La charge des jésuites contre le gouvernement du Nicaragua
Cécile Mérieux - Cité du Vatican
Petit pays centraméricain d'environ 6 millions d'habitants, le Nicaragua est aussi le plus pauvre du continent après Haïti. Héritiers d’une longue histoire de violences politiques, les Nicaraguayens n’ont pas terminé de lutter pour leurs droits et leur liberté face à une répression incessante, estime le rapport des jésuites.
Le document du CPAL rappelle les chiffres de la répression gouvernementale depuis 2018 : 328 morts et plus de 800 détentions arbitraires. En outre, il rapporte que 88 000 personnes ont dû quitter le pays, dont 100 journalistes.
Une répression féroce
Un grand mouvement contestataire a été lancé en avril 2018 durant plusieurs mois. La population nicaraguayenne a occupé l’espace public pour faire entendre son mécontentement et contester ouvertement le gouvernement de Daniel Ortega. En août, le régime a fait retomber le mouvement de révolte en réprimant dans le sang les manifestations. Depuis, la situation ne s’est pas améliorée selon les jésuites : «Depuis septembre dernier, le Nicaragua est soumis à un état d'exception ou de siège et les effusions de sang n'ont pas cessé» stipule le rapport.
Ces affrontements violents d’août 2018 s’étaient soldés par 328 morts, dont 28 policiers, selon le rapport du Centre nicaraguayen des droits de l’Homme (CENIDH) ratifié par la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH). Le nombre de blessés et de disparus reste difficile à chiffrer. D’autre part, une analyse du groupe interdisciplinaire d'experts indépendants (GIEI) de la Commission interaméricaine des droits de l'Homme (CIDH) a accusé l'État nicaraguayen de «crime contre l’humanité» pouvant être jugé devant les tribunaux internationaux.
La CPAL dénonce le recours aux forces de la police anti-émeute pour réprimer les manifestants avec violence, auxquelles s’ajoutent des policiers et des paramilitaires en civils. Les manifestations ont été considérablement réduites grâce au régime de terreur instauré par des déploiements de police disproportionnés lors de l'annonce de mobilisation, précise la Conférence.
L’incessante violation des droits de l'Homme
La Conférence des jésuites dénonce la détention arbitraire de plus de 800 personnes. En outre, elle accuse le gouvernement de tenir des prisons clandestines où s’exercent des actes de torture : «La torture et les abus sexuels, à l'encontre de femmes et d'hommes, sont des sanctions généralisées dans tout le pays. Il existe des preuves de chocs électriques, pincement des ongles, suffocation, coups, isolement, eau contaminée, aliments pourris et/ou empoisonnés, entre autres méthodes. Des dizaines de personnes capturées ont été jugées et condamnées dans des procédures judiciaires totalement imparfaites».
Selon les jésuites, la libération des 500 prisonniers politiques au début de 2019 n’a été qu’une fausse concession pour relâcher la pression internationale. Mais contrairement à ce que le gouvernement s’était engagé à faire, les prisonniers n’ont pas été réellement libérés car ils restent en permanence harcelés chez eux. «Les introductions par effraction chez les gens sont une pratique courante de la police ou des paramilitaires. Les victimes sont régulièrement battues, menacées et leurs biens volés. L'objectif est de les intimider ainsi que leurs familles. Le contrôle social est rigoureux et l’espionnage a été institutionnalisé»
Chaque jour, en moyenne deux homicides sont commis dans les régions du nord (Las Segovias et Jinotega) du pays. Les jésuites indiquent qu’ils sont commis par des paramilitaires protégés par l'armée et donc en toute impunité.
Dépressions sociale et économique
La crise sociale est facteur de perte de moral pour la population, de perte d’emploi ou de difficulté à maintenir leur entreprise pour des centaines de milliers de Nicaraguayens, et tout ceci conduit l'économie à une «crise incomparable». «Avec la seule stratégie visant à accroître la répression pour rester au pouvoir, une économie comme le Nicaragua, tirée par des facteurs extérieurs (investissements étrangers, tourisme et exportations) ne s’améliorera pas, ce qui entraînera un appauvrissement accru de nombreuses familles».
Le climat social et économique pousse les Nicaraguayens à l’exil. Selon les informations du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), depuis avril 2018, 88 000 Nicaraguayens ont pris la route de l’exil, bien que la plupart n'ait pas de moyens de subsistance décents. La CPAL déplore notamment le renvoi de spécialistes de la santé pour avoir critiqué le régime ou soigné des manifestants. La presse aussi fait les frais de l’intransigeance du gouvernement, par l’occupation militaire ou le pillage de leurs locaux, et contraignant une centaine de journalistes à l’exil.
Appel à l’aide pour sortir de la crise
La CPAL demande l’appui des instances internationales pour soutenir le mouvement de révolte de la population déterminée «à entreprendre, cette fois, une lutte de résistance pacifique et civile pour changer le régime. Mais il est clair qu'un soutien international est nécessaire, à la fois de la société civile et d'organisations qui se battent dans différents domaines pour un monde plus juste, ainsi que de tous les gouvernements démocratiques d'Amérique latine et du monde entier».
La CPAL affirme la persévérance de son combat : «en solidarité avec toutes les victimes et avec la plupart des gens qui résistent nous ne nous lassons jamais de dénoncer l’arbitraire du régime d'Ortega-Murillo. Nous voulons continuer à être attentifs aux voix de ceux qui souffrent de la tyrannie impitoyable du pouvoir qui cherche à asservir les rêves de liberté et de démocratie par la terreur, la répression, la torture et le meurtre».
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici