L’INIRR veut «continuer à apporter des réponses aux personnes victimes» d’abus en France
Jean-Benoît Harel – Cité du Vatican
«Le défi est la transformation durable de ce que nous faisons», assure Marie Derain de Vaucresson lors d’une conférence de presse organisée ce mardi 25 mars. La présidente de l’INIRR, l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation, nommée en 2021 et dont le mandat a été prolongé jusqu’en juin 2026 a dressé dans un rapport un premier bilan d’activité. Au nom de l’Église de France, l’instance assure le devoir de justice et de réparation à l'égard des personnes victimes de violences sexuelles dans l'Église quand elles étaient mineures.
En trois ans, 1580 personnes se sont adressées à l’INIRR (en date du 24 mars) et 1235 personnes ont été accompagnées, majoritairement des hommes (à 66%) et dont la moyenne d’âge est de 61 ans. «Un travail prodigieux, assure la présidente, mené avec 40 personnes salariées et bénévoles, surtout quand on sait qu’en 2022, nous n’étions qu’une dizaine».
Les démarches restauratives
Si les demandes ont été très nombreuses la première année (1136 en 2022), l’instance a enregistré une augmentation au cours des derniers mois en raison du retentissement médiatique en France des violences commises au sein du lycée Notre-Dame de Bétharram mais aussi des révélations concernant l’abbé Pierre. «Il faut continuer à en parler», insiste Marie Derain de Vaucresson, car «si les demandes se tarissent, il en arrive toujours, et il en arrivera toujours», précise le rapport.
Faisant état des nombreux progrès réalisés dans la reconnaissance des responsabilités, «on voit des évêques très engagés, témoigne la présidente de l’INIRR, mais je ne peux pas dire que c'est l'ensemble des évêques, ni même que c'est l'ensemble de l'Église», regrette-t-elle toutefois, d'où la nécessité, estime-t-elle, que l’INIRR poursuive son action.
En plus des réparations financières, qui peuvent atteindre le plafond de 60 000 euros, l’INIRR a développé des démarches restauratives, avec plus de 200 accompagnements de ce type au cours de l’année 2024. Une sur quatre concerne la restauration d’un dialogue ou d’un lien avec l’Église. Julien, une des personnes suivies par l’INIRR a témoigné du sentiment d’abandon lorsqu’il a dénoncé les faits, n’ayant eu aucun contact de la part de prêtre ou d’évêque. Après une démarche restaurative, il se dit aujourd’hui «complètement serein et capable de rentrer dans une église».
Ces démarches peuvent être de plusieurs types, comme une démarche de vérité d’un évêque venu évoquer le cas dans une paroisse concernée, ou encore la lecture des archives par l’évêque et la personne victime. Les demandes des victimes pour parler de ce qu’ils ont vécu avec leurs proches ou leurs familles ont doublé, soulignant la nécessité de sortir du «silence qui enferme».
Un parcours individuel dans le récit collectif
De multiples entretiens ont lieu entre les personnes accompagnées et la vingtaine de personnes référentes de l’INIRR, afin d’extérioriser, et de «passer de la mémoire traumatique à la mémoire autobiographique», selon les termes de Myriam Dubois, référente de l’Instance.
C’est ce chemin qu’a vécu Gilles, 53 ans, une des nombreuses victimes du père Preynat à Lyon. Après des années d’errance, de psychanalyse, de souffrance, sa rencontre avec Mgr Lagadec, évêque auxiliaire de Lyon a été une étape importante. «Ce n’est pas à lui directement que je m’adressais mais à tous les évêques qui ont couvert les abus de ce prêtre quand je lui ai dit: “Vous avez couvert les agissements de mon violeur“». Il a désormais trouvé un travail, une des conséquences selon lui de son travail avec l’INIRR.
Jean-François Badin, secrétaire général adjoint et référent des démarches restauratives de l’INIRR a quant à lui témoigné de la nécessité de «réinscrire les parcours individuels dans un récit collectif», notamment en insistant sur la dimension systémique des abus sexuels dans l’Église, que le rapport de la CIASE avait mis en évidence.
Le futur de l’INIRR
Le mandat initial de l’INIRR était de 3 ans, puis a été prolongé jusqu’en juin 2026, mais la question de la suite se pose. «Ça bouge mais il y a encore quelques territoires à conquérir», assure Marie Derain de Vaucresson, citant par exemple le sujet des appels à témoignages à renforcer dans les diocèses. De plus, afin de dresser un bilan du travail de l’INIRR, une étude sur le sentiment de justice produit par les démarches qui sont engagées sera publiée en juin 2026.
«L'obligation qu'on a, c'est, dans la fraternité, de considérer les personnes victimes comme on considère les pauvres, ceux qui sont en prison, ceux qui sont malades, pour faire une référence évangélique», conclut Marie Derain de Vaucresson. «On ne peut pas être indifférent au sort des personnes victimes au nom de cette fraternité-là et on doit se sentir concerné par quelqu'un qui va mal à côté de soi».
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