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Mgr Antuan Ilgit, le nouvel administrateur apostolique d'Anatolie, en Turquie. Mgr Antuan Ilgit, le nouvel administrateur apostolique d'Anatolie, en Turquie. 

Une Église de coeur en Turquie, le projet de l'administrateur d’Anatolie

Nommé administrateur apostolique d’Anatolie lundi 25 novembre par le Pape, Mgr Antuan Ilgit revient pour Vatican News sur les réalités de l'Église en Turquie et invite, sur cette terre «riche en potentialités», les jeunes prêtres aspirant à devenir «fidei donum». En Turquie, les défis sont nombreux: l'accueil des migrants, la proximité de la guerre ou l'après-séisme du 6 février 2022. Aux côtés des jeunes de son pays, il espère que le Jubilé sera l'occasion d'un nouveau départ pour son Église.

Antonella Palermo et Marie Duhamel - Cité du Vatican

Âgé de 53 ans, Mgr Antuan Ilgit était devenu le premier évêque turc de l'Église catholique, lorsque le Pape l’avait nommé évêque auxiliaire du vicariat d'Anatolie, le 28 août 2023. Une confiance que François lui a renouvelée ce lundi, en nommant cette fois le jésuite turc administrateur apostolique sede vacante et ad nutum Sanctae Sedis d’Anatolie. Mgr Antuan Ilgit succède à Mgr Paolo Bizzeti qui avait présenté sa démission pour raison d’âge au Pape après avoir passé neuf ans à la tête de la circonscription ecclésiastique.

Né en Allemagne dans une famille d’immigrés musulmans, Antuan Ilgit est arrivé très jeune en Turquie où, jeune homme, il a suivi des études d'économie à l'université Gazi d'Ankara, avant de s’engager dans l’Église. Entré dans la Compagnie de Jésus, il a occupé différentes charges en Turquie. Dans la capitale, il a servi la communauté catholique turcophone de la paroisse de Meryemana. Il fut économe de la communauté jésuite locale entre 2010 et 2011, avant de rejoindre l'équipe de formation du Séminaire pontifical interrégional campanien de Posillipo (2017-2020). Nommé évêque auxiliaire du Vicariat, il est rapidement devenu porte-parole de la Conférence épiscopale turque, ainsi que responsable de la pastorale des jeunes et des vocations et président de la Commission nationale pour la catéchèse.

Vous êtes le premier évêque turc de l’Église catholique, comment accueillez-vous cette nomination?

La confiance que la Sainte Mère l'Église place en moi à travers cette nomination, associée à la proximité constante du Saint-Père avec les fidèles du Vicariat apostolique d'Anatolie, exprimée de diverses manières, m'encourage à m'engager toujours plus. Cette nomination signifie une appréciation authentique du potentiel et de la richesse de l'Église de Turquie. La réalité qui m'entoure m'interpelle constamment, me poussant toujours vers les gens, les pauvres, les dépossédés, les réfugiés, les jeunes. Maintenant que l'on me confie la pleine responsabilité d'un vicariat aussi grand que l'Italie, et que j'ai servi jusqu'à présent comme auxiliaire, je me sens appelé à être de plus en plus un pasteur qui est avec son peuple, se mêlant à sa vie quotidienne avec ces trois caractéristiques du Seigneur, réitérées très souvent par le Saint-Père: proximité, miséricorde et compassion. Notre vicariat a besoin d'un évêque qui réside sur le territoire, qui ne soit ni un gestionnaire ni un fonctionnaire mais un témoin, qui ne soit pas autoréférentiel mais synodal, c'est-à-dire qu'avant de prendre des décisions, il écoute l'Esprit qui parle à l'Église et à ceux qui la composent.

Comment se caractérise l'Église catholique en Turquie?

