En pleine guerre au Soudan, l’Église locale continue sa mission
Jean-Benoît Harel – Cité du Vatican
À El Obeid dans le centre du Soudan, les trois missionnaires comboniens italiens ont quitté fin juin leur mission, fondée en 1952. Les prêtres, mais aussi les sœurs du Sacré Cœur et les sœurs de la charité de Mère Teresa ont reçu l’ordre d’évacuer, pour motif de sécurité. Une fuite de 350 kilomètres à travers le désert pour éviter les postes de contrôle des deux groupes militaires opposés.
Deux noms qui font trembler les près de 50 millions de Soudanais depuis avril 2023: Burhane et Hemetti. À la tête de l’armée soudanaise, le général Abdel Fattah al-Burhane mène une lutte acharnée contre les troupes de son rival, le général Mohamed Hamdan Daglo, surnommé «Hemetti». Ce dernier et ses «Forces de soutien rapide» (FSR) ont gagné de plus en plus de terrain au cours de 2024, encerclant la ville d’El Obeid et contrôlant toutes les voies de communication.
Une situation devenue trop risquée pour les missionnaires étrangers. Les missionnaires ont rejoint la ville de Kosti, à 350 km au sud de Khartoum, une zone contrôlée par l’armée régulière. Alessandro Bedin, prêtre de la communauté, explique vouloir continuer à être «un signe d'espérance, à soutenir autant que possible les activités pastorales en place, et à soutenir les écoles».
Des difficultés innombrables
«Au Soudan, les choses ne se sont pas améliorées», déplore le missionnaire italien. Le conflit, qui pourrait avoir fait jusqu’à 150 000 morts, continue de faire subir un calvaire à la population.
La nuit, les civils éteignent toutes leurs lumières pour ne pas se faire repérer par les drones et risquer d’être attaqué, souligne le père Bedin. D’autant que l’électricité est rare. «Les gens se débrouillent avec les panneaux solaires ou bien on recharge au moins les téléphones avec les voitures». De même pour l’eau courante: apportée par camion, chaque litre d’eau doit être payé, malgré les tentatives du gouvernement de faire creuser des puits dans la ville.
«Ceux qui souffrent le plus, ce sont les enfants»
«À cause de l'augmentation des prix, on peut trouver de la nourriture dans le marché, mais elle est très chère», raconte encore le missionnaire. Au Soudan, la moitié de la population est en sous-nutrition aiguë selon l’OMS, et 8,5 millions de personnes se trouvent même dans un état critique. «Ceux qui souffrent le plus, ce sont les enfants», car les adultes essaient de trouver les moyens de survivre, explique-t-il .
Quant aux services publics, les hôpitaux fonctionnent au minimum, tout comme les écoles que le gouvernement a tenté d’ouvrir en août. «Les infrastructures du pays n'existent pas», résume le père Bedin, elles se trouvent sous le contrôle de l’armée ou des milices et les fonds pour assurer leur fonctionnement sont difficiles à trouver.
1/3 de la population est déplacée
Pire crise humanitaire actuellement selon les Nations unies, plus de 11 millions de Soudanais ont été déplacés à l’intérieur du pays, et 3 millions se sont réfugiés dans les pays voisins. Soit un tiers de la population. Non loin de Kosti, sur la frontière sud du Soudan, la ville de Renk a vu s’établir «un camp de 20 000 personnes déplacées et réfugiées qui sont aidées par l'ONU et les organisations humanitaires», explique le prêtre italien. Tous les jours, les Nations unies et différentes ONG envoient des avions assurer un minimum d’aide humanitaire sur ces villes frontalières comme Malakal et Bentiu.
Dans un autre pays frontalier, en Égypte, certains de ses frères comboniens se dédient au soin et à la pastorale des réfugiés soudanais. Ils sont plus d’un million dans le pays dont une majorité au Caire. «Tant que la guerre continue, le nombre de réfugiés augmente», craint le père Bedin.
La mission de l’Église locale
À El Obeid, il ne reste que quatre membres du clergé dont l’évêque, deux prêtres et un diacre pour accompagner le millier de fidèles. Avec le départ des missionnaires, «ce sont les laïcs qui sont en train de prendre en main la pastorale et la catéchèse, avec l'aide des prêtres qui sont là-bas», témoigne le père Alessandro Bedin. Une occasion de se réjouir, selon lui: «C'est beau de voir que, malgré une situation qui est vraiment difficile, il y a une présence d'église locale qui est mesure de se prendre en charge. Voilà enfin une bonne nouvelle». Dans les villes de ce diocèse d’El Obeid, grand comme la France et qui couvre la moitié est du pays, c’est bien souvent sur les épaules d’un seul prêtre que reposent les besoins des communautés catholiques locales.
Toutefois, les affres du conflit n’épargnent pas l’Église et ses ministres. Par exemple, en revenant d’une réunion avec les évêques au Soudan du Sud, l’évêque d’El Obeid Mgr Tombe Trille a été «battu» par l’armée puis par les forces paramilitaires lors des checkpoints, pour lui soutirer de l’argent. L’évêque a même raconté à ACI Afrique avoir «frôlé le martyre» et avoir reçu «d'innombrables coups violents sur le cou, le front, le visage et les deux côtés de la tête».
L’espoir de l’Église
En plus des activités pastorales, l’Église aide également les personnes les plus démunies. À El Obeid, une centaine de familles sont aidées par la Caritas Internationalis, malgré la difficulté de s’approvisionner en argent contant.
«L'Afrique sauvera l'Afrique», aime à répéter le prêtre missionnaire italien. Il tire cette maxime de saint Daniele Comboni, fondateur des missionnaires comboniens du Cœur de Jésus et évêque de Khartoum entre 1877 et 1881. Cette espérance se fonde sur la résilience du Soudan, un pays à 97% peuplé de musulmans «qui a traversé de pires moments». Comme entre 1881 et 1898, lors de la guerre des madhistes, «où aucun prêtre ni aucun religieux n’étaient présents au Soudan». Les missionnaires ont alors reconstruit l’Église au début du XXe siècle. C’est aujourd’hui à l’Église locale que le flambeau de la foi est transmis.
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