Irak: la colère d’une frange de la population
Entretien réalisé par Marine Henriot - Cité du Vatican
Plus de 100 morts et 6 000 blessés en une semaine de manifestations, c’est le sanglant bilan des violences en Irak. Un mouvement de manifestations contre la corruption, le chômage et la déliquescence des services publics, débuté le 1er octobre, avec le rassemblement de plus d’un millier de manifestants à Bagdad et dans plusieurs villes du Sud.
Née d'appels sur les réseaux sociaux, cette première contestation d'envergure depuis la mise en place du gouvernement d'Adel Abdel Mahdi, il y a près d'un an, n'émane d'aucune organisation politique ou religieuse. Alors que les premiers rassemblements avaient été dispersés avec des canons à eau et des balles en caoutchouc, très vite les forces de l’ordre ont finalement fait usage de leur arme à feu sur les manifestants, plongeant le mouvement dans la violence. Dans la capitale irakienne, les autorités ont décidé de refermer la Zone verte, siège des hautes institutions du pays et l’ambassade américaine. «Le gouvernement est en état de panique», explique Adel Bakawan, directeur du Centre de Sociologie de l’Irak et chercheur associé à l’institut Français des Relations Internationales (IFRI), «car il pense qu’un complot est en train de se préparer, qu’il y a un coup d’État en cours, il passe donc par la répression totale et radicale contre les manifestants».
La parole des dirigeants chiites
Vendredi 4 octobre, dans son serment très attendu, le grand ayatollah Ali Sistani, la plus haute autorité chiite d’Irak opte pour une prêche prudente, dans laquelle il condamne la violence, pointe la responsabilité du gouvernement et appelle les autorités à satisfaire les revendications des manifestations. Une autre figure du chiisme dans le pays, Moqtada Sadr lui va plus loin et réclame la démission du gouvernement et des élections anticipées sous l’égide des Nations-Unies. Des paroles qui résonnent dans le pays: la majorité des manifestants sont chiites, pour la plupart des jeunes, qui n’ont pas connu la guerre et le régime baassiste.
«Une colère légitime d’une génération livrée à elle-même, qui n’a aucune perspective dans un État en cours de décomposition», détaille Adel Bakawan, «aujourd’hui un jeune qui est engagé dans la manifestation doit travailler 363 ans pour avoir le revenu d’une personne qui fait parti de la haute société». Ainsi, la rupture est totale entre l’élite irakienne et la classe populaire et les mesures sociales annoncées le 6 octobre par le gouvernement (aides au logement, aux jeunes sans emploi…) ne semblent en rien apaiser cette colère.
Les explications d’Adel Bakawan, directeur du Centre de Sociologie de l’Irak (CSI), chercheur associé à l’institut Français des Relations Internationales (IFRI) et auteur de l’ouvrage L’impossible État irakien aux Editions l’Harmattan.
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