Mgr Shevchuk regrette l’instrumentalisation de la religion dans la guerre en Ukraine
Alexandra Sirgant – Cité du Vatican
De passage à Paris pour rencontrer le président Emmanuel Macron, l’archevêque majeur de l’Église gréco-catholique ukrainienne a tenu une conférence de presse en la Cathédrale Saint-Volodymyr-le-Grand, co-organisée par l’Œuvre d’Orient et la Conférence des évêques de France, sur la situation en Ukraine et le rôle de l'Église gréco-catholique dans le contexte de guerre. «L’Ukraine est fatiguée mais pas vaincue, l’Ukraine est blessée mais résiliente», a martelé Mgr Sviatoslav Shevchuk, en soulignant que la «tragédie» en cours depuis près de 1000 jours unissait tous les Ukrainiens, quelles que soient leurs confessions religieuses. «Notre capacité à sauver des vies est un exemple de l’œcuménisme à l’œuvre», a-t-il souligné.
L’archevêque majeur s’est ensuite arrêté sur le sort des gréco-catholiques vivant dans les territoires occupés par les troupes russes qui, selon ses mots, est interdite et en voie de destruction. «Aujourd’hui, dans les territoires occupées, il ne reste plus un seul gréco-catholique», a déploré Mgr Shevchuk à propos de ses fidèles qui constituent environ 7% de la population ukranienne. «Vous comprenez de ce fait pourquoi pour la plupart des croyants en Ukraine, le concept d’indépendance de l’Ukraine équivaut à la liberté religieuse».
630 sites religieux détruits en Ukraine
L’Institut pour les libertés religieuses, une organisation non gouvernementale de défense des droits humains créée en 2001 à Kiev, a publié en mars dernier un rapport faisant état de la destruction de 630 édifices religieux depuis le début de la guerre en février 2022. La plupart des églises, des synagogues et des mosquées détruites se trouvent dans la région de Donetsk (au moins 146), la région de Louhansk (au moins 83) et la région de Kherson (au moins 78), mais aucune région n’a été épargnée. Le rapport souligne par ailleurs que ce sont les églises orthodoxes-dont celles appartenant à l'Église orthodoxe ukrainienne affiliée au Patriarcat de Moscou- qui ont été le plus touchées avec 187 édifices détruits (dont 59 de l’Église orthodoxe ukrainienne). 41 églises catholiques ont été anéanties. De plus, indique le rapport, certains lieux de culte «ont été délibérément pillés par l'armée russe, fermés ou transformés par les autorités d'occupation en bâtiments administratifs».
L’interdiction par le Parlement ukrainien de l'Église liée au Patriarcat de Moscou
Le Parlement ukrainien a approuvé le 20 août un projet de loi interdisant l'Église orthodoxe liée au Patriarcat de Moscou. La nouvelle loi, qui n'a pas encore été promulguée, donne aux paroisses concernées neuf mois, pour «couper les liens avec l'Église orthodoxe russe». Rappelant le soutien de l’Église orthodoxe russe à l’invasion de l'Ukraine, Mgr Shevchuk a regretté une «instrumentalisation de la religion» qui la transforme en «arme» et «déshumanise l’ennemi». De quoi plonger les Ukrainiens rattachés au Patriarcat de Moscou dans «une immense crise d’identité».
Le chef de l’Église gréco-catholique ukrainienne voit dans cette loi une mesure de défense du gouvernement ukrainien. Le 16 août dernier, le Conseil ukrainien des Églises et des organisations religieuses (KURO), avait fait état des résultats d'une rencontre avec le président ukrainien Zelensky, au cours de laquelle, expliquait un communiqué, la condamnation catégorique des «activités de l'Église orthodoxe russe», définie comme «complice des crimes sanglants contre l'humanité des envahisseurs russes», avait été rappelée. La sécurité de l’État ukrainien étant compromise, Mgr Shevchuk a souligné que les représentants des différentes confessions respectaient non seulement «le droit mais aussi l’obligation de l’État d’œuvrer dans le domaine sécuritaire».
La médiation du Saint-Siège dans le conflit en Ukraine
Répondant à la question d’un journaliste concernant la diplomatie du Vatican dans ce conflit, le primat de l'Église gréco-catholique ukrainienne a exprimé sa reconnaissance envers le Pape François et le Saint-Siège pour la médiation menée depuis plus de deux ans. Mgr Shevchuk a été reçu en audience par le Saint-Père le 10 octobre dernier, en marge du Synode des évêques, pour parler des défis qui attendent les Ukrainiens cet hiver. Au lendemain de cette rencontre, François a également reçu pour la troisième fois au Vatican le président Volodomyr Zelensky, quelques jours avant le départ en Russie du cardinal Matteo Zuppi, chargé de diriger une mission de paix entre les deux pays. Le président de la Conférence épiscopale italienne s’est rendu pour la deuxième fois à Moscou pour rencontrer les autorités au sujet du regroupement familial des enfants ukrainiens et de l'échange de prisonniers. Des efforts salués par l’archevêque majeur qui a tenu a distinguer «la neutralité diplomatique» du Saint-Siège dans ce dossier de celle de «la neutralité morale», soulignant que le Vatican maintenait des relations diplomatiques avec la Russie tout en étant aux côtés de «l’Ukraine martyrisée».
«L’espérance existe»
Mgr Sviatoslav Shevchuk a conclu avec un message d’espérance pour l’avenir de l’Ukraine et de l’Église gréco-catholique ukrainienne: «Nous sommes confiants dans le fait que la capacité à aimer sa patrie peut être plus forte que la haine. Je ne peux pas interdire à mon peuple de ne pas ressentir de la haine quand ils sont témoins de meurtres, mais, grâce à la vertu de notre esprit et à la vertu de notre volonté, nous devons transformer ce sentiment de haine en courage. L’action du Saint-Esprit transforme le courage humain en espérance. C’est pour cela qu’en Ukraine l’espérance existe».
Ce 29 octobre, le primat de l’Église gréco-catholique a également été reçu pour la première fois au siège de la Conférence des évêques de France, avant de se rendre au Collège des Bernardins pour participer à une conférence académique sur la spiritualité en temps de guerre.
Le dimanche 3 novembre à 15h, à l’église Saint-Sulpice à Paris, une liturgie solennelle commémorera les victimes de la guerre actuelle et de l’Holodomor, la famine provoquée par le pouvoir soviétique en Ukraine en 1932-1933.
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