Les défis de la transition au Soudan
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Comme un symbole qu’une page se tourne, le procès d’Omar El-Béchir s’est ouvert ce lundi 19 août à Khartoum, alors même que l’accord de transition signé deux jours plus tôt commence à être formellement appliqué.
La formation du nouveau Conseil souverain devant mener la transition au Soudan vers un pouvoir civil devrait avoir lieu ce mardi. Elle a été repoussée de 48 heures, car le choix de ses membres fait encore débat. Cinq civils et six militaires en feront partie.
Ce Conseil Souverain devra ensuite valider – ou non - le nom du Premier ministre proposé la semaine dernière: Abdallah Hamdok, économiste, ancien haut-fonctionnaire de l’ONU. Puis viendra la formation d’un gouvernement, et d’un Parlement d’ici moins de trois mois.
Économie et société, des attentes multiples
Après les trois décennies du “règne” sans partage d’Omar El-Béchir, le Soudan - et ses 40 millions d’habitants - se trouve donc à un tournant de son histoire. Mais la société porte encore des marques profondes du régime déchu.
Anne-Laure Mahé, chercheuse sur l’Afrique de l’Est à l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire à Paris, identifie trois enjeux: «démilitariser une société qui s’est militarisée», chercher «comment sortir de trente ans de charia et de police des mœurs», «enlever, extraire ces personnes qui peuvent avoir un grand pouvoir économique» tout en étant corrompues.
Par ailleurs, beaucoup de civils ou d’observateurs craignent une confiscation du pouvoir par les militaires, autrement dit la répétition d’un scénario connu. En 63 ans d’indépendance du Soudan, les militaires ont déjà plusieurs fois mis fin à une expérience de démocratie naissante, parvenant à gouverner le pays durant 54 ans. Anne-Laure Mahé rappelle que les relations entre l’armée et les civils sont «basées sur la méfiance mutuelle». Dans le processus d’application de l’accord de transition, «a-t-on mis des garde-fous suffisants s’ils [les militaires] contournent les règles ?», s’interroge la chercheuse.
D’une manière concrète, les futures instances gouvernementales devront faire leurs preuves en matière de pacification du pays et de redressement de l’économie, deux missions qui s’annoncent délicates. Concernant l’économie, actuellement exsangue – pénuries, inflations… -, Anne-Laure Mahé exclut toute «naïveté»: «la situation ne va pas s’améliorer dans les jours ou les mois à venir», car le Soudan fait face à divers problèmes structurels.
«Si les choses ne s’améliorent pas à court-terme, poursuit-elle, il est certain qu’on peut s’attendre à ce que les gens se mobilisent à nouveau», comme ils l’avaient fait en décembre dernier en réaction à la hausse des prix du pain. Une mobilisation qui avait marqué le début des bouleversements politiques. La chercheuse souligne aussi la «capacité de résilience» des Soudanais. À ses yeux, ces potentielles manifestations peuvent toutefois constituer, pour la population civile, un efficace «levier de pression sur leurs partenaires militaires», afin que la transition soit maintenue. Un tournant salutaire donc, mais pas forcément synonyme de quiétude.
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