourir comme chacun peut. Que ces aides viennent de l'extérieur ou de l'intérieur, elles seront très salutaires. Parce que, encore une fois, l'ampleur du drame et donc l'ampleur des besoins est telle que nous même et tout seuls, nous n'arrivons pas à faire face de manière efficace et assez rapidement.

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28 août 2024, 17:02