Le Chili en grève malgré les promesses du président Piñera
Entretien réalisé par Manuella Affejee - Cité du Vatican
La fièvre qui s’est emparée du Chili suscite les plus vives inquiétudes ; le Pape François s’en est fait l’écho lors de l’audience générale de ce mercredi, plaidant pour la fin des manifestations violentes, et que, dans l’intérêt de la population, «on s'efforce à travers le dialogue à trouver des solutions à la crise et à faire face aux difficultés qu'elles ont engendrées».
Cet appel pressant du Souverain pontife intervient au lendemain du virage social entrepris par le président chilien. Acculé par une contestation jamais vue depuis la fin de la dictature Pinochet (1973-1990), Sebastian Piñera a fait publiquement amende honorable, reconnaissant n’avoir pas anticipé cette explosion sociale, et demandant pardon à ses compatriotes pour ce «manque de vision». Pour tenter d’apaiser la colère populaire qui s’exprime depuis six jours, il a donc annoncé une batterie de réformes, portant sur les thèmes chers aux manifestants : hausse de 20% des pensions de retraite, revalorisation du salaire minimum, gel des tarifs de l’électricité, baisse du coût des médicaments, réduction du traitement des parlementaires et hauts-fonctionnaires, et augmentation des impôts pour les plus riches. Mais ces promesses ne suffisent pas: Cécile Faliès, agrégée en géographie et maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’Amérique latine et notamment du Chili nous explique pourquoi.
Le mécontentement est trop grand ; une vingtaine d’associations de travailleurs et d’étudiants ont donc appelé à une grève générale, pour réclamer la levée de l’état d’urgence imposé depuis quatre jours par le président dans neuf des seize régions du pays, mais également la fin du couvre-feu et le retrait des 20 000 militaires déployés dans les grandes villes chiliennes. Depuis le début du mouvement, le choix de la coercition par les autorités et la dureté de la répression, -visible jusque dans les mots employés par le président qui évoquait un état de «guerre»-, ont soulevé de nombreuses interrogations et ravivé de sombres souvenirs.
Un modèle économique en question
Tout est parti de l’augmentation du prix du ticket de métro pour la ville de Santiago ; cette hausse, apparemment anecdotique, a révélé un profond malaise au sein de ce pays, -qu’on appelait encore il y a quelques mois «l’oasis vertueuse»-, et le naufrage du modèle économique qui prévalait depuis une trentaine d’années. Ce modèle, d’essence ultra-libérale, imposé au moment de la dictature Pinochet a, il est vrai, érigé le Chili en exemple à suivre pour le continent. La privatisation de secteurs-clés, -retraites, éducation, santé-, ont assuré au pays des taux de croissance enviables, mais ont généré dans le même temps de très fortes inégalités. C’est cette fracture sociale extrêmement prégnante qui explique l’actuelle déflagration. Seule une infime minorité peut se faire soigner dans des cliniques de qualité, étudier dans des universités privées, ou tenir le rythme de la consommation sans s’endetter. Le reste de la population, -pauvres et classes moyennes-, accuse depuis plusieurs années des difficultés quotidiennes croissantes, sans que l’État chilien n’intervienne. Car la Constitution en vigueur depuis 1980 limite considérablement son rôle dans l’économie et la société. C’est d’ailleurs là l’une des revendications des manifestants: l’adoption d’une nouvelle Constitution.
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici