L'Église du Luxembourg, modeste, mais sûre d'elle
Gudrun Sailer – Cité du Vatican
Du 26 au 29 septembre, le Pape François se rendra au Luxembourg et en Belgique, effectuant son 46e voyage apostolique. Moins de deux semaines après son retour d’Asie et du Pacifique, le Successeur de Pierre reprendra son bâton de pèlerin pour rejoindre les deux pays du Benelux, sièges des institutions financières et administratives de l'UE.
Au Luxembourg, l’évêque de Rome fera la rencontre «d’une Église catholique modeste mais plus libre», et ou «les catholiques sont en minorité dans un environnement fortement sécularisé et pluraliste», comme l’a souligné dans une interview accordée au médias du Vatican, le prévôt du chapitre général de la cathédrale de Luxembourg, le père Georges Hellinghausen.
Que vient faire le Pape François au Luxembourg? Ce n'est pas une destination typique pour ce Pape.
Le Pape François a été officiellement invité par le Grand-Duc et par le gouvernement. Les motivations ne sont pas connues. L'archevêché n'en a eu connaissance qu'après. Nous sommes bien sûr ravis que le chef de l'Église catholique visite notre pays et du fait qu'il priera avec la communauté catholique dans la cathédrale. Nous sommes particulièrement heureux que le prochain jubilé marial -400 ans de pèlerinage à la «Consolatrice des Affligés», patronne de la ville et du pays de Luxembourg- sera ouvert en présence du Pape. Et c’est très beau le geste qui est prévu: François apportera en cadeau la Rose d'Or.
Vous êtes spécialiste de l'histoire de l'Église catholique au Luxembourg. Dans ce contexte, comment se porte l'Église catholique ici aujourd'hui? Quels sont, en résumé, ses points forts et ses points faibles?
Pendant des siècles, le Luxembourg a été un pays très catholique. Aujourd'hui, les catholiques sont en minorité dans un environnement fortement sécularisé et pluraliste. Beaucoup de choses sont en train de mourir, notamment la vie ecclésiale classique à la campagne. Les vocations ecclésiastiques autochtones sont plus que rares. Le nombre de défections parmi les fidèles continue.
Mais il y a aussi du renouveau et des signes d’espérance, par exemple l'action missionnaire de nouvelles communautés comme les «Servantes du Seigneur et de la Vierge de Matarà» ou la fraternité «Verbum Spei». Actuellement, nous avons un conseil pastoral diocésain activement engagé, qui s'efforce de répondre à la demande synodale. De nouvelles initiatives commencent à porter leurs fruits, comme le projet diocésain pour les réfugiés «Reech eng Hand» (Tends la main), la nouvelle «Luxembourg School of Religion & Society», qui jette des ponts vers la société multiculturelle par le dialogue et la recherche scientifique, le nouveau séminaire diocésain «Redemptoris Mater» du Chemin néocatéchuménal, le Centre de formation diocésain Jean XXIII, fondé il y a quelques années.
La communauté catholique luxembourgeoise est petite. Les communautés linguistiques sont très vivantes. Comment peut-on imaginer la cohabitation?
D'un point de vue structurel, les deux niveaux sont liés, c'est-à-dire que les missions étrangères ont été dissoutes et intégrées dans les paroisses. Sur le plan existentiel, ce lien n'est toutefois pas encore achevé. Il faut beaucoup de temps et d'engagement de part et d'autre pour que la coexistence amicale devienne une véritable collaboration.
Concrètement, cela signifie par exemple qu'à l'avenir également, des services linguistiques spécifiques seront célébrés dans toutes les langues possibles pour les communautés correspondantes au niveau régional, en plus des services paroissiaux locaux. Mais c'est aussi le cas dans les autres pays. Être chrétien a toujours un ancrage culturel lié à l'origine, aux coutumes et aux identités nationales. Dans la deuxième et la troisième génération, le lien et l’interaction sont alors beaucoup plus faciles et possibles.
Quel est le rôle des laïcs dans votre Église locale?
Le rôle des laïcs est à peu près le même que dans les pays voisins. Ce qui est catastrophique actuellement, c'est qu'il n'y a pratiquement plus de théologiens laïcs en cours d'études. À l'avenir, nous dépendrons surtout de bénévoles, y compris, par exemple, pour la catéchèse.
Les laïcs sont actifs dans de nombreux domaines de la vie de l'Église: la liturgie, la diaconie, l’annonce. Les innovations structurelles de ces dernières années leur confèrent de nouveaux domaines de responsabilité: dans les conseils pastoraux locaux nouvellement créés et dans les comités financiers paroissiaux. La majorité des membres du conseil épiscopal sont des laïcs, y compris des femmes. Trois femmes sont déléguées épiscopales pour les domaines de la vie consacrée, de la diaconie ainsi que de l'évangélisation et de la formation; et deux hommes pour les domaines des droits de l'homme et du développement durable. Depuis peu, la pastorale des funérailles fait également appel à l'engagement des laïcs, femmes et hommes.
En 2018, le gouvernement luxembourgeois a déclaré la séparation de l'Église et de l'État achevée. Depuis, l'archevêché s'occupe de ses églises de manière autonome. Que signifie cette réforme pour l'Église et comment s'en accommode-t-elle aujourd'hui?
L'archevêché ne peut plus compter sur les finances publiques comme auparavant, lorsque l'État finançait les salaires des ministres du culte (prêtres et laïcs à plein temps) et que les communes entretenaient les bâtiments religieux. Désormais, l'Église doit en grande partie subvenir à ses propres besoins. C'est un défi énorme qui n'est pas facile à relever. Les catholiques sont toutefois en train de s'adapter et de faire des dons pour la vie de l'Église.
La suppression de l'enseignement religieux dans les écoles a pour conséquence que de très nombreux enfants et jeunes -à l'exception de ceux qui suivent la catéchèse paroissiale, soit environ 15 %- ne connaissent plus aucune notion de base du religieux ou du chrétien. Qu'est-ce qu'une paroisse, un évêque, Dieu, Marie, les fêtes de Noël et de Pâques? Outre l'analphabétisme religieux croissant, cela signifie également un appauvrissement culturel. Nous devenons de plus en plus une société marquée par le paganisme, avec beaucoup d'offres concurrentes, dans laquelle la communauté chrétienne doit s'affirmer.
En étant séparée de l'État, l'Église est devenue plus libre et n'a plus besoin de tenir compte de certaines considérations. Elle peut s'exprimer plus librement en public. Le programme de l'enseignement religieux à l'école devait auparavant être approuvé par l'État, ce qui n'est plus le cas pour la catéchèse dans les paroisses. De même, la nomination de l’évêque se fait désormais librement, alors qu'auparavant le gouvernement devait donner son accord.
Juste avant la visite du Pape, un grand scandale financier a éclaté au Luxembourg au sein de Caritas, il s'agit du détournement de 60 millions d'euros. En dehors de toute question technique, comment interprétez-vous (spirituellement) cet événement? Qu'est-ce que cela signifie, qu'est-ce qu'on peut en apprendre (spirituellement)?
J'interprète moins le fait, qui est déjà assez terrible -surtout pour Caritas elle-même- que les conséquences.
Avec l'aide du gouvernement, une organisation succédant à Caritas est créée afin de poursuivre les activités de Caritas à l'intérieur du pays et de reprendre son personnel, avec un financement de l'État. Toutefois, le gouvernement tient à ce que cette nouvelle organisation soit «indépendante» (c'est-à-dire indépendante de l'Église). Cela ne montre-t-il pas que même un gouvernement dirigé par le parti chrétien-social nourrit tout de même une grande méfiance à l'égard du christianisme et de l'Église? Et pourquoi? La Caritas d'inspiration chrétienne n'a-t-elle pas rendu de bons services jusqu'à présent? Tout le monde au Luxembourg sait quels services remarquables et innombrables elle a rendus, en particulier aux faibles et aux marginaux.
Et n'est-ce pas ambivalent: on invite le Pape et on se distancie de l'Église dans un domaine si important?
En ce qui concerne la question des violences sexuelles, l'Église catholique au Luxembourg a pris des mesures beaucoup plus tôt que les autres. Pourquoi? Qu'est-ce que vous aviez au Luxembourg que les autres n'avaient pas?
Sous l'archevêque Fernand Franck, le sujet a été pris très au sérieux et rapidement abordé lorsque la question s'est posée dans notre archidiocèse en provenance de l'étranger. Une commission a immédiatement été mise en place, qui a pu travailler en toute liberté et indépendance. Les victimes d'abus ont été entendues et le rapport final a ensuite été publié dans son intégralité. L'archevêque Franck a reçu chacune des victimes qui le souhaitaient. Une certaine somme leur a été versée en reconnaissance de leurs souffrances. Surtout, des mesures ont été prises pour éviter à l'avenir de tels abus de la part du personnel de l'Église: tous les nouveaux arrivants, y compris, selon les domaines, les bénévoles, sont soumis à un contrôle et doivent suivre des formations appropriées. Depuis, cette politique a été poursuivie de manière conséquente par l'archevêque Jean-Claude Hollerich.
L'Église luxembourgeoise s'inscrit dans un contexte très sécularisé. Qu'est-ce que l'Église d'Europe occidentale peut apprendre de vous au Luxembourg?
Elle peut apprendre que l'on peut vivre avec des moyens matériels réduits. Que l'on doit alors, le cas échéant, se limiter aux fondamentaux. Mais aussi que dans un environnement où les piliers sociétaux du christianisme et de l'Église disparaissent, il faut s'affirmer et s'impliquer avec humilité, créativité, confiance en Dieu et engagement. Même si une Église autrefois puissante doit désormais se montrer très modeste, mais aussi sûre d'elle.
François ne reste qu'une petite journée dans le pays. Qu'attendez-vous de sa présence pour l'Église au Luxembourg?
Ce sera certainement une très belle journée que nous passerons avec le Pape François. Il nous apportera, je l'espère, un message de joie et d'espérance, un encouragement. Mais là, je suis confiant: son rayonnement, son charisme personnel, auront déjà -je le crois- un effet très positif chez nous aussi. Nous attendons le Pape François avec impatience et avec joie!
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