Trois ans de purges en Turquie
Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican
Il y a trois ans, dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, des soldats tentent de s'emparer du pouvoir en Turquie, bombardant des sites clés à Ankara et déployant des chars dans les rues de la capitale et d'Istanbul. L'intervention de militaires loyaux au président Recep Tayyip Erdogan ainsi que de milliers de ses partisans descendus ce soir-là dans la rue permet de mettre en échec le soulèvement. En une nuit, on compte plusieurs dizaines de morts.
Le coup d’État raté est tout de suite imputé par le président turc au prédicateur Fethullah Gülen, un de ses anciens alliés, exilé depuis une vingtaine d’années aux États-Unis, et qui nie toute implication. Dans la foulée de la tentative de putsch, des purges commencent. Elles perdurent aujourd’hui.
Militaires et magistrats dans le viseur
Le 9 juillet dernier, les autorités ont émis des mandats d'arrêt contre près de 250 militaires, dont 176 sont en service actif. «L’armée était auparavant au pouvoir», explique Etienne Copeaux, ancien pensionnaire à l’Institut français d’études anatoliennes et historien de la Turquie contemporaine. «Sa dernière intervention en 1997 a imposé la démission d’un gouvernement islamiste». Dès les années 2000, après son arrivée au pouvoir, Recep Tayyip Erdogan a procédé à plusieurs vagues d’arrestations à l’encontre des militaires. «Aujourd’hui l’armée a été complètement renouvelée, totalement fidèle à Erdogan maintenant».
«Pour procéder à ces purges, le président a destitué des centaines de magistrats et procureurs. Aujourd’hui, la justice n’est plus indépendante», constate Etienne Copeaux. Plus de 510 000 personnes ont été placées en garde à vue et parmi elles, près de 31 000 ont été incarcérées.
La démolition des élites
A ces peines judiciaires s’ajoutent les limogeages massifs. Près de 150 000 fonctionnaires ont été licenciés. Le président Erdogan souhaite «nettoyer» les institutions des partisans de Fethullah Gülen. Des professeurs, notamment ceux qui avaient dénoncé des exactions massives dans le sud-est de la Turquie contre les Kurdes, se voient privés du droit d’enseigner au collège ou à l’université. Ils sont privés de leur passeport. Certains fuient, d’autres se retrouvent à faire des petits boulots dans la rue. Une tragédie individuelle et pour tout le pays, estime Etienne Copeaux. «La Turquie est en train de massacrer son élite». Il reste cependant, note-t-il, une presse libre et une société civile très active, «mais pour combien de temps ?»
«La coercition et l’usage de la force n’est pas une nouveauté dans le pays, mais Erdogan a aggravé la situation». Il y a une dérive autoritaire, constate Etienne Copeaux, mais à quelle fin ? Au-delà de son maintien au pouvoir, et de «sa volonté ou nécessité de faire profiter ses proches de sa position», le président Erdogan règlerait «de manière forte, des problèmes pendant depuis des dizaines d’années dans le pays», notamment la question kurde qui reste centrale.
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