L’étincelle missionnaire du dernier prêtre et doyen français de Papouasie

Le père Albert Boudaud, 84 ans, trois ans de moins que le Pape François, est aujourd’hui le doyen de la communauté française de Papouasie-Nouvelle-Guinée, et le dernier prêtre français à s’y trouver. Une rencontre joyeuse et lumineuse.

Delphine Allaire – À Port Moresby, Papouasie-Nouvelle-Guinée

Sur les hauteurs de la capitale papouasienne face à la mer de Corail, s’élève le centre des missionnaires du Sacré-Cœur d’Issoudun, l’un des premiers ordres à être arrivés dans le pays océanien à la fin du siècle du réveil missionnaire. La branche papouasienne de la congrégation, fondée par le Français Jules Chevalier, vit d’une spiritualité du cœur qui a frappé un jeune Vendéen il y a un demi-siècle.

Discerner l'appel de Dieu

Lorsqu’il replonge dans ses souvenirs, le père Boudaud a le sourire des existences accomplies et épanouies, touchées par la grâce. «Quand j'étais gamin, je disais déjà que je voulais être prêtre. Un désir confirmé et clarifié les années d’après, mais je ne pensais pas quitter la France, ma Vendée». À douze ans, Albert rentre au petit séminaire. Des missionnaires viennent y conter leurs expériences sans frontières, notamment de Papouasie. Le petit garçon aux yeux bleu azur écoute. Captivé, il ne sait pas que la graine de la vocation, invisible, est semée. Mais il ressent cet appel à l’impossible et une lutte intérieure commence: «L’idée de départ allait et venait sans cesse pendant dix ans. Je la repoussais jusqu’au jour où, deux ans avant l’ordination, je la partage enfin à mon directeur spirituel». Deux semaines de discernement plus tard, le kairos pointe. Albert écrit à Issoudun aux Missionnaires du Sacré-Cœur les seuls en charge du pays mélanésien encore sous domination australienne même si les balbutiements de l'indépendance y bruissent déjà. Après un accueil fluide et facile, il est ordonné prêtre MSC en 1967. Après une année de pastorale dans l’Hexagone, le provincial lui téléphone. Le départ pour les antipodes est formalisé. Et commence en octobre 1968 un tour du monde en 45 jours. L’odyssée débute au Vieux-Port de Marseille, traverse la Méditerranée et pénètre dans l’Atlantique après Gibraltar. Direction les Antilles françaises et le canal de Panama où une fois entré dans le Pacifique, toute terre est perdue de vue jusqu’aux iles Marquises, Vanuatu, les Nouvelles-Hébrides, condominium franco-britannique, puis Sydney, la Nouvelle-Calédonie. Enfin, cap sur Port Moresby.

L'inculturation linguistique et géographique

La procure de la mission se trouve sur l'Île Yule, entourée de récifs coralliens. Albert apprend l’anglais, puis les langues locales, à force de pratique dans un village mekeo où il est envoyé en 1969, à 29 ans. Il vivra avec eux jusqu’à l’aube de ses 60 ans. Le père Boudaud goûte aux noix d’Arec, symbole de fraternité, aux effets comparables à la nicotine après mastication. «Cela ne me disait rien, mais un jeune chef me l’a proposé et je ne voulais pas causer mauvaise impression, j’ai peu à peu trouver cela bon. Le partage et la proximité». Il chique désormais comme un local. La Papouasie devient son nouveau pays, la France, une terre presque étrangère. Son expérience en altitude est pareillement fondatrice. Il reste dix ans en montagne où de nouveaux dialectes viennent compléter son lexique local. Il apprend les dialectes par les chansons d’amour à la guitare, dans les tribus. Linguistique, mais aussi physique, la mission l’est indubitablement, passée à monter, descendre, à marcher sur des routes aussi tortueuses que les habitants généreux. Sur ces chemins construits par les missionnaires, la familiarité se tisse à hauteur de discussions en forêt ou sur les côtes. La nature est partout, les distances nulle part.

«Les gens sont toujours prêts à nous aider. Être très près d'eux, c’est cela l’inculturation», déclare-t-il, l’œil vif et pétillant, reconnaissant la belle œuvre des Missionnaires du Sacré-Cœur, qu’il résume en deux paroles: proximité des personnes, respect de la culture. «Même des chefs d’apparence un peu durs s’attendrissent après des chants, des danses ou la noix d’Arec», garantit le prêtre papouasien de cœur. «À mekeo, ils me considèrent comme leur père, grand-père et l’arrière-grand-père. Je suis leur poupou ou leur boubou», s’amuse-t-il.

 

Une proximité de cœur qu’il a pu partager avec le futur Pape polonais en 1977 lors de sa venue comme archevêque de Cracovie en Papouasie. Père Albert conserve un doux souvenir de cette rencontre, scellée par une poignée de mains personnelle et une précieuse photographie. «Il m’a béni. Ce Pape polyglotte était fasciné par la culture mélanésienne, comme par tant d’autres», raconte-t-il à propos de Jean-Paul II, qui s’exprimât en langue créole, pidgin et motu, dès sa descente de l’avion lors d’une visite apostolique mémorable en 1984. 40 ans plus tard, père Albert voit la venue du Pape François comme un immense privilège, «car il n’a pas encore visité plein d’endroits». Pour cela, le prêtre de trois ans son cadet remercie le Souverain pontife aussi au nom des Papouasiens de toutes les tribus qu’il a côtoyé, eux qui parfois sont regardés «de haut» ont reçu une reconnaissance pontificale. Un motif de dignité et de fierté. «Il nous a choisi, nous, et pas d'autres.»

«Ah, la Papouasie!»

Le doyen des Français de Papouasie voit dans la culture mélanésienne un puits d’espérance pour l’avenir de ce pays, où les vocations sont nombreuses par rapport à la France. L’Église n’est pas encore tout à fait locale, mais la transmission de l’ethos culturel ne doit jamais faiblir et être encouragée, estime le prêtre âgé au visage si jeune, avant de sourire, espiègle. «Je ne regrette pas du tout d’avoir quitté la France, mon diocèse ni la Vendée. Le Seigneur m’a bien eu!»

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08 septembre 2024, 13:29