La Fondation Abbé Pierre veut éradiquer le «mal-logement»
Entretien réalisé par Priscille Pavec – Cité du Vatican
En 1949, l’abbé Pierre est appelé auprès d’un ancien bagnard qui vient de faire une tentative de suicide. Confronté à l’immense détresse de cet homme, il s’exclame: «Je ne peux rien te donner. Mais toi, au lieu de mourir, viens m’aider à aider». Cet appel est à l’origine de la fondation du mouvement Emmaüs, il y a 70 ans cette année.
L’association rassemble, aujourd’hui en France, plus de 20 000 personnes engagées auprès des plus démunis. Son action s’organise autour de différents axes: la vie de communauté, la promotion d’une économie sociale et solidaire, l’aide à la réinsertion sociale et au logement. C’est ce troisième défi qu’a choisi de relever la Fondation Abbé Pierre.
4 millions de mal-logés
La Fondation s’efforce de lutter contre le «mal-logement», un néologisme qu’elle a elle-même créé. Il recouvre différentes réalités: la situation des personnes sans domicile mais également de celles qui occupent un logement insalubre, dangereux pour la santé ou trop petit pour la taille de leur famille. Christophe Robert, le délégué général de la Fondation, précise qu’«on compte 4 millions de mal-logés sur une population de 67 millions de Français».
Le visage des nouveaux exclus
Ce phénomène touche des catégories de personnes jusqu’alors préservées. L’exclusion présente en effet de nouveaux visages: des femmes qui élèvent seules leurs enfants, des personnes en situation de migration après avoir fui la guerre ou les difficultés économiques et, désormais, beaucoup de jeunes. Ils sont «surreprésentés parmi les personnes en détresse sur le terrain», s’inquiète Christophe Robert qui juge «terrible de voir des jeunes de 20 ans dont le quotidien consiste à survivre plus qu’à construire son avenir.»
Christophe Robert mentionne les différentes raisons qui ont créé et entretiennent cette crise du logement. D’une part, «les grandes villes manquent de logements quantitativement parlant ce qui crée de la concurrence et fait monter les prix». Il évoque également la conjoncture économique avec l’explosion du chômage et, parallèlement, la hausse du prix de l’immobilier dans les années 2000-2015. Selon lui, il faut surtout se rendre compte que «ce problème du mal-logement est le symptôme d’autres crises: la crise migratoire, la fermeture des lits d’hôpitaux psychiatriques dans les années 1970 qui n’a pas été accompagnée, etc.».
Un appel à «ne jamais s’habituer»
En 70 ans, le mouvement Emmaüs s’est considérablement développé. Fondée en 1988, la Fondation Abbé Pierre elle-même finance aujourd’hui 900 projets par an. «Elle construit des logements, des lieux d’accueil pour les personnes sans abri, elle crée des lieux d’accès au droit pour les personnes qui ont des difficultés à se loger, elle intervient aussi à l’international». Christophe Robert précise encore que ces actions ne sont possibles que «grâce à des donateurs qui nous font confiance car la Fondation n’a quasiment pas de subventions publiques: elles ne représentent qu’1% de son budget».
Les manifestations de solidarité existent donc déjà, mais elles ne suffisent pas: «En dix ans, selon les statistiques, il y a eu une augmentation de 50% du nombre de personnes sans domicile». Christophe Robert appelle donc à une mobilisation de toute la société: «l’État, les collectivités locales, les associations, les citoyens». En sus des actions menées par le secteur associatif, il estime que les pouvoirs publics doivent conduire des politiques plus volontaristes en s’attaquant au différents ressorts de la crise du logement, via, notamment, «des fiscalités plus solidaires, plus redistributives».
Christophe Robert cite finalement l’abbé Pierre qui répétait souvent: «Ne nous habituons jamais». Notre regard doit sans cesse être dérangé par la souffrance des plus démunis. Ne jamais s’habituer. C’est le message que lance, à l’approche de l’hiver, la Fondation Abbé Pierre.
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici