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Une femme en prière devant un mémorial en hommage à 2 soldats tués, à Lviv, le 28 janvier 2023. Une femme en prière devant un mémorial en hommage à 2 soldats tués, à Lviv, le 28 janvier 2023.  (AFP or licensors)

Le nonce en Ukraine: l’Église en temps de guerre, une lumière dans les ténèbres

Mgr Visvaldas Kulbokas parle de l'expérience de la communauté chrétienne en plus de trente mois de conflit: «nous essayons d'offrir solidarité et soutien aux consciences, cela nous réconforte de faire partie d'un corps qui s'anime avec nous de toutes les parties du monde. Il est important de gérer l'aide avec transparence et sens du partage».

Svitlana Dukhovych et Alessandro De Carolis - Cité du Vatican

Les manches sont toujours retroussées, car si les bombes continuent de transformer un immeuble d'habitation en cible pour les drones et un terrain de jeu pour les enfants en champ de bataille, il n'y a pas beaucoup de temps pour réfléchir, il faut se précipiter pour apporter de l'aide, charger des camionnettes de nourriture et de médicaments, quelle que soit la proximité de la ligne de front. Mais l'Église, au milieu des bombes, a une tâche précise et inaliénable: apporter non seulement un morceau de pain mais aussi un morceau de paradis à ceux qui vivent en enfer, parler à la conscience de ceux qui doivent décider entre la vie et la mort d'un soldat, alors que la frénésie de l'action, ou de la réaction, risque d'obscurcir le sens moral d'un choix.

«Je ne sais pas comment ils arrivent à dormir»

Plus de deux ans et demi après l'invasion russe, Mgr Visvaldas Kulbokas, nonce apostolique en Ukraine, fait le point sur la manière dont l'Église locale a réussi à faire face à un drame d'une telle ampleur, en continuant à être une présence concrète aux côtés de ses compatriotes. Notre rôle, réfléchit-il avec les médias du Vatican, est et reste celui de «proclamer l'Évangile», car «pendant la guerre, il peut y avoir du désespoir pour tant de raisons: les difficultés, les pertes, les blessures, la pensée des membres de sa propre famille qui sont prisonniers civils ou prisonniers de guerre...». «Moi-même, avoue le prélat, je me pose souvent la question de savoir comment les membres des familles des prisonniers parviennent à dormir». Ainsi, pour «l'Église, être avec le peuple signifie apporter la lumière au milieu des ténèbres».

Un rôle de conscience

Le nonce s'attarde sur la tâche des aumôniers militaires. Ils ont aussi, dit-il, «un rôle de conscience morale dans le sens où, oui, la guerre est atroce, mais dans chaque décision qui est prise, il est important qu'il y ait aussi la voix d'un prêtre qui demande aux commandants: est-ce que cette décision que vous avez prise est juste? Parce que cette décision concerne les militaires et les vies humaines». Un rôle de conscience qui s'étend également à une dimension communautaire. Il y a certes, dit Mgr Kulbokas, une Église qui «implore Dieu pour la paix», mais il y a aussi une Église qui parle «aux peuples, aux gouvernants» en les invitant «à ne pas s'appuyer uniquement sur des moyens militaires, politiques ou humanitaires, mais aussi à réfléchir». Parfois, confie le nonce, en s'appuyant sur les Pères de l'Église, «je me pose la question: pour qui devons-nous prier davantage? Saint Jean Chrysostome nous invite à prier pour l'agresseur qui perd la vie éternelle».

Ne jamais se décourager 

La force de résilience se nourrit également de la connaissance d'un réseau illimité toujours prêt à donner un coup de main. «Savoir que je suis une communauté m'aide, car je sais que je peux demander conseil, que je peux trouver quelqu'un qui me soutienne», explique le prélat. Parfois, quelqu'un en Italie, en Espagne, en France, au Chili, en Argentine se fait connaître par des courriels ou des appels téléphoniques en disant: «Nous sommes là, que pouvons-nous faire?» C'est cela l'Église: savoir qu'elle est répandue dans le monde entier et qu'elle se sent soutenue par le monde entier.

Réfugiés évacués de la ville de Prokovsk, près de Donetsk, le 20 septembre 2024.
Réfugiés évacués de la ville de Prokovsk, près de Donetsk, le 20 septembre 2024.

Mais y a-t-il, pour ainsi dire, une leçon à tirer du fait d'être un chrétien qui s'est retrouvé dans cette folie qui dévaste les gens et les villes depuis plus de trente mois? Mgr Kulbokas répond en commençant par un mot, «frustration». «J'ai appris, je l’espère, que dans les moments difficiles, on vit beaucoup de situations frustrantes. Les situations des prisonniers, des enfants qui ne peuvent pas rentrer de Russie chez leurs parents... On fait beaucoup de travail et on obtient très peu de résultats». Mais il ajoute: «J'ai aussi appris d'autres personnes, en partageant des expériences, qu'il ne faut jamais abandonner une situation. J'ai rencontré beaucoup de gens qui m'ont dit: écoutez, moi aussi je n'ai peut-être rien pu faire en un an, en deux ans. Et puis la troisième, la quatrième, la cinquième année, j'ai réussi à trouver des solutions, des moyens, des mots justes, des initiatives pour résoudre quelque chose».

Aide, dépendance à l'égard des organes institutionnels

La réflexion porte ensuite sur une évaluation éthique de l'aide que l'Ukraine a reçue et continue de recevoir. Il reconnaît que de nombreuses personnes sont prêtes à offrir leur aide à différents niveaux, spirituel, politique, dans le domaine de l'information, dans le domaine humanitaire. «L'impression que j'ai eue jusqu'à présent, soutient le prélat, est qu'il est très approprié que les organismes qui gèrent cela soient des institutions officielles, sinon il y a un risque que les nouvelles associations ne soient pas dignes de confiance». Mgr Kulbokas invite tous ceux qui ont une idée à la communiquer «à ces institutions officielles», y compris celles de l'Église comme le synode des évêques de l'Église gréco-catholique, la Conférence des évêques latins, ou la nonciature elle-même.

Partager l'abondance des biens

Partage d'idées, donc. Et aussi des biens, intelligemment. «Il y a beaucoup de potentiel», assure le nonce, qui se souvient de la conversation qu'il a eue avec deux Américains impliqués dans la collecte de médicaments pour l'Ukraine. «Ils m'ont dit: dans notre secteur, il arrive souvent que les hôpitaux, parce qu'ils doivent réduire le personnel, y compris le personnel médical, n'aient pas le temps de faire les calculs correctement et finissent souvent par commander des médicaments ou des machines qu'ils utilisent peu par la suite. Vous commandez un paquet de médicaments et vous n'en avez besoin que de la moitié. Et ils me disaient qu'il restait énormément de machines et de médicaments en bon état, mais non utilisés». «Ce surdéveloppement du monde occidental, souligne Mgr Kulbokas, crée parfois une surabondance de biens qu'il faut savoir rechercher pour donner à ceux qui en ont besoin».

«Ma proposition, conclut-il, est de canaliser certaines de ces initiatives également vers les institutions de l'Église, sachant qu'elles sont des institutions sérieuses et qu'elles peuvent donc s'associer à ce type d'engagement».

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21 septembre 2024, 12:10