Crise aux urgences: «l’hôpital sait-il encore quelle est sa mission ?»
Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican
260. C’est le nombre de services d’urgences qui étaient toujours en grève ce 24 septembre en France, selon les chiffres du collectif Inter-Urgences qui fédère les paramédicaux grévistes.
Six mois après le début du mouvement de protestation des urgentistes, le «pacte de refondation» annoncé le 9 septembre par la ministre de la santé Agnès Buzyn ne semble pas avoir convaincu. Les médecins hospitaliers sont par ailleurs de plus en plus nombreux à manifester leur soutien aux grévistes.
Renforts et meilleure gestion
Le plan annoncé par la ministre a été élaboré à l’issue d’un mission conduite l’été dernier par le député de la République en marche en Charente, l’ancien médecin urgentiste Thomas Mesnier, et par le chef du Samu de Paris, Pierre Carli.
Il prévoit «des renforts» non chiffrés de personnels soignant «en ville comme à l’hôpital», ou encore la mise en place d’un Service d’Accès aux Soins d’ici l’été prochain. Les malades pourront demander un conseil ou prendre rendez-vous avec un généraliste 24h sur 24 par téléphone ou sur internet. Qui leur répondra? Les modalités de cette plateforme de régulation seront dévoilées ultérieurement.
À proximité des services des urgences, le plan financera également cinquante maisons médicales où travailleront des médecins libéraux. Les dérives du travail intérimaire dans les services devraient être combattues et, de manière générale, il est prévu de mieux organiser l’hôpital, en particulier la gestion des lits ou l’accueil des personnes âgées.
Mieux vaudrait revoir la formation
Ce plan, doté de 750 millions d’euros sur trois ans, sert à lever la pression sur les services des urgences face à la carence de personnel et de l’offre médicale pour répondre à une augmentation continue du nombre de patients, plus de 27 millions en 2017; un chiffre qui a été multiplié par deux en 20 ans. La population française est plus nombreuse, vieillissante et s’appauvrit, rapporte le docteur Bertrand Galichon, responsable adjoint du service des urgences de l’hôpital Lariboisière et président du Centre des médecins catholiques français.
Pour redonner du souffle aux services des urgences qui se trouvent coincés à la jonction entre la médecine publique et la médecine privée, il faut repenser les choses. Il suggère par exemple un «décloisonnement des pratiques», en élargissant le champ d’action des infirmiers et pharmaciens. Mais l’augmentation de lits dans les services ou une hausse des salaires ne fera «que repousser le problème que nous aurons» et qui concerne la manière dont l’homme prend soin de lui-même.
Sur onze ans d’études, seulement deux heures sont consacrées aux soins palliatifs, regrette le docteur Bertrand Galichon. Trop peu de temps est également accordé aux questions de violences ou de précarité qui se posent pourtant dans les services. Il regrette que les médecins soient souvent des techniciens qui soignent les hommes sans avoir fait «leurs études en humanité». Il aimerait que soit reconsidérée la formation des personnels de santé.
Pour un Grenelle de la santé
De très nombreux médecins dédient énormément de leur temps à leur profession, mais l’image du médecin de campagne n’est plus. «Pour faire simple, on a perdu le don de soi», déplore-t-il. Son rêve serait, dit-il, de pouvoir écouter ses patients et comprendre les motifs de leur venue, et non de les résumer à des pathologies, des examens complémentaires ou un traitement.
«Soins ? Accueil ? Aujourd’hui, l’hôpital ne sait plus quelle est sa mission», explique-t-il. Il aimerait qu’on «renverse la table» ; qu’un Grenelle de la santé soit convoqué. Il se demande «benoîtement» s’il ne faudrait pas passer à un système tout privé ou tout public pour régler la question.
En tout cas, assure-t-il, augmenter le nombre de lits dans les services ou le salaires des personnels de santé dans les services des urgences ne résout rien. «Cela ne fait que repousser l’échéance de difficultés que nous aurons».
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