C'est une Église qui a beaucoup de potentiel et tant de richesses. Elle est de plus en plus fréquentée par des jeunes qui souhaitent changer les choses, contribuer et servir. C'est une Église de plus en plus capable d'accueillir, les réfugiés chrétiens, les étudiants universitaires africains déjà catholiques, les pèlerins occidentaux sur les traces de l'Apôtre des Gentils (saint Paul) et tant d'autres confesseurs de la foi qui ont fait de ma terre bien-aimée la «terre sainte de l'Église», comme le disait Mgr Luigi Padovese (vicaire d’Anatolie de 2004 à 2010), que j'aime à citer souvent. C'est une Église qui ne s'affiche pas, qui témoigne sans clameur, en cherchant à vivre la Parole de Dieu qui sanctifie et qui sauve.

Quels sont les fruits du dialogue avec les autres Églises et les autres religions?

L'œcuménisme et le dialogue interreligieux, qui ont fait l'objet de tant d'études, sur lesquels des documents et des volumes ont été écrits, nous les vivons au quotidien, nous, pasteurs catholiques, orthodoxes, arméniens apostoliques, etc., en participant mutuellement à des célébrations, à des événements, en partageant nos ressources sans compter, et sans rien attendre en retour. L'œcuménisme se manifeste également dans les familles mixtes, qui assistent par alternance à la messe du dimanche dans la paroisse catholique et la semaine suivante dans la paroisse orthodoxe. Il en va de même avec nos frères et sœurs musulmans ou d'autres confessions. Ici, le dialogue, jour après jour, porte, par exemple, sur les questions relatives au début de la vie. Nous essayons de nous concentrer sur ce qui nous unit, sans pour autant ignorer ce qui nous sépare. L'acceptation charitable et le respect, le sens de l'hospitalité, la piété et la charité qui caractérisent cette terre nous aident à vivre cela. Chrétiens, musulmans, juifs, yézidis, nous sommes tous des citoyens égaux et nous aimons tous cette terre turque qui nous semble être notre maison.

Votre engagement auprès des jeunes est très marqué. Comment témoignent-ils de l'espoir dans le pays aujourd'hui?

Celui qui reste proche des jeunes reste jeune! Une Église qui sait rester proche d'eux restera jeune et attrayante. Mais mon expérience avec eux m'apprend que nous devons changer de perspective. Nous avons beaucoup à apprendre d'eux. Les jeunes, avec leur intelligence, leur curiosité, leur débrouillardise, grandissent vite. Si nous, en tant qu'Église, n'étions pas proches d'eux, nous ne pourrions pas interpréter leur langage. Ils ont besoin de propositions sérieuses, de substance, qui cherchent à répondre à cette agitation qui les caractérise. D'autre part, je suis de plus en plus frappé par leur désir de prier, de se recueillir devant l'adoration eucharistique, de réciter le chapelet... Je les laisse organiser tout cela pour qu'ils accentuent les nuances qu'ils souhaitent, pour qu'ils se responsabilisent et fassent l'expérience de la beauté. Et ils me demandent souvent: «Père Antuan, quand nous prierons à nouveau tous ensemble, nous voulons tout préparer nous-mêmes».

Il y a plus d'un an et demi, un tremblement de terre a frappé la Turquie. Comment la reconstruction progresse-t-elle et quel est votre engagement?

Nous vivons dans un monde frénétique, où tant de conflits se déroulent actuellement et tant de catastrophes se produisent, que les projecteurs se déplacent facilement et rapidement d'une direction à l'autre. C'est ce qui s'est inévitablement produit dans la vaste zone des tremblements de terre, qui fait partie du Vicariat apostolique d'Anatolie. Et, même si l'on n'en parle plus, la situation sur place reste grave avec une précarité évidente, surtout dans la ville d'Antioche, et en partie à Iskenderun, siège de notre Vicariat. Le gouvernement essaie de faire sa part, le tremblement de terre a touché une zone géographiquement très étendue. Nous avons encore notre cathédrale à reconstruire et nous sommes constamment en contact avec les autorités locales et centrales pour essayer de surmonter certaines difficultés bureaucratiques le plus rapidement possible. Nous devons reconnaître que la volonté et la bonne volonté sont là, que le dialogue est toujours ouvert. Mais ma principale préoccupation est de maintenir ensemble les pierres vivantes que sont nos fidèles, les chrétiens qui habitent cette terre depuis deux mille ans. La véritable cathédrale, ce sont eux. Après le tremblement de terre, ils ont dû se rendre dans d'autres villes considérées comme plus sûres, mais pour les faire revenir, nous devons leur offrir des emplois, des écoles, des centres de santé, un soutien pour qu'ils puissent récupérer leurs maisons détruites. Aujourd'hui, Caritas Anatolie a un nouveau directeur. Elle est plus fonctionnelle, plus transparente, et se concentre sur des projets plus petits, locaux et ciblés sur les besoins réels de la population. Procéder différemment sans en tenir compte serait une grande honte pour tout ce que représentent ces lieux si chers à la chrétienté.

Comment vivez-vous le conflit au Proche-Orient? Quels sont les scénarios que vous envisagez?

Nous ne pouvons pas, je ne peux pas, rester indifférents aux conflits en cours, notamment parce que notre pays se trouve au milieu de ces conflits. En tant que disciples du Christ qui ont la paix à cœur, nous ne pouvons que nous ranger du côté de ceux qui veulent la paix. Comme le répète presque désespérément le Pape, «la guerre est une défaite». Seul celui qui se bat pour une paix véritable sera un vrai vainqueur. J'ai un ami israélien très cher, Misha, qui, à cause du conflit, a dû annuler son mariage et ne sait pas quand il pourra le célébrer dans un environnement de paix et de joie; une amie palestinienne, Salma, qui ne peut plus retourner en Europe pour terminer son doctorat; et à Beyrouth, j'ai mes compagnons jésuites qui, sous les bombardements, continuent d'aider les réfugiés soudanais avec engagement et sacrifice. Le Proche-Orient est notre maison, le monde est notre jardin commun, et nous sommes en train de ruiner notre maison commune. La création que nous ruinons nous a été donnée pour y vivre en tant qu'enfants, en tant que frères. Le problème n'est pas ici le fait d’ignorer le sacrifice de notre Sauveur Jésus-Christ sur la croix pour faire de nous des frères, des fils, pour nous donner sa paix, la vraie paix. Ce n’est pas non plus d’obtenir la fin des massacres. C'est d'exceller tous ensemble dans l'amour. C'est à cela que nous sommes appelés.

Y a-t-il des pèlerins sur les lieux de saint Paul?

Les pèlerinages reprennent et c'est une bonne chose pour nous. Dieu merci, à part la cathédrale, les structures de notre épiscopat n'ont pas été endommagées, et je m'efforce donc de faire en sorte que les groupes restent avec nous à Iskenderun. Dans les prochains mois, nous accueillerons déjà trois grands groupes de pèlerins, des religieux et religieuses, des séminaristes et des laïcs désireux de redécouvrir les racines de leur foi. Ce désir est beau. Je souhaite inviter tout le monde chez nous, à Iskenderun, avec les mots de Rumi: «Venez, venez; qui que vous soyez, venez. Êtes-vous un païen, un idolâtre, un athée? Venez! Notre maison n'est pas un lieu de désespoir, et même si tu as trahi cent fois une promesse... viens». Même si elle a été détruite par le tremblement de terre, cette terre reste toujours belle, toujours sacrée, aussi parce que c'est ici que la Bible s'ouvre et se ferme. Ceux qui viennent ne veulent parfois pas repartir, et si par hasard ils partent, ils veulent toujours revenir. Une autre invitation que je souhaite faire s'adresse aux jeunes prêtres diocésains désireux de passer leur vie comme fidei donum. J'ai encore une paroisse sans prêtre depuis des mois où il y a un bon groupe de jeunes hommes qui ont besoin d'être accompagnés. Parfois, il faut sortir de sa propre réalité, parce que le Seigneur nous appelle toujours aux limites, aux frontières. L'Église en sortie du Pape François... En tant que chrétiens, nous sommes toujours des pèlerins.

