Sa Béatitude Sviatoslav Shevchuk, archevêque majeur de l'Église gréco-catholique ukrainienne. Sa Béatitude Sviatoslav Shevchuk, archevêque majeur de l'Église gréco-catholique ukrainienne. 

Mgr Shevchuk: les Ukrainiens portés par l'espérance, malgré la guerre

L’archevêque majeur de l'Église gréco-catholique ukrainienne raconte les mille jours de conflit dans son pays. «Après le choc initial, un redémarrage est amorcé. Tout avait été détruit, tout doit être renouvelé», a-t-il déclaré. Mgr Shevchuk demande par ailleurs de ne pas laisser l'Ukraine seule et de ne pas la considérer comme «un problème». Car «c'est dans notre résilience que se trouve la solution à tant d'injustices dans le monde d'aujourd'hui», a-t-il affirmé.

Svitlana Dukhovych - Cité du Vatican

Dans une interview accordée aux médias du Vatican, Mgr Sviatoslav Shevchuk, archevêque majeur de l'Église gréco-catholique ukrainienne, parle de douleur mais encore plus d'espoir. Aussi, il réitère sa condamnation d'une guerre qualifiée d'«insensée et sacrilège» et lance un appel au nom de la population ukrainienne pour qu'elle ne soit pas abandonnée. «Même en silence, soyez présents à nos côtés», a-t-il poursuivi. Entretien.

Votre Béatitude Sviatoslav Shevchuk, quels sont les sentiments de la population ukrainienne après mille jours de guerre totale, après de nouvelles attaques russes la semaine passée ?

Si nous parlons de sentiments, il y a d'une part un profond sentiment de tristesse. Les gens sont vraiment affligés parce que, chaque jour, nous devons voir de nos propres yeux le terrible visage de la mort, de la destruction. D'un autre côté, ne serait-ce qu'en regardant la manière dont nous avons vécu ces mille jours, le sentiment qui prévaut est la capacité d'espérer. Sans espoir aujourd'hui, il est impossible de continuer à vivre en Ukraine. Lorsque nous observons les travailleurs de l'infrastructure énergétique ukrainienne qui, après une attaque de missiles, après chaque destruction, recommencent après quelques heures à tâcher de réparer les dégâts ; lorsque nous voyons nos médecins qui, malgré le danger, aident à sortir les gens des maisons détruites, à sauver des vies, le constat est celui-là. Aux côtés de la douleur, il y a de l'espoir. L'espoir de personnes issues de diverses professions, de divers secteurs de la société, de divers groupes sociaux en Ukraine.

De nombreux Ukrainiens disent que la guerre les a beaucoup changés. Quels sont, selon vous, les changements ou les transformations dont l'Église ukrainienne fait l'expérience? Et quels éléments de cette expérience pourraient être partagés avec les catholiques du monde entier?

Lorsque la guerre a éclaté et que nous nous sommes retrouvés en un instant sous les bombes, nous avons subi un choc profond. De nombreux chercheurs en psychologie et en sciences sociales, mais aussi nous, d'un point de vue spirituel, sommes tous d'accord pour dire que ce choc a été comme un moment de redémarrage: en un seul instant, toutes les relations humaines se sont effondrées, tout ce que nous avions compris, connu, expérimenté jusqu'alors a été détruit. Ce redémarrage a provoqué un renouveau car nous avons dû renouveler nos relations, d'abord avec nous-mêmes, chacun a dû comprendre «qui suis-je? Qu'est-ce que j'ai à faire? Tous les masques, les apparences, sont tombés. Et un sens profond de l'être humain dans sa grandeur et aussi dans sa faiblesse s'est révélé.