La Turquie est un pays de transit pour les migrants qui affrontent la mer Méditerranée en direction de l'Europe, avec tous les risques que cela comporte, mais c'est aussi un pays d'accueil pour les personnes qui fuient les guerres, comme celle qui sévit en Syrie. Comment l'Église locale aborde-t-elle aujourd'hui cette mobilité humaine largement souffrante?

Comme je le disais, l'une des plus belles caractéristiques de ma patrie est l'hospitalité; nous sommes capables de donner une grande hospitalité même lorsque nous n'avons que très peu de moyens. Je me souviens toujours avec beaucoup de reconnaissance et d'émotion de toutes ces fois où mes parents donnaient même leur lit double à nos invités qui venaient d'Allemagne, où je suis né parce que mes parents y avaient émigré. Ils dormaient alors à même le sol. L'hospitalité est donc sacro-sainte et la nation entière a donné un grand témoignage en accueillant tant de Syriens, mais aussi d'Irakiens, d'Iraniens, d'Afghans, et même d'Ukrainiens et de Russes. Penser à la tragédie de Cutro (ndlr, 94 migrants étaient morts dans le naufrage en Italie d’une embarcation partie de Turquie avec 140 personnes à son bord) et au-delà me fait pleurer, car j'ai du mal à identifier la Grande bleue de mon enfance, où j'allais pêcher avec mon père, un pêcheur, avec une mer qui aspire des milliers de vies. Ce ne sont pas des numéros, ils ont tous un nom, un visage, une histoire, ils sont tous aimés, désirés par le Seigneur Jésus. Nous nous engageons, oui, à accueillir ceux qui n'ont d'autre choix que d'abandonner leur terre, mais ce n'est pas suffisant. Il ne suffit pas de leur donner des vêtements, de la nourriture, des jouets. L'Église de Turquie, apparemment petite et avec peu de ressources, fait de grands efforts, non seulement pour les accueillir, mais surtout pour leur donner le sentiment de faire partie de la communauté chrétienne autochtone.

Malheureusement, malgré toutes les tentatives pour atteindre l'autre rive, il semble qu'ils continueront à mourir; puisse Marie, l'Étoile de la mer, les aider afin qu'aucun d'entre eux ne se perde plus jamais.

Comment vous préparez-vous au Jubilé? Y a-t-il une histoire concrète d'espoir que vous pensez pouvoir nous raconter?

En 2023, j’ai emmené à Lisbonne un groupe de 40 jeunes représentant toute l'Église de Turquie, catholiques latins, syriaques, chaldéens, arméniens, néophytes et catéchumènes, et nous nous préparons également au Jubilé des jeunes qui aura lieu à la fin du mois de juillet 2025. Cependant, avant le voyage à Rome, dans notre Vicariat, nous ferons un voyage de préparation en plusieurs étapes. Le «cœur» des jeunes doit être préparé, et la dernière encyclique du Saint-Père, Dilexit nos, nous offre une belle carte pour cela, avec une boussole précise qui est le Sacré-Cœur de Jésus: «C'est là, dans ce Cœur, que nous nous reconnaissons enfin et que nous apprenons à aimer».

Les jeunes d'aujourd'hui, capables de tant de choses, manquent souvent de se reconnaître et de s'apprécier. Je les accompagnerai personnellement, je me tiendrai à leurs côtés pour qu'ensemble nous puissions découvrir l'amour véritable comme Il nous a aimés. Une belle histoire à raconter? La petite église du couvent des Capucins d'Antioche se prépare à célébrer la messe de Noël. Les Capucins ont travaillé dur pour panser les blessures de cette petite église détruite par le tremblement de terre, et nous l'avons appelée l'église du Jubilé du Vicariat d'Anatolie. Ainsi, la petite église de la ville d'Antioche, qui a été presque entièrement détruite par le tremblement de terre, sera le signe jubilaire d'un nouveau départ.

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26 novembre 2024, 13:55