Ce bouleversement a également provoqué un autre phénomène: la perte et la reconquête de la relation avec Dieu. Lorsque l'on vit les bombardements, que l'on voit sa maison trembler et que l'on entend l'horrible tonnerre des bombes, c'est comme si l'on se trouvait dans une nuit spirituelle et que l'on s'écriait: «Seigneur, où es-tu? Pourquoi m'as-tu abandonné?», comme Jésus sur la croix. Mais alors, ce Dieu qui, à un moment donné, semblait s'être obscurci, devient présent et l'Église assiste à un phénomène de profonde conversion. Conversion des prêtres, des évêques, des moines, des fidèles, mais aussi conversion des personnes éloignées de l'Église. Redécouvrir Dieu comme source de vie et au milieu d'un désastre, d'une nuit de douleur. Tel est le sens de la vie spirituelle et ecclésiale: perdre et retrouver, passer par la destruction et se retrouver ensuite dans un monde différent, une société différente, un pays différent. Ainsi, tout le monde dit que cette Ukraine que beaucoup connaissaient avant le 24 février 2022 n'existe plus. Nous devons protéger ce peuple, ce pays, redécouvrir l'Église du Christ présente parmi les gens.

Le don le plus précieux de Dieu est la vie. Tant de familles en Ukraine pleurent la perte d'êtres chers tombés au front ou morts dans les bombardements. Comment l'Église peut-elle encore amener les gens à aimer et à protéger la vie?

Dans ces circonstances, nous avons le sentiment d'être immergés dans un océan de douleur. La douleur humaine est un mystère et l'Église suit les traces de Jésus-Christ qui a su entrer dans les profondeurs de la douleur humaine et montrer ensuite le chemin pour en sortir. Nous avons appris plusieurs choses. La première, c'est qu'il ne faut pas être pressé de dire «je te comprends». Beaucoup de gens de l'étranger, même des amis, nous disent: «Nous vous comprenons», mais ces mots nous causent une profonde douleur parce qu'on ne peut pas dire à un garçon qui a perdu ses jambes: «Je vous comprends». Deuxièmement, il est très important d'être présent même si nous ne pouvons rien dire. Le sacrement de la présence est important. Nous nous disons «sois silencieux, mais sois présent à nos côtés. Ne nous laissez pas seuls». La présence de l'Église est un sacrement qui rend visible la présence réelle du Seigneur au milieu de son peuple. La troisième chose, la plus importante, est la force de la Parole. Elle apporte la force de Dieu, la vie, l'espérance, la capacité de renouveler nos ressources humaines et spirituelles. La Parole de l'Évangile est vraiment la vie. Il ne s'agit pas d'une belle phrase ou d'une métaphore: j'ai vu de mes propres yeux que lorsque je proclamais la Parole de Dieu, qu'Elle faisait littéralement vivre les gens. C'est un miracle!

Les Ukrainiens que nous avons interroger nous disent qu'ils sont les premiers à aspirer à la paix, mais cet objectif semble malheureusement s'éloigner de plus en plus. Quelle est la source d'espoir d'une paix juste et durable dans ce pays tourmenté?

Nous avons fait l'expérience que cette source d'espoir ne se trouve pas en dehors de l'Ukraine, à l'étranger, mais en nous. On nous a donné trois jours... et maintenant nous parlons du millième jour d'une guerre insensée, blasphématoire, un sacrilège. Nous avons vu qu'il y a en nous une source jaillissante de résistance, de résilience, d'espoir, qui devient un problème politique, militaire, diplomatique. L'agresseur veut anéantir cette source jaillissante, il ne veut pas reconnaître qu'elle existe, il veut la détruire avec des missiles, des bombes, des chars. Parfois, cette source d'espoir crée également des problèmes pour les hommes politiques, qui sont nombreux à considérer l'Ukraine comme un problème. Mais ils ne comprennent pas que dans cette source se trouve la solution à tant d'injustices, à tant de situations pour le monde moderne qui est en train de perdre son humanité. Même les diplomates sont interpellés par cette source d'espoir et de résilience en Ukraine, ils cherchent diverses formules de paix, des formules de négociations politiques, mais jusqu'à présent ils ne les ont pas trouvées. Je pense que cette source n'a certainement pas une origine purement humaine: chaque jour, nous voyons nos forces humaines se vider puis se remplir. Il y a une étincelle de vie.

Souhaitez-vous ajouter autre chose?

Je voudrais ajouter qu'aujourd'hui, en Ukraine, nous vivons vraiment quelque chose qui dépasse les frontières d'une seule nation, d'un seul pays, voire d'une seule Église. Le vrai visage de l'humanité se révèle et ceux qui seront capables de le reconnaître comprendront que l'Ukraine d'aujourd'hui n'est pas un problème, mais une partie de la solution.

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20 novembre 2024, 15:54